Article 3 sur un total de 3 pour la série :
la Bible est-elle contre la science ? Ce que 1 Timothée 6:20 nous révèle vraiment
Bienvenue dans ce troisième et dernier article de notre série !
Dans la première partie, nous avons vu que le mot « science » dans la célèbre mise en garde de 1 Timothée 6:20 (« science faussement ainsi nommée ») est une traduction du grec gnōsis, qui signifie simplement « connaissance ».
Dans la deuxième partie, nous avons identifié l’adversaire réel de l’apôtre Paul : le Gnosticisme naissant. Il ne s’agissait pas de science moderne, mais d’une hérésie mystique qui prétendait offrir une « connaissance » supérieure et secrète pour le salut, menaçant ainsi le cœur de la foi chrétienne.
Maintenant que le contexte est posé, nous allons nous pencher sur la question qui fâche : comment ce verset est-il utilisé aujourd’hui par certains groupes pour attaquer la science moderne ?
Nous allons analyser un cas d’école : un article du site créationniste « Answers in Genesis » qui utilise ce verset pour invalider la géologie, la cosmologie et la biologie de l’évolution. Vous pourrez trouver d’autres commentaires bibliques qui sans se revendiquer créationnistes jeune terre adoptent une approche d’interprétation assez proche.
L’article : Science « So Called » (La « prétendue » science)
L’argumentaire créationniste en 6 étapes
L’article en question est assez subtil, car Il ne commet pas l’erreur grossière de dire que Paul parlait de la science moderne. L’auteur reconnaît que dans le contexte il faut comprendre gnosis dans le sens de connaissance générale et non technique comme nous l’entendons aujourd’hui.
Cependant, il opère ce qu’on doit appeler un glissement rhétorique. L’argument n’est pas « Paul parlait de la science moderne », mais « Le principe que Paul établit s’applique à la science moderne ».
Voici comment cet argumentaire se déploie :
- Point de départ : Le verset 1 Timothée 6:20 visait historiquement un sens non technique.
- Principe universel : L’auteur en extrait un « principe intemporel » : les chrétiens doivent se méfier de tout système de pensée qui se prétend « connaissance » mais qui contredit la révélation divine.
- L’analogie : Il applique ce principe au débat sur les origines et établit une analogie : la Gnose antique = les « sciences historiques » modernes (géologie, paléontologie, etc.).
- Le « péché » de la science : Il affirme que le défaut de ces sciences est leur présupposé de départ : le naturalisme méthodologique. Il présente cela comme une décision philosophique d’exclure Dieu et la Genèse a priori.
- L’application du label : À cause de ce présupposé jugé athée, les conclusions de la science (un vieil univers, l’évolution) sont donc, par définition, une forme moderne de « connaissance faussement ainsi nommée ».
- La conclusion : Le débat est un choc entre deux sources de Vérité. Il force un choix : soit la Vérité de la Bible, soit la « connaissance » humaine qui a choisi d’ignorer Dieu. Pour notre auteur, en 1 Ti 6.20,
« L’apôtre Paul offre un conseil intemporel aux chrétiens qui vivent dans un monde saturé de fausses idées qui contredisent la Bible : Ne soyons plus « des enfants flottants et emportés à tout vent de doctrine [comme l’évolutionnisme], par la tromperie des hommes » »
Le cœur du problème : confondre méthode scientifique et foi chrétienne
Le cœur de l’argument de « Answers in Genesis » repose sur cette analogie : Gnose = Science historique. Mais cette analogie est-elle valide ?
Pas du tout. Le biais est de traiter sur le même plan une doctrine spirituelle (A) et une méthode scientifique (B).
- La Gnose (Situation A) était une spiritualité rivale. Elle proposait un autre récit du monde, une autre voie de salut, et se présentait comme une alternative complète au christianisme, ce que Paul avait bien identifié comme ennemie de la foi.
- La science moderne (Situation B) est une méthode d’investigation du monde naturel. Son but n’est pas d’offrir le salut, mais de décrire et d’expliquer les phénomènes observables.
L’article traite la méthodologie scientifique comme s’il s’agissait d’une religion concurrente, ce qu’elle n’est pas.
Le vrai débat : la question des présupposés
L’article met le doigt sur un point valide : tout le monde a des présupposés. La question est de savoir s’il les présente honnêtement.
- Le présupposé de « Answers in Genesis » est clair (voir leur confession de foi) : La Bible, interprétée de manière littérale (jeune terre, création en 6 jours), est la source de Vérité absolue sur tous les sujets. C’est le point de départ non négociable. Toute observation qui contredit ce présupposé est, par définition, fausse.
- Le présupposé de la science est le naturalisme méthodologique. Ce point est crucial et souvent mal représenté.
- Ce que ce n’est pas : Ce n’est pas le naturalisme philosophique (l’affirmation que la nature est tout ce qui existe et que Dieu n’existe pas).
