Préambule
Les chrétiens attachés à l’inspiration des Écritures ne peuvent faire l’impasse sur une lecture biblique qui ose remettre en question les lieux communs hérités de la Tradition : ce sont des habitudes de penser devenues communes et si bien admises que l’on n’imagine même pas qu’elles pourraient être mises en question . Comme la plupart des croyants élevés dans la foi chrétienne, je me suis trouvé confronté à certaines incohérences dogmatiques qui, sans mettre ma foi en cause, pouvaient se révéler troublantes, dans la mesure où elles ne résistent pas à une confrontation biblique plus approfondie. Leur ensemble sera bientôt publié par Science & Foi, sous le titre : Tous punis à cause d’Adam ?
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Remarque : Cet article est un extrait du livre, le lecteur devra donc prendre en compte que pour une bonne compréhension des propos de l’auteur, le contexte de l’ensemble du chapitre pourrait être nécessaire. Ces quelques lignes permettront néanmoins à chacun de se faire une bonne idée de la tonalité de l’ouvrage et de pouvoir participer à la réflexion.
LES PREMIERS HUMAINS FURENT-ILS CRÉÉS IMMORTELS ?
Parmi d’autres idées reçues ne résistant pas à la lecture du texte biblique – même littérale – on ne peut manquer celle qui affirme que les premiers humains auraient été créés physiquement immortels. Pourtant, rien n’est plus faux ! La preuve ? C’est qu’ils échappaient seulement à la mort dans la mesure où ils pouvaient avoir accès à l’arbre de vie. Ce que le Créateur confirme lui-même, puisqu’à peine chassés du jardin d’Éden, leur nature mortelle s’est imposée, du seul fait qu’il leur était désormais interdit « de tendre la main pour prendre du fruit de l’arbre de vie, en manger et vivre toujours. » (Genèse 3.22) La conclusion s’impose comme d’elle-même : s’il ne fut plus question pour les humains de vivre éternellement, c’est bien parce qu’ils étaient déjà mortels avant de manger le fruit défendu.
Certains objecteront peut-être que ce passage arrive après la chute ; si bien que c’était seulement après celle-ci que les hommes auraient eu besoin de l’arbre de vie pour être immortels, alors qu’ils n’avaient jamais eu besoin d’en manger avant. À première vue, l’argument pourrait paraître valide, mais il ne l’est plus si l’on considère le contexte. En effet, pourquoi Dieu aurait-il mis cet arbre de vie dans le jardin (2.9) pour que les humains puissent en manger (3.2), si c’était juste pour le regarder, et s’il ne pouvait avoir d’utilité que pour ceux qui en seraient expulsés et qui, de ce fait, n’y auraient plus accès.
Autrement dit, si les premiers humains avaient été naturellement immortels, cela suppose que Dieu aurait créé cet arbre de vie uniquement en cas de faute de leur part, mais de toute façon, avec l’intention de leur en interdire l’accès : c’est totalement incohérent ! Et s’il avait suffi d’en manger une seule fois pour se voir conférer l’immortalité, Adam et Ève auraient eu largement le temps d’y accéder entre leur faute et le soir du même jour, quand Dieu est venu vers eux pour leur parler et leur en interdire l’accès. (3.8)
La Bible elle-même nous enseigne donc qu’Adam et Ève furent bien créés mortels, puisque leur « non-mortalité » n’était pas liée à la nature supposée éternelle que la Tradition leur attribue. En réalité, vivre éternellement dépendait uniquement de l’accès qu’ils pouvaient avoir à l’arbre de vie planté au milieu du jardin. Il en fut de même pour leur descendance, évidemment, puisque celle-ci s’est développée à l’extérieur du jardin d’Éden sévèrement gardé par « les chéroubim et l’épée flamboyante qui tournoie, pour garder le chemin de l’arbre de la vie. » Dès lors, si nos premiers parents étaient déjà mortels avant le péché, la mort était déjà présente dans leurs gènes, même si l’antidote que leur offrait l’arbre de vie l’empêchait de se manifester. On peut donc dire qu’elle est entrée dans le monde en même temps qu’eux, lorsque chassés d’Éden et ils se sont trouvés privés de tout accès à l’« arbre de vie ». C’est donc bien un couple potentiellement pécheur et mortel que Dieu expulsa de son jardin vers le monde extérieur. C’est d’ailleurs ce que confirmera l’apôtre Paul :
C’est pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort…
(Romains 5.12a)
Évidemment, de ce fait, leur descendance se trouva également mortelle, puisque privée de l’accès à l’arbre de vie : ce qui, à première vue, pourrait paraître injuste. Mais sans l’être le moins du monde, nous dit Paul, car si cette postérité fut à son tour mortelle, ce fut à cause de ses propres péchés, et non à cause du péché de leurs parents :
Ainsi la mort a passé sur tous les hommes, parce que tous ont péché…
(Romains 5.12b)
Constatons déjà que l’apôtre relève ici cette évidence, sans faire la moindre allusion à la possibilité d’une transmission du péché de nos premiers parents à leur descendance. Cette absence d’explication, bien sûr, appelle l’étude détaillée de Romains 5.12-21.
