L’équipe Science & Foi n’a malheureusement pas eu l’occasion d’assister « au Grand Débat de Sciences et Avenir « Dieu et la science » qui s’est déroulé les 10 et 11 avril 2015 dans le magnifique Collège des Bernardins, à Paris. Il a connu une telle affluence que les organisateurs n’ont pas pu accueillir tous ceux qui auraient voulu y assister. »

En tout cas, le succès de cet événement démontre que les thèmes abordés sur le site www.scienceetfoi.com suscite un réel intérêt chez nos contemporains.

Vous trouverez ici de courts extraits vidéo du discours inaugural du philosophe Luc Ferry, égal à lui-même, en humaniste non croyant mais pas vindicatif .

Plusieurs thèmes sont abordés

  • « Une lecture non littérale des textes sacrés » :

Nous souscrivons bien entendu à cette approche en ce qui concerne les textes bibliques nous parlant de la création du monde, puisque nous sommes des « non-concordistes ». Luc Ferry cite Origène, que nous reprenons dans cet article

« Origène est bien connu pour Sur les Principes et Contre Celse, il y énonce les principales doctrines du Christianisme et les défend contre des accusations païennes. Sur les Principes nous propose la perspective suivante à propos du récit de la création dans la Genèse :

« Quelle personne intelligente considérera comme une affirmation sensée que les trois premiers jours, pour lesquels il est dit qu’il y eut un matin et un soir, existèrent sans soleil, sans lune et sans étoiles, alors qu’il n’y avait même pas de ciel le premier jour ? […] Personne ne doute qu’il s’agit là d’expressions figurées qui nous indiquent certains mystères au travers d’un semblant de récit historique. »

 brain with arms, legs and handcuffs

Il y a une certaine ironie à constater qu’un philosophe athée est plus pointu dans son « herméneutique » que certains croyants ! De façon tristement réductrice, Luc Ferry questionne la possibilité même à un philosophe d’être chrétien…

  • « Luc Ferry explique que « la raison ne peut pas prouver Dieu ». Le philosophe rappelle ainsi qu’« une hypothèse n’est scientifique que si elle est réfutable ». Or, ni l’énoncé « Dieu existe » ni son opposé « Dieu n’existe pas » ne peuvent être réfutés ! »

Luc Ferry glisse subrepticement du terrain de la science à celui de la philosophie, voire la théologie. Il passe en revue les preuves « philosophiques » classiques de l’existence de Dieu avant de les réfuter. La confusion dans le cadre de cette introduction entre science et raison est vraiment gênante. Les questions d’ordre philosophique auraient mérité un traitement clairement à part. Nous prolongeons la réflexion dans deux petits articles

La raison peut-elle mener au vestibule de la foi ?

Pourquoi la foi et la raison devraient marcher ensemble : Extrait

« Nous ne pouvons pas limiter l’investigation du réel qu’aux seules choses visibles et mesurables. Le scientifique et pasteur anglican John Polkinghorne déclare que

La science soulève des questions qui pointent au-delà d’elle-même et transcende son pouvoir d’investigation

La science et la raison naturelle conduisent au vestibule de la foi en soulevant des questions d’ordre spirituel qui sortent de son champ de compétence.

Deuxièmement, limiter l’investigation du réel à la science et à ce qui peut être prouvé scientifiquement est une forme d’enfermement de la raison.

  • Pourquoi n’existerait-il pas autre chose indémontrable par la raison ?
  • Pourquoi n’existerait-il aucune transcendance à la raison ?

Ce choix a priori de l’enfermement est en soit un acte de foi. Ce choix bloque un champ d’investigation d’un niveau de réalité supérieur. »

heart with arms and handcuffs on hands

C’était sans doute trop demander à Luc Ferry de mettre autant de zèle à dénoncer le scientisme qu’il ne le fait à combattre le créationnisme…

  • « Enfin, l’ancien ministre de l’Éducation nationale fait sienne la position développée par le paléontologue américain Stephen Jay Gould, celle du « non-recouvrement des magistères? » (ou « NOMA », selon l’acronyme anglais) : « Surtout que religion et science n’interviennent jamais l’une dans l’autre », a-t-il lancé. »

Cette vision des relations science/foi nous paraît étriquée. Sans qu’un domaine empiète sur l’autre, on peut envisager un dialogue enrichissant entre ces deux domaines complémentaires.

