Profitant de notre présence au Gordon College près de Boston dans le cadre du programme « Evolution et foi chrétienne », Marc et moi avons pu assister à une conférence donnée par Robert Bishop du département de physique du Wheaton College, dans le cadre de l’American Scientific Affiliation, association d’environ 2000 scientifiques américains.
Le titre de cette conférence était
« le naturalisme méthodologique et la menace pour la science ? ».
La problématique
On se refuse en science de faire intervenir des explications non rationnelles. Les positivistes actuels y voient là un point d’appui pour « exclure Dieu » de l’univers, certains croyants voient donc dans la science une menace pour leur foi incluant des événements surnaturels, comme la résurrection de Jésus-Christ.
Est-il légitime pour un scientifique chrétien d’adhérer dans sa pratique professionnelle au naturalisme méthodologique ? Le naturalisme philosophique (l’athéisme) est-il la conséquence logique et obligatoire d’une méthode scientifique qui par définition ne veut pas d’un « miracle » comme explication ?
Le point principal de Robert Bishop tout au long de la conférence a été de montrer qu’historiquement, les premiers scientifiques s’appuyaient sur une vision chrétienne du monde, se restreignant volontairement, méthodologiquement à déterminer les « causes secondes » : les lois naturelles par lesquelles Dieu agissait dans la nature. Kepler, Newton ou Boyle seraient donc aujourd’hui tout à fait étonnés de constater que cette méthode a conduit plusieurs à penser que la science consiste à agir : « comme si Dieu n’existait pas. »
Avec bon sens, R.B. rappelle que dans la pratique quotidienne de la science, les chercheurs ayant différentes convictions philosophiques ou religieuses s’accordent sans problème pour chercher des explications rationnelles à certains problèmes précis. Ceci prouve bien empiriquement que le naturalisme méthodologique s’accommode de toutes sortes de convictions extrascientifiques personnelles différentes, et ne conduit pas nécessairement à adopter le naturalisme métaphysique : la croyance qu’il n’existe dans le monde que ce que nous pouvons découvrir par l’analyse scientifique, et donc que Dieu n’existe pas ! Le naturalisme méthodologique est un présupposé qui n’est jamais remis en question dans les laboratoires, et cela ne pose aucun problème. Un chercheur qui dans un laboratoire, à partir des résultats à une expérience particulière en viendrait à en tirer des conclusions philosophiques du style : « cela me prouve que Dieu n’existe pas et n’agit pas » serait regardé bizarrement par ses collègues!
Historiquement, des motivations théologiques spécifiquement chrétienne ont largement encouragé la pratique scientifique.
- Tout d’abord a émergée l’idée que la matière n’était pas éternelle, mais que Dieu avait créé le monde ex-nihilo (Jean 1 :1-3, Col. 1 :16). La création n’avait donc pas de statut divin et pouvait être étudiée.
- L’idée que Dieu a la liberté de créer l’univers qu’il souhaite, et pas celui que nous pensons qu’il aurait dû créer est également fondatrice de la démarche d’investigation scientifique.
- L’homogénéité ontologique de la création :
« la création est homogène dans le sens où toutes choses ont le même statut ontologique devant Dieu, en tant qu’objets de sa création et de son amour. Tour est « très bon » parce que Dieu l’a créé intégralement, esprit et matière. » (Colin Gunton, The Triune God, p.72)
Ceci a produit des motivations théologiques pour la pratique des sciences modernes :
- La création a une rationalité, un ordre contingent. Il nous faut donc observer la création pour voir ce que Dieu a choisi de faire. Notre investigation doit donc être empirique.
- Il nous faut considérer la création telle qu’elle est : ses entités, ses lois, ses principes…
Sur ces bases, les scientifiques du 17ème siècle comme Galilée ou Newton ont cherché empiriquement à modéliser les causes secondaires par lesquelles pour eux Dieu agissait.
Les buts de la science moderne ne sont pas différents dans la méthode. Il s’agit de comprendre la création et ses mécanismes tels qu’ils se présentent à nous.
Ceci implique un naturalisme méthodologique qui ne posait aucun problème aux premiers scientifiques chrétiens
Albert Magnus (13ème siècle)
« Albert reconnaissant (avec tous les autres penseurs médiévaux) que Dieu est la cause ultime de tout, mais il argumentait que Dieu utilise couramment des causes naturelles, et que l’obligation du philosophe naturel (« scientifique ») était de pousser celles-ci à leur limites…Albert soulignait que Dieu utilise des causes naturels pour accomplir ses buts ; et que le rôle du philosophe n’est pas de s’intéresser aux sources de la volonté de Dieu, mais d’enquêter sur les causes naturelles par lesquelles la volonté de Dieu produit ses effets. Introduire la volonté de Dieu dans une discussion philosophique (« scientifique »)…constituerait une violation des frontières entre philosophie et théologie. » (U. Chicago 2007, pp. 240-241)
Kepler, exégète de la nature
« En tant qu’astronomes, nous sommes prêtres du Dieu très haut en ce qui concerne le livre de la nature, nous sommes contraints à penser à la gloire de Dieu, et pas à la gloire de nos propres capacités…Ces lois peuvent être saisies par l’esprit humain ; Dieu voulait que nous les reconnaissions en nous créant à son image afin de pouvoir partager ses pensées. » (lettre à J.G. Herwart von Hohenburg, 26 mars 1598)
Au 21ème siècle, l’appréciation du naturalisme méthodologique s’est complètement éloignée de ses racines historiques, au point parfois d’être étroitement associé au naturalisme métaphysique.
« Le naturalisme méthodologique soutient que pour atteindre les objectifs que la science s’est fixés, on ne peut pas faire appel à des causes transcendantes, ainsi la recherche scientifique doit être effectuée comme si le naturalisme philosophique était vrai. »
On s’aperçoit avec une telle citation du déplacement historique et philosophique.
Si nous comprenons correctement les principe du naturalisme méthodologique, ses racines historiques, l’usage qu’en ont fait les scientifiques chrétiens dès le 17ème siècle, nous pouvons réaliser que des théories cosmologiques comme le Big Bang ou la théorie biologique de l’évolution ne sont que le fruit d’une application systématique de ce principe.