Du point de vue philosophique, l’image est belle en ce qu’elle montre bien que la mort n’existe pas en tant que telle, mais en tant que privation de la vie. Du point de vue philologique, il est aussi intéressant de noter qu’en hébreu, « hebel » – néant, vanité, chose vaine – induit l’une des conceptions du mal en suggérant que le péché est aussi ce qui devrait être, mais qui n’est pas… ou qui n’est plus ! Par ailleurs, à la lumière du Nouveau Testament, le croyant se trouve devant une nouvelle question, non seulement de bon sens, mais surtout déterminante du point de vue théologique. En effet, comment Adam aurait-il pu connaître la vie éternelle dans un corps périssable ? Et surtout dans un jardin d’Éden installé sur une terre qui avait eu un début et qui devait avoir une fin.[1] De plus, nous autres chrétiens savons bien que la vie éternelle n’est pas possible dans un corps terrestre, mais seulement dans un corps glorieux semblable à celui du Christ ressuscité. C’est du moins ce que Paul enseigne.
1 Corinthiens 15.42-50 : « 42 Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Semé périssable, on se réveille impérissable. 43 Semé dans le déshonneur, on se réveille dans la gloire. Semé dans la faiblesse, on se réveille dans la puissance. 44 Semé corps naturel, on se réveille corps spirituel. S’il y a un corps naturel, il y a aussi un corps spirituel. 45 C’est pourquoi il est écrit : Le premier homme, Adam, devint un être vivant, naturel. Le dernier Adam, lui, est devenu un esprit qui fait vivre. 46 Ce n’est pas le spirituel qui est premier, c’est le naturel ; le spirituel vient ensuite. 47 Le premier homme, tiré de la terre, est fait de poussière. Le deuxième homme vient du ciel. 48 Tel est celui qui est fait de poussière, tels sont aussi ceux qui sont faits de poussière ; et tel est le céleste, tels sont aussi les célestes. 49 Et de même que nous avons porté l’image de celui qui est fait de poussière, nous porterons aussi l’image du céleste. 50 Ce que je dis, mes frères, c’est que la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu, et que le périssable n’hérite pas l’impérissable. »
On ne pourrait être plus clair ! Imaginons un instant que nos premiers parents n’aient jamais péché. Force nous est de conclure que la vie éternelle – dans un corps céleste, semblable à celui du Christ ressuscité – leur aurait été inaccessible, puisque de toute façon, ils auraient continué à vivre dans un corps « tiré de la terre et fait de la poussière du sol ». Ici encore, on constate que la doctrine de la chute se trouve en porte-à-faux par rapport à l’enseignement du Nouveau Testament. En effet, même sans la chute, tout accès à la vie éternelle dans un corps glorieux eût été impossible aux humains sans la rédemption en Jésus-Christ.
Ce serait donc grâce à cette chute que la glorification de la chair est devenue possible en Jésus-Christ, par le moyen de la rédemption du croyant et la résurrection qui lui est promise. Vous avez dit bizarre ? Ce l’est, en effet ! Car cela suppose un Dieu machiavélique qui aurait lui-même organisé la chute de sa créature pour mieux la sauver par la suite. Même en admettant l’hypothèse que Dieu n’avait pas voulu la « chute », on constate qu’il n’y a pas fait obstacle, sinon par son interdiction de manger le fruit défendu. Mais comme la chute de l’homme ne pouvait échapper à sa prescience, force nous est de constater que Dieu l’a tolérée. Peu ou prou, et bien que de façon indirecte, il y est donc associé : ce qui, pour les tenants du péché originel, pose tout de même un fameux problème éthique et spirituel.
Indépendamment de la nécessité théologique d’être mortel pour pouvoir ressusciter dans un corps glorieux, la mort – de façon absolue – existait déjà dans la nature dès le début de la création comme une nécessité inhérente à la pérennité de la vie elle-même ; ce que Jésus confirmera dans sa célèbre parole :
Jésus leur répondit : L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
(Jean 12.23-24)
Toute comparaison a ses limites : la graine ne meurt pas vraiment puisque sa vie se prolonge dans la plante à laquelle elle donne naissance. Mais la parole de Jésus éclaire notre propos en ce qu’il montre bien que la mort perd toute connotation scandaleuse, dès lors qu’elle s’inscrit dans le cycle de la vie. Ce qui était déjà le cas de tous les organismes vivants – végétaux et animaux – présents sur la terre avant l’apparition des humains. Ce qui est toujours le cas des micro-organismes qui vivent et meurent dans nos intestins, et sans lesquels nous ne pourrions pas vivre. Serait-il exclu de parler de la mort, quand elle atteint des êtres vivants minuscules ? Face à la mort, pareille ségrégation serait aussi absurde qu’injuste. Sinon à reconnaître que la mort est la partenaire naturelle de la vie. Et même, en ce qui concerne les rachetés, c’est elle qui nous ouvre la porte de la vie éternelle via la Rédemption et la résurrection.
Note
[1] Voilà bien quelque chose sur quoi la science et la Bible se rejoignent. D’une part, notre univers a bien eu un « commencement ». D’autre part, comme toutes les étoiles, le soleil a une durée de vie limitée ; et, si cela ne survient pas avant qu’il ne disparaisse en supernova – et la terre avec lui – on peut compter sur les humains qui sont aussi très doués en matière de destruction massive ! Perspective que l’apôtre Pierre confirme par ailleurs : « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur. En ce jour-là, les cieux passeront avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, et la terre, avec les œuvres qu’elle renferme, sera consumée. Puisque tout cela est en voie de dissolution, combien votre conduite et votre piété doivent être saintes ! Attendez et hâtez l’avènement du jour de Dieu, où les cieux enflammés se dissoudront et où les éléments embrasés se fondront. Mais nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera. » (2 Pierre 3.10-13)