- Ce que c’est : C’est une « règle du jeu ». Elle consiste à dire : « Pour faire de la science, nous cherchons des explications et des causes naturelles, car ce sont les seules que nous pouvons observer, tester et mesurer ».
La science ne dit pas que le surnaturel n’existe pas ; elle dit que le surnaturel est en dehors de son champ de compétence.
Le biais de l’article est de présenter la règle de travail (méthodologique) comme une croyance athée (philosophique). Il crée ainsi une fausse dichotomie : soit vous acceptez la « Révélation Divine » (telle qu’ils l’interprètent), soit vous adhérez à une philosophie athée qui « exclut Dieu ». C’est un faux choix, et c’est la raison pour laquelle de très nombreux scientifiques y compris en biologie de l’évolution sont croyants.
L’astuce rhétorique : « science opérationnelle » vs « historique »
Pour discréditer les domaines qui les dérangent, les auteurs de ce commentaire utilisent une distinction qui est propre aux milieux conservateurs religieux :
- La science « opérationnelle » (chimie, physique) : Elle serait bonne, car observable et reproductible en laboratoire.
- La science « historique » (cosmologie, géologie, évolution) : Elle serait mauvaise, car elle interprète des événements passés non observables.
Le problème ? Cette distinction est artificielle et n’est pas reconnue par la communauté scientifique.
Toute la science fonctionne en utilisant des preuves présentes pour déduire des causes passées.
Prenons une analogie simple :
- Un enquêteur sur une scène de crime utilise des indices (présents) pour reconstituer l’événement (passé).
- Un médecin diagnostique une maladie (cause passée) sur la base de symptômes (présents).
Rejeter la « science historique » reviendrait à rejeter la médecine légale. La méthode est la même : inférer la meilleure explication à partir des données disponibles. Cette distinction n’est qu’un outil rhétorique pour discréditer des domaines scientifiques spécifiques qui contredisent leur interprétation de la Genèse.
Pour en savoir plus sur les méthodes d’investigation scientifiques (science expérimentale, de l’observation et historique), voir l’excellente synthèse du couple Haarsma dans le chapitre 3 de leur livre Origines – la science : un processus pour l’étude de la création de Dieu.
Conclusion : S’équiper pour une lecture informée
Finalement, l’article d’Answers in Genesis est un cas d’école d’eiségèse : qui consiste à projeter sa propre vision ou ses propres idées (la défense d’une Genèse littérale) dans le texte biblique.
L’approche inverse, l’exégèse, consiste à chercher à extraire le sens originel du texte à partir de son contexte historique et culturel.
Pour conclure cette série, voici quelques clés de lecture pour aider chacun à ne pas tomber dans ces pièges et à s’armer contre les manipulations textuelles :
- Le Contexte est Roi. Toujours se demander : Qui parle ? À qui ? Pourquoi ? Pour 1 Timothée, la réponse est : un responsable d’Église met en garde un jeune pasteur contre des doctrines mystiques (la gnose) qui semaient le trouble.
- Comprendre le Genre Littéraire. La Bible est une bibliothèque ou chaque livre répond à un genre précis. On ne lit pas une lettre personnelle (1 Timothée) comme on lirait un manuel de science.
- Faire Attention aux Mots. Comme nous l’avons vu, gnosis signifie « connaissance » ou « savoir », pas « science » au sens moderne. Nous avons vu que le sens des mots évoluent aussi avec le temps. Utiliser la bonne traduction évite le contresens.
- Identifier le Biais de l’Interprète. Quel est l’objectif de l’auteur de l’article ou du commentaire biblique ? « Answers in Genesis » a un but déclaré : défendre une lecture littérale de la Genèse. Cet objectif détermine leur interprétation de tous les autres passages. Ils n’utilisent pas le verset pour comprendre ce que Paul voulait dire ; ils l’utilisent pour défendre leur position dans un débat moderne.
La question à se poser n’est donc pas « la science a-t-elle raison contre la Bible ? ». La vraie question est : « Avons-nous raison de demander à la Bible d’être LE manuel de science du 21e siècle ? Ou est-ce que nous devrions la lire pour ce qu’elle est : un témoignage de foi dans un contexte historique et culturel ancien ? ».
Merci d’avoir suivi cette série ! Vous disposez normalement des éléments pour avoir un avis éclairé sur la question.
3 Articles pour la série :
la Bible est-elle contre la science ? Ce que 1 Timothée 6:20 nous révèle vraiment
- 1Ti 6.20, la Bible est-elle contre la science ? (1/3) Science et connaissance : ce que dit le Nouveau Testament ?
- 1 Ti 6.20, la Bible est-elle contre la science ? (2/3) Le mystère de la « fausse Gnose »
- 1 Ti 6.20,La Bible contre la science ? (3/3) : Le glissement rhétorique de la « fausse science »