Introduction (Marc Fiquet)

Nous avons reçu dernièrement une série de questions de la part d’un lecteur qu’il nous semblait intéressant de partager ici.

Le sujet est celui de la Bible de la Septante (LXX) une traduction grecque de la Bible hébraïque. Pour que chacun puisse suivre la conversation suivante, voici quelques éléments de base sur les manuscrits bibliques.

La Bible hébraïque (Ancien Testament pour les chrétiens) a été rédigée majoritairement en hébreu et possède quelques passages en araméen. Comme pour la plupart des livres très anciens, nous ne possédons pas d’originaux de ces écrits, mais des copies dont les manuscrits fragmentaires les plus anciens remontent au IIe s avant JC (et deux petits extraits de Nb et Dt datés du début du VIe s).

Comme le rappelle le Lexham Bible Dictionary :

les dates de composition des livres de l’Ancien Testament, ainsi que le rôle de Dieu dans l’inspiration des personnes qui ont consigné ces textes, font l’objet de discussions.

Historiquement parlant, pendant des siècles, les scribes ont travaillé avec un texte qui ne fournissait pas de moyen explicite d’indiquer les voyelles. On peut supposer que les lecteurs sans ces indications, pouvaient à la fois comprendre et prononcer les mots même en l’absence des voyelles.

Dès la fin du Xe siècle après JC, une nouvelle sorte de manuscrit fait son apparition. Ils sont désormais vocalisés. Une école juive, les Massorètes est à l’origine de cette évolution majeure. Les scribes transmettent désormais le texte biblique avec des marques indiquant comment il devait être psalmodié, il contient des règles de ponctuation et d’accentuation.

Cette intervention sur la transmission du texte biblique marque une étape cruciale dans son histoire, on parle de TM pour identifier une source, ou un texte issu de la tradition massorétique. Et donc dans la suite de l’article « prémasosorétique » indique un texte biblique hébreu avant la vocalisation du texte.


Pour en venir à la version grecque de la bible hébraïque – la Bible de la septante (LXX) – elle est donc antérieure au texte massorétique (TM) puisque cette traduction date du IIIe s avant JC. A cette époque en effet, de nombreux juifs sont installés dans le bassin méditerranéen oriental dont le grec est devenu la langue officielle. Certains d’entre eux ne parlent même plus l’hébreu, ils désirent donc pouvoir lire le texte biblique dans leur langue de tous les jours.

En analysant les écarts entre les différentes sources du texte biblique à notre disposition, nous constatons que la tradition du texte n’est pas figée, mais vivante, il existe en effet des nuances entre le TM qui semble s’appuyer sur d’autres sources que celles qui ont servies de base à la traduction de la LXX et aussi aux fragments que l’on retrouve dans les manuscrits de la mer morte pour ne parler que de ce ceux là.

Le décor ainsi planté, je laisse la parole à David Vincent, doctorant en histoire des religions et auteur de l’ouvrage les scribes d’Israël, pour répondre au questionnaire envoyé :



Q1 les origines de la LXX

Est-il vrai que 72 Juifs ont traduit la Bible hébraïque (version prémassorétique, VPM par la suite) en grec (version LXX), aux 3ème/2ème siècle av. J-C, sans se consulter, et que toutes ces traductions étaient rigoureusement identiques ?

Une traduction a eu lieu, mais elle ne concerne à l’origine que la Torah. Les autres livres ont été progressivement traduits après

Ce récit a sans aucun doute une base historique, mais a ensuite été considérablement enrichi par diverses légendes. Il suffit de comparer les récits des différents auteurs pour s’en rendre compte (la Lettre d’Aristée, Philon, FJ, etc.) 

Q2 Valeur originelle de la LXX

Est-il vrai que la LXX était considérée à l’époque, et jusqu’au début du christianisme, comme sœur jumelle de la VPM [S&F: le texte hébreu ayant servi de base à sa traduction] ?

La tradition juive a gardé en mémoire des corrections effectuées par les traducteurs. 

Il est difficile de savoir ce que pensaient les gens, mais les personnes ayant accès aux deux textes pouvaient facilement relever les différences. 


Q3 Valeur du texte hébreu massorétique

Est-il vrai que les massorètes ont retenu une version de l’Ancien Testament (AT) hébreu en fonction de leur combat contre le christianisme naissant (« ce jour – de la traduction de la LXX – fut aussi grave pour Israël que le jour du Veau d’or »), et que c’est cette version (texte massorétique, TM) qui est actuellement la traduction officielle de l’AT en hébreu ?

Non, ce n’est pas vrai. Certains choix massorétiques ont été faits en fonction de critères religieux (pas seulement contre les chrétiens), mais c’est la même chose pour la LXX. La tradition massorétique est globalement assez ancienne et l’orientation antichrétienne, si elle existe, est relativement mineure. 

Q4 Bibles chrétiennes et sources de traduction

Est-il vrai que malgré que le TM soit plus récent que la LXX, nos Anciens Testaments actuels, dans nos bibles chrétiennes, sont traduits à partir du TM ?

Les manuscrits du TM sont plus récents. Pas nécessairement le TM lui-même. Il faut étudier au cas par cas. 

Oui, les Bibles actuelles suivent globalement le TM, mais elles n’hésitent pas à le corriger à partir de la VPM ou des autres versions. 

Q5 Différence entre le grec et l’hébreu

Est-il vrai que l’hébreu a beaucoup moins de vocabulaire que le grec, et que par conséquent la LXX serait plus précise que le TM, que l’on peut interpréter de plusieurs manières (p.ex. « la vierge » en « la jeune fille ») ?

L’hébreu a moins de vocabulaire, mais la question de la précision est plus complexe. 
L’exemple pris est intéressant, car le terme grec pour dire « vierge » (parthenos), peut aussi vouloir dire « jeune fille ». 

Ces questions sont souvent traitées de manière peu rigoureuses dans les milieux chrétiens. 

Q6 Citations dans le NT à partir de la LXX

Est-il vrai que la grande majorité des citations de l’AT dans le Nouveau Testament (NT) proviennent de la LXX ?

Oui. Environ 70% d’après les travaux des spécialistes. 

Q7 Citations de l’AT dans l’épître aux Hébreux

Est-il vrai que même les citations de l’AT dans l’épître aux Hébreux (où l’on s’adresse à des Juifs) proviennent de la LXX, comme indiqué en notes de bas de page dans plusieurs versions modernes de la Bible (NFC, Semeur, etc.) ?

Globalement oui. Même si dans le détail, les choses sont parfois plus complexes. 


Q8 Manuscrits de Qumrân et version des LXX

Est-il vrai que les découvertes de Qumrân montrent que la version des LXX est identique à la VPM ?

Non.


Q9 La LXX et la lecture de la Bible des premiers chrétiens

Est-il vrai que la LXX est la Bible de la plupart des premiers chrétiens, et que lorsque les Pères de l’Eglise ont commenté les Écritures, c’est à partir de la LXX qu’ils ont écrit leurs ouvrages ?

Oui. 


Q10 LXX et inspiration

Est-il vrai que du moment que la Bible est inspirée du Saint-Esprit, la LXX (donc le texte prémassorétique dont elle provient) est par conséquent plus exacte que le TM, puisqu’elle est la version choisie par le Saint-Esprit ?

Pas nécessairement. Parfois, le NT cite le TM contre la LXX (cf. la prophétie de la sortie d’Égypte citée par Matthieu, qui n’est valable qu’avec le TM qui lit un singulier, tandis que la LXX a un pluriel). 


Q11 Rapport entre tradition chrétienne et judaïsme de l’AT

Est-il vrai que la tradition chrétienne se trouve par conséquent être plus fidèle au judaïsme de l’AT que le judaïsme actuel ?

En tant que chrétien, c’est une évidence de penser cela. Néanmoins cette fidélité ne se traduit pas nécessairement par un « meilleur » texte biblique. 


Q12 Enjeu des variations entre LXX et TM

Est-il vrai qu’il faille insister sur l’importance de la LXX parce que nos traductions à partir du TM peuvent devenir pour plusieurs une pierre d’achoppement ?

(1. en constatant des différences entre des versets de l’AT et les citations qui en sont faites dans le NT, plusieurs peuvent être amenés à abandonner la lecture de la Bible, voire à perdre la foi
2. cela amène de l’eau au moulin de ceux qui cherchent des contradictions dans la Bible
3. cela peut empêcher les Juifs de se convertir : « les chrétiens ont trafiqué nos textes »)

Comme vous pouvez le constater, l’enjeu est de taille…

Oui et non. 
La Septante est importante, mais plus pour prendre conscience de la pluralité des versions dans le judaïsme ancien. 

Si vous souhaitez approfondir la question des études bibliques et de l’inspiration, nous pouvons vous recommander ce livre : 


[NDLR: Vous pouvez également vous reporter à cet article de biblique.fr, il traite spécifiquement de l’histoire de la LXX et de la question de l’autorité posée par cette traduction. Notre objectif ici était d’être concis pour rendre la lecture accessible au plus grand nombre ou aux plus pressés ;-).

La Septante. Quelle autorité ?]