« Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu nous a parlé par le Fils en ces jours qui sont les derniers. Il l’a établi héritier de toutes choses, et c’est par lui qu’il a fait les mondes. » (Hébreux 1.1-2)

Quel est le chrétien assidu de la Bible qui ne connaît pas cette première phrase de l’épître aux Hébreux ? Elle nous rappelle que Dieu s’est révélé de façon progressive à l’humanité à travers le témoignage d’hommes qu’il avait choisis à cet effet, le dernier étant Jésus, incarnation même du Fils de Dieu. Au cours du temps, ces témoignages se sont donc ajoutés les uns aux autres et furent soigneusement consignés dans l’Ancien Testament d’abord, puis dans le Nouveau Testament, pour constituer nos bibles actuelles : révélation écrite à laquelle Jésus-Christ est venu apporter un point d’orgue.

 

Notons biens que ces bibles sont constituées de papier et d’encre et, que de ce point de vue, rien ne les distingue de n’importe quel autre livre, fût-il un livre satanique. Dès lors, qu’est-ce qui fait qu’une bible est LA BIBLE ?… Le message bien sûr ! Et seulement le message qu’elle nous transmet ! Or, comme on vient de le rappeler, ce message s’est constitué au cours des siècles à travers des « hommes de Dieu », dont les témoignages furent pieusement collectés, écrits puis transmis pour arriver jusqu’à nous. Comme on le sait, ces témoignages ne se sont pas seulement ajoutés les uns aux autres, mais ils se sont aussi complétés les uns les autres, au cours d’une période de plus ou moins mille ans, pendant laquelle ils furent racontés, puis rédigés par des personnages aussi différents que peuvent l’être des agriculteurs, des pécheurs, des rois, des bergers, des théologiens, des théologiens, des médecins, des poètes, etc. On peut donc dire que la collection des textes qui constituent la Bible sont issus de personnes très différentes, dans des contextes socio-culturels tout aussi divers, et au cours d’une période vraiment longue.

 

Et pourtant, quand on lit cet ensemble de témoignages avec un peu d’objectivité, il n’est pas nécessaire d’être croyant pour y discerner une cohérence étonnante au niveau de la progressivité de l’information qui nous y est apportée à propos des relations de Dieu avec l’humanité. Pour le lecteur attentif, tout s’enchaîne selon un fil conducteur allant de l’origine à la fin de l’univers, et plus particulièrement, de l’origine de l’homme à sa finalité ultime. Pour ma part, s’il fallait un indice objectif de l’inspiration divine de la Bible, la cohérence du message qui nous y est transmis m’apparait comme l’argument le plus convaincant. Mais en écrivant tout cela, je ne fais sans doute que rabâcher ce que tout chrétien attaché à la Bible sait déjà ; et aussi merveilleuses soient ces choses, elles sont bien connues de tous. Or, c’est précisément cette banalité qui est intéressante dans la perspective de mon propos. En effet, je voudrais aborder la difficulté qu’éprouvent certains croyants à admettre la progressivité de l’information manifestée au sein du « grand livre de la nature », alors qu’ils admettent cette progressivité sans trop de difficultés, lorsqu’il s’agit de la révélation biblique. La Bible, pourtant, établit elle-même un parallèle entre sa propre révélation et celle qui procède de la création… Du moins, quand on ne se voile pas la face ! Car, comme Paul nous le rappelle,

« la colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la vérité captive, du fait que ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant lui-même manifesté. En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. » (Romains 1.18-20)

 

Ouvrons donc ce « grand livre de la nature » ou, ce qui revient au même, ce « grand livre de la création », puisque la Bible nous dit que nous y verrons Dieu se révéler à tous les hommes, et pas seulement aux croyants. Or, qu’y voit-on ? Un univers qui part de rien – ou du moins, on ne sait pas exactement de quoi – pour se mettre progressivement en place à travers des milliards de galaxies en constante expansion ou, plus exactement, en expansion qui s’accélère constamment. Ce commencement, on le sait aujourd’hui, a eu lieu il y a 13,8 milliards d’années. Mais il a fallu attendre quelque 380.000 ans avant que ne jaillisse la lumière de la « période sombre » et qu’en même temps commencent à se stabiliser les premières lettres de ce qui allait former l’alphabet de notre univers : les atomes ! En commençant par les atomes les plus légers, cet alphabet s’est progressivement complété avec des atomes de plus en plus lourds. Ensuite, ces « lettres-atomes » se sont combinées en « mots-molécules » pour former ce que nous appelons la « matière » constitutive des étoiles, des planètes et des galaxies. Mais ce qui est intéressant, c’est que nous, les humains, sommes aussi « écrits » avec le même alphabet, je veux dire avec les mêmes atomes que tous ceux qui composent l’ensemble de notre univers… Exactement comme notre bible est écrite avec les mêmes lettres que tous les autres livres… Du moins, ceux écrits en lettre latines : celles que nous utilisons en français.

