Un donut chaud autour d’une zone circulaire sombre.
Les trous noirs existent.
Dans une étoile comme le soleil, la fusion nucléaire qui opère au centre génère une pression qui balance la gravité. Mais la fusion ne dure pas éternellement. Une cheminée ne peut brûler que le bois qu’on y a mis. Il arrive donc un moment où l’étoile a fusionné tout ce qu’elle pouvait à partir de sa composition initiale. Quand cela arrive, plus rien ne s’oppose à la gravité, et l’étoile s’effondre sous son propre poids. Si elle est assez massive (quelque masses solaires), rien ne peut enrayer son effondrement. Elle devient un trou noir, l’une des prédictions les plus extrêmes de la Relativité Générale (RG) d’Einstein.
L’existence des trous noirs est donc prévue depuis presque 100 ans (j’abrège). L’une de leur caractéristique les plus exotique est l’existence d’un « horizon des évènements » les entourant. Une distance en deçà de laquelle rien ne peut échapper du trou noir, pas même la lumière (d’où le nom « trou noir »).
Certes, des étoiles en fin de vie, il y en a plein. Certes, la RG a jusqu’ici passé tous les tests qu’on lui a infligé. Mais les trous noirs sont si bizarres que beaucoup ont cherché des preuves de leur existence. Citons ici les 20 années d’observation d’étoiles tournant autour de « quelque chose », au centre de notre galaxie. L’analyse de leurs trajectoires a permis de déduire qu’elles orbitent autour d’un objet de 4 millions de masses solaires, compris dans un volume ridicule pour cette masse. Citons également la récente détection d’ondes gravitationnelles dont l’analyse a révélé qu’elles provenaient de la fusion de trous noirs.
Mais l’on avait encore jamais vu un trou noir.
Jusqu’à aujourd’hui.
Mais… comment peut-on voir quelque chose qui n’émet aucune lumière ? Bonne question.
Ce qu’on peut voir, c’est la lumière du gaz ultra chaud tournant autour du trou noir avant de s’y engouffrer. Lumière horriblement distordue car dans ces contrées, rien de va droit, pas même elle. Bien avant d’avoir franchi sans retour l’horizon des évènements, la lumière est courbée par la gravité extrême qui règne à proximité du trou noir. La théorie prévoit ainsi qu’en regardant un trou noir, on doit voir un donut de gaz chaud orbitant autour d’une zone circulaire sombre nommée « l’ombre du trou noir ». Cette ombre est juste un peu plus grande que l’horizon du trou noir.
Le rêve de prendre une photo d’un horizon des évènements s’est réalisé aujourd’hui. Pour atteindre la résolution nécessaire, les 200 membres de la collaboration internationale « Event Horizon Telescope » ont coordonné précisément les observations simultanées de 8 télescopes dans le monde entier, Antarctique incluse.
Il y a dans l’équipe des gens que je connais depuis des années et qui étaient sur le pied de guerre quand j’ai visité Harvard en juin 2018. Aujourd’hui, je suis vraiment, vraiment, heureux et ému, pour et avec eux.
La technique employée permet d’avoir la puissance équivalente à celle d’un télescope qui aurait le diamètre de la terre. Les observations simultanées furent faites en Avril 2017, générant plusieurs millions de Giga-octets de données. Quatre équipes différentes se chargèrent ensuite, chacune de son côté, d’extraire les images de ces données. Elles mirent leurs résultats, très semblables les uns aux autres, en commun l’été dernier. Après une foule de vérifications supplémentaires, elles viennent de rendre publique la première image du trou noir qui gronde au cœur de la galaxie M87: