La date de rédaction des livres de la Bible
Quel est l’âge de la Bible hébraïque ? Le but de ce livre est de proposer une datation des livres bibliques à partir de l’étude de la langue.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette méthode n’est actuellement pas tant utilisée que cela par les exégètes, qui lui préfèrent souvent d’autres approches quand il s’agit de connaître la date de rédaction d’un livre de la Bible.
Après avoir présenté les auteurs, j’évoquerai les principes de l’étude et les moyens utilisés, puis les résultats obtenus.
Les auteurs
Ronald Hendel est professeur de Bible hébraïque et d’études juives à l’Université de Californie (Berkeley) et éditeur général de The Hebrew Bible : A Critical Edition.
Jan Joosten est professeur d’hébreu à l’université d’Oxford, éditeur en chef de la revue Vetus Testamentum et président de l’International Organization for Septuagint and Cognate Studies.
Dater les textes à partir de la langue
Une datation linguistique part d’un principe simple : la langue évolue au cours du temps. En étudiant cette évolution, on peut donc proposer une répartition chronologique des œuvres écrites.
Ces évolutions sont de différents ordres : il y a des modifications orthographiques, lexicales (sens des mots), syntaxiques, grammaticales. Ainsi parler d’hébreu biblique peut être quelque peu trompeur, car entre les livres les plus anciens et les plus récents, la syntaxe, la grammaire, le vocabulaire et l’orthographe diffèrent considérablement. C’est la prise en compte de ces évolutions qui peuvent nous permettre de dater les différents livres. Cette méthode, précisons-le tout de suite, ne prétend pas dater au siècle près. C’est impossible. Elle propose plutôt de grandes catégories qui peuvent situer les livres dans le temps.
L’approche n’est pas nouvelle. Déjà en 1644, Hugo Grotius (1583-1645) avait conclu d’une étude lexicale que l’Ecclésiaste ne pouvait pas avoir été écrit par Salomon. Toutefois, depuis, de nombreux travaux et découvertes ont permis de perfectionner les études linguistiques et augmenter leur fiabilité.
Le premier élément, utilisé par Grotius, est celui des mots d’emprunt. C’est le plus simple à repérer. Lorsqu’un texte utilise de nombreux mots étrangers (araméen, perse, grec), on peut logiquement en déduire qu’il a été influencé par la langue à laquelle il emprunte ces termes. Pour prendre un exemple, c’est comme si dans un texte attribué à Jean Calvin on trouvait les termes : « week-end », « parking » ou « cartoon ». On douterait facilement, et légitimement, de l’authenticité de l’attribution.
Un deuxième élément est l’évolution du sens d’un terme ou l’emploi de celui-ci. Un mot peut continuer à être employé dans une langue, mais avec un sens différent. Un exemple, en français moderne (16e-17e siècles) le verbe « exterminer » veut dire « expulser ». Autre exemple, ma grand-mère parle souvent de son « pays », mais elle désigne par-là sa région d’origine. C’est un sens que l’on retrouve encore dans noms (« Pays de la Loire »), mais qui est tombé en désuétude dans l’usage courant aujourd’hui. Pour désigner une même réalité, on aura tendance à employer des mots différents.
On peut donc appliquer ces techniques pour déterminer la date d’un livre de la Bible. La principale objection que l’on peut faire à ces éléments est qu’il peut être facile d’imiter le « parler ancien » et donc de tromper le lecteur. À différentes époques de l’histoire, certaines personnes ont même pu s’en faire une spécialité, c’est ce que l’on appelle le « pseudo-classicisme ». Toutefois, une étude minutieuse montre que cela est moins évident que ce que l’on pourrait croire et que ces personnes commettent souvent des erreurs qui permettent justement de repérer ce pseudo-classicisme. Mais plus encore, s’il est possible d’imiter le vocabulaire, il est beaucoup plus difficile d’imiter la grammaire et la syntaxe. En fait, cela est pratiquement impossible.
Le développement des études linguistiques
Ces dernières décennies, les études linguistiques se sont considérablement développées, ce qui permet maintenant de mieux connaître les évolutions grammaticales et syntaxiques de l’hébreu. Un des deux auteurs du livre, Jan Joosten, a par exemple publié il y a quelques années un livre sur le système verbal en hébreu. Or, ce qui est intéressant, c’est que ces éléments indépendants se confirment mutuellement, ce qui rend d’autant plus solides les conclusions proposées.
On peut tout d’abord distinguer deux grandes catégories : l’hébreu classique et l’hébreu tardif. Ces catégories se distinguent aussi bien au niveau du vocabulaire, qu’au niveau de la syntaxe ou de la grammaire. Au sein de l’hébreu classique, on peut repérer quelques passages qui paraissent représenter un stade antérieur de la langue, que l’on peut qualifier d’hébreu archaïque. Enfin, entre ces deux pôles, on remarque un stade intermédiaire : l’hébreu transitionnel.
Tout ceci n’est qu’une chronologie relative, on situe les textes les uns par rapport aux autres. Toutefois, de nombreuses découvertes extrabibliques permettent de compléter cette étude en l’insérant dans une chronologie absolue. Les éléments les plus importants sont les inscriptions en hébreu ancien. La première a été découverte en 1880 à Siloam. Depuis, le corpus a considérablement augmenté. La conclusion que l’on peut tirer de l’étude linguistique de ces inscriptions est que l’hébreu classique correspond à la langue employée par les Judéens à l’époque monarchique.
On obtient donc la chronologie absolue suivante :
- l’hébreu classique correspond à la période monarchique (10e-début du 6e siècle),
- l’hébreu tardif correspond à la fin de la période perse et l’époque hellénistique (4e-2e siècle),
- l’hébreu transitionnel se situe entre les deux (6e-4e siècle).
- Quant à l’hébreu archaïque, on peut le situer à l’époque des juges.
Évidemment, ces lignes ne sont pas rigides.
Les résultats obtenus
Concrètement, comment se répartissent les différents livres bibliques ?
À l’hébreu classique, on peut rattacher l’ensemble des livres allant de Genèse à 2 Rois, avec quelques fragments datant de la période archaïque (Genèse 49, Exode 15, Deutéronome 32 ou Juges 5), sans exclure quelques retouches scribales postérieures.
À l’hébreu tardif, on peut rattacher les Chroniques, Esdras-Néhémie, Esther, l’Ecclésiaste et Daniel.
Enfin, on peut rattacher à l’hébreu transitionnel les livres d’Ézéchiel, de Jérémie, de Lamentations, de Job (à l’exception des chapitres 1-2 qui sont probablement plus tardifs), de Jonas, d’Aggée, de Zacharie (chapitres 1-8) et du Deutéro-Esaïe (Esaïe 40-66).
Notons que certains livres sont plus difficiles à dater et font l’objet de débat entre les linguistes, c’est le cas notamment de Ruth.
Conclusion – Date, Bible et linguistique
Cette méthode est sans aucun doute moins précise, mais probablement plus fiable que la méthode du Sitz im Leben couramment utilisée dans la recherche biblique et qui tourne parfois à une sorte d’exégèse allégorique complètement subjective.
Bien qu’ancienne, elle a connu un développement important ces dernières décennies, grâce notamment aux progrès de la linguistique et il ne fait aucun doute qu’elle sera de plus en plus prise en considération dans les futures recherches bibliques concernant l’origine et la datation des textes.
Bibliographie
Hendel, R. & Joosten J. (2018). How Old is the Hebrew Bible ? New Haven & London : Yale University Press.
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