 

Mais, venons-en à nous, les humains, vivant sur cette merveilleuse petite planète bleue perdue au milieu de l’univers. Planète relativement jeune, puisque son histoire commence il y a 4,5 milliards d’années, et planète merveilleuse, disais-je, parce que la vie y est apparue un milliard d’année plus tard pour s’y développer et se complexifier progressivement jusqu’à l’apparition de l’homo sapiens, en Afrique, il y a quelque 300.000 ans. Or, c’est bien souvent sur cette évolution que butent encore beaucoup de croyants attachés à une lecture littérale du récit biblique de la création. Aussi revenons à la façon adoptée par Dieu pour écrire les choses : que ce soit la Bible ou le « grand livre de la création ». Dans les deux cas, sa révélation et son écriture sont progressives dans le temps, et de plus en plus complexes et structurées dans la forme. Ces deux caractéristiques – progressives et complexes – sont à retenir, car nous l’avons vu pour la Bible, et il en va de même pour la création. Or, au sein de cet univers, que ce soit la matière inerte ou l’être humain, tout est fait à partir des mêmes atomes : des atomes qui, étant dépourvus de toute intelligence, et donc de toute intention, sont bien incapables de se structurer par eux-mêmes. Ou alors, il nous faudrait diviniser la matière ! Dès lors, la seule explication rationnelle, c’est la préexistence d’une information, d’un programme, d’un projet intelligent capable de présider à cette complexification de façon structurée pour former : ici, une orchidée, là, une antilope, et là-bas, un être humain…

 

En ce qui concerne l’univers, on sait que sans l’existence de certaines constantes mathématiques et physiques au moment même du Big-Bang – c’est-à-dire sans programme préétabli – l’univers n’existerait pas aujourd’hui : il se serait dispersé en une poussière de particules subatomiques, ou il serait retombé sur lui-même comme un soufflé au fromage. N’en déplaise à ceux dont la philosophie s’en trouve bousculée, cela implique une intelligence organisatrice susceptible de programmer des atomes qui manquent singulièrement d’intelligence propre. Car il faut bien s’y résoudre : la matière ne pense pas ! Pas plus qu’un alphabet, les atomes ne peuvent s’ordonner en mots et en phrases cohérentes, sauf si quelqu’un d’intelligent s’en charge. Or, en ce qui concerne l’univers en général, et singulièrement le vivant, les choses sont bien plus complexes encore !

 

Pour la matière animée – et non « matière vivante », comme on l’entend trop souvent – l’existence d’un programme écrit est encore plus évidente. Depuis la découverte de l’ADN en 1953, on sait que cette macromolécule, en forme d’échelle hélicoïdale, est le support de l’hérédité chez tous les êtres vivants. En fait la molécule d’ADN est formée d’une multitude d’échelons composé de seulement quatre acides aminés différents, composant une sorte de « code barres ». Ces « échelons » sont regroupés en séquences spécifiques appelés « gènes », qui sont propres à chaque individu : 20.000 à 25.000 gènes codants – utiles – pour l’être humain. Chaque « échelle » est entortillée sur elle-même pour formé un chromosome de forme bien définie. Ces chromosomes vont par paires – sauf dans les cellules reproductrices – et leur nombre est caractéristique de chaque espèce : 23 paires pour les humains. Ce sont donc les gènes portés sur nos chromosomes qui définissent notre hérédité, mais il faudra attendre le séquençage de l’ADN, en 2003, pour savoir à quoi chaque gène correspond chez l’être humain.

 

Pourquoi cette – très, très ! – sommaire leçon de génétique ? Pour montrer que jamais l’image de l’alphabet n’a été aussi pertinente qu’au niveau de l’ADN : avec la combinaison de seulement quatre acides aminés, l’ADN écrit des mots et des phrases qui transmettent les milliers d’informations nécessaires à la constitution d’un être humain. Mais, comme pour la Bible, le « grand livre de la nature » nous révèle une démarche à la fois progressive et de plus en plus complexe. Les êtres vivant on commencé modestement à la frontière de la matière inanimée, avec les virus et leurs structures très sommaires. Ensuite sont venus les bactéries, et puis – je progresse à grandes enjambées dans l’arbre phylogénique du vivant – les plantes, les levures, les vers, les insectes, les poissons, les mammifères, les primates, les hominidés, les humains… Peu importent les « étapes » intermédiaires que j’ai ignorées par souci de simplification : là n’est pas mon propos. La réalité que je veux rappeler ici, c’est que depuis l’origine – il y a 3,8 à 3,5 milliards d’années – la vie s’est « révélée » de plus en plus complexe au fur et à mesure de l’évolution et du temps qui s’écoulait. Comme pour la Bible, cette « révélation » qu’est l’évolution, ne s’est pas faite en un jour : elle a été très progressive. Et comme pour la Bible, l’ADN des êtres vivants a gardé le souvenir de cette évolution, et cela à deux niveaux : dans les écrits eux-mêmes, et dans les erreurs de copies. Je m’explique.

