crédit illustration : Wikimedia Commons. Une caricature de Darwin parue dans un journal satirique en 1871
Ce mois-ci marque un siècle depuis que le procès Scopes plus connu sous le nom de « Procès du Singe », a captivé l’attention du monde entier. Du 10 au 21 juillet 1925, cette affaire juridique américaine est devenue un point de référence historique majeur après l’affaire Galilée pour comprendre les interactions complexes entre progrès scientifique et croyances religieuses.
Le surnom de l’affaire, donné par le journaliste H. L. Mencken, laisse clairement entrevoir le sensationnalisme qui l’a entourée, transformant un simple conflit juridique local en un spectacle d’envergure mondial.
Au-delà d’un simple procès, cet événement s’est en effet transformé en un affrontement spectaculaire entre les valeurs traditionnelles et modernes de l’Amérique des années 1920. Il a propulsé la question controversée de l’évolution au cœur du débat public, initiant un dialogue qui résonne encore aujourd’hui. Le procès a révélé des divisions sociétales profondes et des préoccupations liées à la modernisation et aux évolutions du rôle de la science dans la société. L’héritage durable du Procès du Singe ne réside pas tant dans son issue juridique – qui fut annulée pour un vice de procédure – que dans son impact profond sur la perception publique et la manière dont le débat entre science et foi a été formulé. Il est devenu un récit impactant, un véritable « drame », qui a simplifié des questions complexes en un conflit binaire « science contre religion », façonnant les discussions ultérieures pour des décennies.
Cela faisait un petit moment que nous n’avions pas publié de série sur notre blog, voilà une bonne occasion pour y remédier 😉
Dans ce premier article, nous nous attacherons au contexte historique du procès, puis nous aborderons les sujets suivants dans trois articles complémentaires :
- Darwin, l’athéisme et les préjugés persistants
- Répercussions en France : un écho lointain mais présent
- Leçons pour les milieux scientifiques et religieux
I. Le Procès du Singe : Une Synthèse Historique
A. Contexte et Déclenchement
Le Procès du Singe a pris racine dans la loi Butler, une législation de l’État du Tennessee adoptée en mars 1925. Cette loi interdisait explicitement l’enseignement de « toute théorie niant le récit de la Création divine de l’homme tel qu’enseigné dans la Bible, et enseignant à la place que l’homme est descendu d’un ordre inférieur d’animaux[1] » dans les écoles publiques financées par l’État. Cette loi représentait une victoire significative pour le mouvement anti-évolutionniste naissant, dont William Jennings Bryan était un ardent défenseur.
L’American Civil Liberties Union (ACLU) a immédiatement perçu la loi Butler comme une menace directe à la liberté intellectuelle et à la recherche scientifique. L’organisation a publiquement proposé de défendre tout enseignant poursuivi en vertu de cette loi. John T. Scopes, un jeune professeur de mathématiques et de sciences de 24 ans, aussi entraîneur de football au lycée de Dayton dans le Tennessee, s’est porté volontaire pour être le défendeur dans ce qui était délibérément un procès test. Scopes lui-même n’était pas certain d’avoir explicitement enseigné l’évolution, mais il s’est délibérément incriminé pour permettre au procès de se dérouler. La communauté locale de Dayton, soucieuse d’attirer l’attention et de revitaliser son économie, a activement facilité l’organisation du procès.
B. Les Figures Emblématiques et le Spectacle Judiciaire
Le procès a été marqué par la confrontation de deux géants du droit et de la rhétorique. L’accusation était menée par William Jennings Bryan, une figure imposante de la politique américaine, ancien Secrétaire d’État et trois fois candidat à la présidence, devenu le porte-parole fondamentaliste chrétien le plus célèbre du pays et un militant anti-évolutionniste. Face à lui se tenait Clarence Darrow, l’un des avocats de la défense pénale les plus renommés des États-Unis et un agnostique déclaré, qui a offert ses services bénévolement à la défense.
La présence de ces deux figures emblématiques, combinée à la nature explosive du débat, a garanti une attention médiatique sans précédent. Le procès, qui s’est déroulé du 10 au 21 juillet 1925, a attiré des milliers de spectateurs et plus de 100 journalistes quotidiens. Il s’agissait du premier procès américain à être diffusé en direct à la radio, portant le drame judiciaire dans des millions de foyers. L’atmosphère à Dayton a été décrite comme un mélange de « foire d’État » et de « réveil religieux ».[2]
Les débats ont été marqués par les arguments passionnés de Darrow contre l’inconstitutionnalité de la loi Butler, affirmant qu’elle violait la liberté de religion. Le point culminant est survenu lorsque Darrow, dans une manœuvre juridique audacieuse, a appelé Bryan à la barre en tant que témoin expert de la Bible. Sous le contre-interrogatoire implacable de Darrow, Bryan a eu du mal à défendre une interprétation littérale des récits bibliques, révélant des contradictions et des limites dans ses connaissances. Darrow a déclaré que son objectif était de « jeter le ridicule sur quiconque croit en la Bible », tandis que Bryan a accusé la défense de chercher à « ridiculiser tout chrétien qui croit en la Bible »[3].