Nous développons cette idée : quelle est la relation appropriée entre la science et foi ?

« La vision de Gould (NOMA) est injustement restrictive parce que la foi étend ses cordages bien au-delà du domaine des valeurs. En fait, la foi chrétienne contient des affirmations d’ordre métaphysique, comme l’existence d’entités surnaturelles : Dieu, la loi morale, la vie après la mort, etc.

Il n’est pourtant pas suffisant de montrer que le non chevauchement des magistères contient une mauvaise définition de la science et de la foi. L’objectif central de cette vision des choses est d’affirmer que la science et la foi n’interagissent pas, n’ont pas besoin d’interagir, et ne devraient pas interagir. Nous donnons des exemples du contraire ci-dessous. »

 

Comme je l’explique dans cette vidéo (« la science a-t-elle éliminée Dieu ? »), la démarche scientifique repose sur des axiomes indémontrables auxquels la vision chrétienne du monde donne tout son sens (l’existence d’un ordre à découvrir à découvrir, le fait que nous soyons mentalement capables de découvrir cet ordre…)

Dommage qu’il n’y ait pas non plus eu un mot sur les bienfaits que la démarche scientifique peut apporter à l’interprétation des textes bibliques, rien (en tout cas dans mes extraits choisis) sur les limites de la démarche scientifique et les questions existentielles légitimes que chacun se posent et qui ne trouvent de réponse que dans une démarche métaphysique…de foi ou de non foi : le sens (ou l’absence de sens) de la vie, les fondements ultimes de nos valeurs, le bien et le mal….

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Pour « compléter » les propos de Luc Ferry. Je vous propose de découvrir l’approche du théologien et scientifique de l’université d’Oxford Alister Mc Grath à propos de la « théologie naturelle », expression qui prend un sens tout différent que celui qu’on a pu lui donner par le passé. Il ne se place pas là sur un terrain purement scientifique, mais comme Luc Ferry, il aborde la question du sens que ne manquent pas de susciter les découvertes de la science.

 

L’idée maîtresse d’Alister McGrath rejoint par certains aspects les préoccupations de Luc Ferry, mais va bien au-delà, en proposant de faire dialoguer la science et la foi dans une vision chrétienne unifiée du monde satisfaisante pour l’intellect, mais aussi pour l’âme et pour l’esprit !

« Durant les 50 dernières année, un consensus s’est fait jour pour reconnaître que la « nature » ou le « naturel », loin d’être des entités autonomes et objectives, telles que le supposait la philosophie des Lumières, sont des notions conceptuellement malléables, ouvertes à des interprétations multiples…

[La nature] est une entité interprétée, qui demande une réinterprétation, en étant « vue » d’une autre façon…

La théologie naturelle est ainsi comprise comme l’action de « voir » la nature à partir d’une perspective spécifiquement chrétienne. Ceci implique le rejet de la version de la théologie naturelle inspirée par les Lumières comme une tentative de démontrer les attributs et l’existence de Dieu à partir des données de la nature. La nature est plutôt vue à partir d’une perspective chrétienne traditionnelle, avec ses notions spécifiques de Dieu, de nature, et d’agent humain. McGrath soutient qu’on peut observer un degré significatif de résonance ou de consonance entre la théorie et l’observation. En d’autres mots, il existe un accord empirique important entre la vision trinitaire de la réalité et ce que chacun peut observer.

Ceci ne constitue pas une preuve de la véracité du Dieu du christianisme…La théologie naturelle ne doit pas être comprise comme une tentative de déduire l’existence de Dieu de la nature, mais de la mise en évidence de la capacité de la foi chrétienne à donner sens à ce que nous observons. »

Science and Religion, A New Introduction  chez Wiley-Blackwell p227

Nous développons cette idée dans cet article, compte rendu d’une conférence à laquelle nous avons assisté en juillet 2014 à Oxford.

 Conclusion:

Parlant d’un sujet à propos duquel personne ne peut être vraiment « neutre » (et nous non plus!), Luc Ferry a dénoncé à juste raison certaines dérives. Dans cette dénonciation, il a malheureusement été quelque peu dissymétrique. Il n’est apparemment pas partisan d’un dialogue constructif entre foi et science, ce que bien sûr nous jugeons regrettable!