 

Prenons tout d’abord la Bible. Comme je l’ai dit, quand on lit les livres de la Bible dans l’ordre où ils ont été écrits, on découvre une évolution évidente des informations d’ordre théologique, celles-ci s’affinant et se précisant progressivement pour atteindre leur sommet en Jésus-Christ. Mais d’autre part, la Bible, c’est aussi des manuscrits qui ont été gravés ou écrits avec de l’encre sur différents supports et recopiés pendant des centaines d’années, par des scribes qui ont fait des fautes que les suivants ont recopiées, etc. Heureusement, tous les scribes n’ont pas fait les mêmes fautes ; d’autre part, les versions différentes et les manuscrits sont suffisamment nombreux pour être recoupés. En pratique, il est donc souvent possible de remonter au plus près des originaux ; et cela, avec une certitude raisonnable, sans pour autant en posséder aucun. Pour les chromosomes des êtres vivants, c’est un peu la même chose. Depuis l’origine de la vie, on peu lire un ADN qui se complexifie avec le temps, au fur et à mesure des progrès de l’évolution : en partant des êtres monocellulaires et aboutir à l’homo sapiens, c’est-à-dire nous !

 

Cette lecture est aujourd’hui indéniable, en dehors de tout préconçu religieux ou philosophique. Mais comme pour la Bible, cette longue transmission ne s’est pas faite sans erreurs de copies. Afin de ne pas impliquer des influences fonctionnelles, on a relevé des erreurs de copies ayant eu lieu sur la partie non codante de l’ADN, c’est-à-dire dans des régions de l’ADN qui ne pouvaient pas influencer l’évolution dans un sens ou dans un autre. Or, chaque fois que l’on a repéré une erreur de copie dans le bagage chromosomique d’un être vivant quelconque, on retrouve cette erreur dans les chromosomes de tous ceux qui le suivent dans l’évolution, mais chez aucun de ceux qui le précèdent dans l’arbre de l’évolution : ce qui prouve avec certitude qu’il est l’ancêtre de toute sa descendance. À ce propos, vers 1669, et donc à sa façon, bien avant la découverte de la complexité de l’univers et du vivant, le chrétien qu’était Blaise Pascal nous encourageait déjà à faire preuve d’un certain équilibre :

« Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre. Mais il est très avantageux de lui représenter l’un et l’autre. » (Pensées)

 

Il est vrai que, depuis bientôt quatre siècles, les sciences – bibliques y compris – ont progressé de façon exponentielle. Mais contrairement à certains athées, les croyants ne sont pas tenus d’y voir un encouragement à verser dans une radicalisation scientiste. Les chrétiens, notamment, ne devraient pas craindre qu’en acceptant l’évolution, ils soient aussi tenus de verser dans un déterminisme qui flirterait avec le fatalisme. Si l’alphabet et le langage de l’hérédité relèvent d’une « écriture intelligente », les « phrases » peuvent varier à l’infini en fonction de ce qu’il faut bien appeler le hasard. Non pas un hasard philosophique qui s’opposerait à Dieu, mais un hasard statistique lié au temps et aux circonstances. En fait, ici encore, le « grand livre de la création » est comparable aux textes de la Bible. Car si leurs rédacteurs ont écrit sous l’inspiration de l’Esprit Saint, chacun l’a fait avec les mots de son époque, de sa langue, de sa culture… Si bien que l’information que Dieu voulait transmettre à l’humanité l’a bien été, mais « incarnée » dans un langage humain. Exactement comme, dans un autre registre, l’évolution du vivant s’est faite en « s’incarnant » dans le contexte de notre univers terrestre.

 

Ceci, évidemment encourage une lecture plus affinée du récit biblique de la création. Je dis bien « création ». Car, encore une fois, les atomes qui constituent l’univers en général sont exactement les mêmes que ceux qui constituent l’être humain en particulier. Or, ces atomes sont bien braves, mais complètement idiots ! Dès lors, quelle est l’intelligence qui les a organisés, tels les lettres d’un alphabet, pour qu’au long d’un processus de 3,5 milliards d’années, ils écrivent les mots, puis les phrases, qui sont devenues ce que je suis, tout en racontant mon histoire ? Qui ?… Pour moi, je n’ai aucun doute quant à Celui qui a eu l’intelligence incroyable d’écrire ce programme extraordinaire avec autant de précision : programme qui – pour revenir à l’apôtre Paul et à sa critique des incrédules – devrait émerveiller et interpeller tout être humain un tant soit peu doué de curiosité et d’honnêteté intellectuelle ! Car, comme l’a dit Marcel Proust,

« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à voir avec de nouveaux yeux. »

Ou, comme disait également Jésus :

« Tout scribe instruit de ce qui concerne le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. » (Matthieu 13:52)