C. Le Verdict et ses Conséquences Immédiates
Le jury a déclaré John Scopes coupable d’avoir enfreint la loi Butler, et il a été condamné à une amende de 100 dollars. Bien que Bryan et les anti-évolutionnistes aient initialement revendiqué la victoire, la Cour suprême du Tennessee a par la suite annulé la condamnation de Scopes pour un vice de procédure, empêchant l’affaire d’atteindre la Cour suprême des États-Unis et évitant ainsi un jugement constitutionnel direct.
Dans le jugement de l’opinion publique, la cause fondamentaliste a été largement perçue comme ayant perdu. La presse, en particulier, a souligné que Bryan, malgré sa victoire légale, avait perdu le débat. Bien que la loi Butler soit restée en vigueur jusqu’en 1967, elle n’a plus jamais été appliquée après le procès. De plus, les lois interdisant l’enseignement de l’évolution ont été abrogées dans 22 autres États au cours des deux années suivantes. Cependant, le procès a eu un « effet dissuasif » sur l’enseignement de l’évolution, et le sujet a largement disparu des manuels scolaires américains jusque dans les années 1960.
Le Procès du Singe, délibérément mis en scène comme un « procès test » par l’ACLU dans le but de contester la loi Butler et de la porter devant la Cour suprême des États-Unis, a démontré que les batailles juridiques, surtout celles qui bénéficient d’une grande visibilité publique, peuvent avoir des conséquences culturelles profondes qui dépassent leurs résultats légaux formels.
Ce procès est également un reflet des préoccupations sociales plus larges associées aux changements culturels et à la modernisation qui ont caractérisé les années 1920 aux États-Unis. Il a explicitement lié le débat sur l’évolution à des changements sociétaux plus vastes, les évangéliques américains s’opposant à des forces telles que le jazz, la permissivité sexuelle et les films hollywoodiens jugés provocateurs, qu’ils considéraient comme sapant l’autorité. Le « Procès du Singe » est ainsi devenu un champ de bataille symbolique où les préoccupations concernant l’évolution des valeurs sociales et l’autorité croissante de la science ont convergé. Il s’agissait moins de la validité scientifique de l’évolution elle-même que de savoir qui détenait l’autorité morale et intellectuelle dans une Amérique en pleine modernisation : les institutions religieuses traditionnelles prônant des interprétations littérales de la Bible, ou les forces scientifiques et laïques modernes défendant la liberté académique et la compréhension scientifique. Ce contexte culturel plus large explique sa résonance durable en tant que récit fondateur du débat science-foi aux États-Unis.
Notes
[1] https://en.wikipedia.org/wiki/Scopes_trial
[2] https://www.ebsco.com/research-starters/law/analysis-impressions-scopes-trial
[3] https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC1175976/
Sources
WIkipedia, le procès du singe, consulté le 23/11/2025,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_du_singe
WIkipedia, Scopes_trial, consulté le 23/11/2025,
https://en.wikipedia.org/wiki/Scopes_trial
ACLU History: Maintaining the Wall: Freedom of – and From – Religion | American Civil Liberties Union, consulté le 23/11/2025, https://www.aclu.org/documents/aclu-history-maintaining-wall-freedom-and-religion
Vanderbilt University, Examining the Scopes ‘Monkey’ Trial 100 years later; Dialogue Vanderbilt to host events, consulté le 23/11/2025, https://news.vanderbilt.edu/2025/01/27/examining-the-scopes-monkey-trial-100-years-later-dialogue-vanderbilt-to-host-events/
Free Speech Center, Scopes Monkey Trial | The First Amendment Encyclopedia, consulté le 23/11/2025, https://firstamendment.mtsu.edu/article/scopes-monkey-trial/
PBS.org, Evolution: Library: Scopes Trial – PBS, consulté le 23/11/2025, https://www.pbs.org/wgbh/evolution/library/08/2/l_082_01.html
Britanica, 1925, Significance, Monkey Trial, Clarence Darrow, William Jennings Bryan, & Butler Act |, consulté le juillet 23, 2025, https://www.britannica.com/event/Scopes-Trial
Analysis: Impressions of the Scopes Trial | EBSCO Research Starters, consulté le 23/11/2025, https://www.ebsco.com/research-starters/law/analysis-impressions-scopes-trial
State of Tennessee v. Scopes | American Civil Liberties Union, consulté le 23/11/2025, https://www.aclu.org/documents/state-tennessee-v-scopes
Scopes Trial, evolution, creationism, John Scopes, 1925, Tennessee, science vs. religion, legal case, American education – Bill of Rights Institute, consulté le 23/11/2025, https://billofrightsinstitute.org/essays/the-scopes-trial
Eighty years ago – PMC – PubMed Central, consulté le 23/11/2025, https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC1175976/
A Courtroom Drama – National Archives Foundation, consulté le 23/11/2025, https://archivesfoundation.org/newsletter/a-courtroom-drama/
www.aclu.org, consulté le juillet 23/11/2025, https://www.aclu.org/documents/state-tennessee-v-scopes#:~:text=In%20March%201925%2C%20the%20Tennessee,teacher%20prosecuted%20under%20the%20law.