La prédation est-elle mauvaise?
J’ai pensé que cette magnifique vidéo pourrait intéresser les lecteurs de Science et Foi. Il montre de façon magistrale comment les loups (des « méchant » prédateurs) après avoir été réintroduit dans le parc Yellowstone, ont revitalisé la végétation, et aussi changé le comportement des herbivores qui appauvrissaient la végétation et l’environnement.
La prédation (i.e. le mode de nutrition des animaux qui vit de proie animale capturée vivante) est essentielle dans le règne animal pour la diversification et le renouvellement des espèces. Bien qu’elle puisse générer une souffrance physique, ce n’est pas de la « cruauté ». C’est un cycle naturel qui n’engendre pas chez les animaux de détresses spirituelles, psychologiques altérant leur vision du monde. De plus, les animaux ne tuent pas « pour rien », même si parfois cela semble le cas (par exemple les chats qui jouent « cruellement » avec leur proie… mais c’est dans l’optique de s’entraîner à la chasse.)
C’est différent chez les humains (bien sûr). Il est important de bien marquer les nuances dans ce que nous appelons le « mal ». Il ne faut pas confondre « mal physique » (douleur), « mal commis » (le péché) et « mal subi » (la souffrance). D’abord, ce qui est mal aux yeux de Dieu, c’est le mal-commis (i.e. le péché), c’est-à-dire les actes commis volontairement et consciemment contre la volonté révélée de Dieu. C’est de ces actes que surgissent la souffrance morale et psychologique telles que la solitude, l’anxiété, etc. Il serait vain de chercher le péché chez les animaux.
Au commencement du monde, plus précisément dans le règne animal et chez l’humanité naissante, il est raisonnable de penser d’après nos connaissances actuelles que le mal physique était une réalité, qui se manifestait comme douleur, maladie, catastrophe naturelle et mort. Selon la révélation biblique, c’est seulement après la « chute » de l’homme, qui est un « mal commis » – ou le péché des origines – qu’apparaissent la mort spirituelle et la souffrance qui y est associée. Le mal est alors entré dans l’ordre de l’existence/expérience humaine.
Le végétarisme d’avant la chute
Cela est-il cohérent avec les débuts de la Genèse ?
« Et Dieu dit : Voici, je vous ai donné toute herbe portant semence qui est sur la face de toute la terre, et tous les arbres qui ont un fruit d’arbre portant semence ; cela vous servira de nourriture. Et à tout animal de la terre et à tout oiseau des cieux et à tout ce qui se meut sur la terre ayant en soi une âme vivante, j’ai donné toute herbe pour nourriture. Et cela fut. » (Ge 1.29-30)
Dans le passage ci-dessus, Dieu semble donner à tous les vivants le végétarisme comme régime alimentaire. Même si on argumentait que la première humanité vivait d’une économie de cueillette, cela ne règlerait pas le problème de la prédation, nécessaire avons-nous dit, dans le règne animal. Est-ce « un obstacle fatal sur le chemin d’une exégèse évolutionniste »[1] de Genèse 1 ?
Au niveau exégétique, rien n’indique clairement que les animaux n’avaient qu’un seul régime alimentaire, à savoir le végétarisme. Nous ne pouvons pas conclure que Dieu interdit absolument aux animaux de manger de la chair. Le texte dit seulement qu’il donne aux animaux l’herbe, renvoyant au verset 11, ce qui inclue les plantes, les semences, les fruits, etc. Mais Dieu n’interdit pas formellement le régime carnivore. Voici maintenant une question herméneutique importante : ce que Dieu ne mentionne pas, l’interdit-il ? Ce qu’il ne mentionne pas formellement est-il envisageable? Voir à cet égard le dernier texte de Marc Fiquet « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? »[2]. Pour compléter l’aspect exégétique, nous pourrions ajouter que la description de l’alimentation des animaux n’était pas dans le propos du verset. Que penser par exemple des grenouilles qui mangent des insectes et non de l’herbe ? Le texte manifeste une intention : celle de voir une création en harmonie.
Allons un peu plus loin pour méditer théologiquement le sens de ce texte. L’une des idées-clé qui traverse de toute la Bible est celle d’une aspiration à une harmonie profonde entre la nature et l’homme, son chef. On retrouve cette idée par exemple chez Ésaïe dans les temps à venir: les animaux glorifieront Dieu (Es 43.20); la nature sera dans l’allégresse (44.23); « les arbres battront des mains! »
Dans le règne messianique décrit par Ésaïe, nous retrouvons deux célèbres passages mentionnant que : « le loup habitera avec l’agneau » (Es 11.6ss; 65.17-25). Dans ce dernier passage, la description de l’ère eschatologique ressemble beaucoup à un retour aux temps des origines. On voit par exemple un parallèle entre les temps messianique et la longévité des patriarches : « car les jours de mon peuple égaleront les jours des arbres » (v.22b). Le peuple n’aura plus rien à craindre (v.22a). Il n’y aura plus d’animosité entre les animaux (v.25a) ni même entre l’homme et les animaux. Les animaux ne seront plus hostiles à l’homme. Ésaïe déclare : « le serpent se nourrira de la poussière » (v.25b). Bref, tout sera pacifié. Comme au début… comme au début ? Tiens, exception faite du serpent…
Ici j’invite le lecteur qui réfléchit à cet intrigant renversement de situation par rapport au serpent, à réaliser que l’état primordial ne reflétait pas encore une situation d’harmonie parfaite entre l’homme et l’animal[3]. Que retrouvons-nous alors ? Il y a, à côté du jardin, les « champs » qui signifient « le lieu des animaux sauvages ». Il s’y trouve un serpent, apparemment « le plus rusé » qui fait office de représentant des animaux – son roi quoi. Le texte parle d’une confrontation, d’un test, d’une mise à l’épreuve.
Le serpent vient tenter l’homme. Il s’approche avec une arme secrète, un argument troublant. Il connaît quelque chose que l’homme ne sait pas : il sait ce qu’est la mort : « mais non, vous ne mourrez pas »… Implicitement, il se donne en modèle : prenez mon exemple. Car en effet, le serpent n’a pas accès au fruit de l’arbre de vie. Il sait ce qu’est ne pas être en relation avec Dieu. Il sait ce qu’est ne pas être « image de Dieu ». Bref, le serpent est tentateur en ce qu’il veut ramener l’humanité à son rang animal. Il veut l’attirer de son bord de la clôture. Il lui dit ici, tu deviendras « comme Dieu »… comme moi.
Nous savons que l’intention divine était de faire de l’humanité le gérant de la création avec l’ordre de se multiplier et de régner sur les animaux :
« Et Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Fructifiez et multipliez et remplissez la terre et soumettez-la, et assujettissez-vous les poissons de la mer et les oiseaux des cieux et tout animal qui se meut sur la terre. » (Ge 1.28).
Il est évident à la lumière de Ge 3 que l’affirmation en (Ge 1.28) n’était pas encore un état de fait. Celui-ci était à faire. Adam allait devoir inévitablement affronter « l’animal des champs », le serpent, figure du rival que l’homme trouve dans le monde créé. Il était appelé à devenir à la ressemblance de Dieu, non à celle du règne animal. Adam, figure à la fois individuelle et collective, ne devait pas imiter ni écouter la voix qui reflétait une pensée animale, naturelle et psychique; comme dit Paul : « l’homme naturel ne reçoit point les choses qui sont de l’Esprit de Dieu » (1 Co 2.14). Le serpent, figure du règne animal, puis figure de tentation et enfin figure de l’idolâtrie païenne amorce en l’humanité naissante la convoitise (Ja 1. 13-15) qui sera le piège constant d’Israël et de l’humanité.
Nous savons comment l’homme s’est laissé abuser ; il s’est malheureusement soumis à une logique « animale »; une logique « terrestre » de division et de compétition comme dans le règne animal. Cette logique a fini par être celle de l’idolâtrie et du polythéisme. Il aurait pu en être autrement. Car Dieu lui avait donné la liberté de ne pas se conformer à cette logique néfaste pour sa vocation. Le mal est ainsi entré dans l’ordre existence/expérience humaine.
En conclusion,
la vision exprimée dans le récit fondateur de Ge 1 n’est pas là pour montrer qu’il y a eu, en effet, un monde végétarien idyllique sans douleur. Le propos n’était pas tant d’exprimer un état de fait plutôt que de révéler l’intention divine pour la création. Il exprime le désir et l’espérance de voir son projet d’unité et de paix se réaliser. Dieu voit la réalisation eschatologique de ces choses en Jésus, le premier-né de la création et son aboutissement. Cela est annoncé par les prophètes, répété dans le NT (Ap 20-21). Dieu voit toujours le caractère très bon de notre appel, dans son aboutissement final, même si ce n’est pas encore réalisé. Ne nous décourageons-pas !
NOTES
[1] Egbert Egberts dans Les vrais problèmes du faux problème de l’évolution, une analyse critique de : Roger LEFEBVRE, Le faux problème de l’évolution, Science et foi.com, 2013, 346 pages. Réponse rendue publique
[3] Notre exégèse montre qu’il y a 7 éléments dans le texte qui montre une continuité entre l’Adam d’avant et d’après la chute, ce qui pousse à croire que l’état idyllique d’un monde sans souffrance est un mythe qui ne reflète pas ce que le texte dit. J’en mentionne 5 ici : http://lebigbadbruno.blogspot.ca/2013/12/redecouvrir-genese-2-au-cur-de.html