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Toute la presse en parle : Les États-Unis viennent de franchir une étape historique vers une énergie inépuisable grâce à la fusion nucléaire.
Voyons de quoi il s’agit.
Qu’est-ce que la fusion nucléaire ?
Un atome est un noyau composé de protons et de neutrons, avec des électrons qui dansent autour. Les noyaux des atomes peuvent réagir les uns avec les autres. Ils peuvent se briser en morceaux, ou bien fusionner. Parmi tous les phénomènes qui peuvent se produire entre les noyaux, seuls deux types de réactions permettent d’extraire de l’énergie :
- Couper un gros noyau en 2. C’est la fission. Les bombes qui sont tombées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945 exploitaient ce principe. Les 420 et quelques centrales nucléaires qui produisent de l’électricité dans le monde utilisent également ce principe. La première centrale a commencé à produire de l’électricité en 1954, seulement 9 ans après les bombes.
- Fusionner 2 petits noyaux. C’est ce qu’on appelle la fusion. La « bombe H » exploite ce principe. Le premier essai d’une bombe H a eu lieu en 1952. Aujourd’hui, 70 ans plus tard, il n’existe toujours pas de centrale nucléaire produisant de l’électricité à partir de la fusion. Apparemment, la fusion est plus difficile à contrôler que la fission.
Soit dit en passant, la fusion est la source d’énergie du Soleil et des autres étoiles.
Pourquoi la fusion nucléaire est-elle si difficile à contrôler ?
Le lecteur se souviendra surement de ceci : les charges opposées s’attirent. Les charges de même signe se repoussent. Bien. Ça suffit pour comprendre pourquoi la fission est facile alors que la fusion ne l’est pas.
Il est facile de couper un gros noyau en deux : il suffit de lui donner un neutron à manger. Tandis que le neutron s’approche du noyau, il en voit les neutrons et les protons. Comme le neutron est… neutre, les protons du noyau ne l’attirent ni ne le repoussent. Il poursuit son petit bonhomme de chemin jusqu’à ce qu’il pénètre le noyau et le divise.
Supposons maintenant que je veuille fusionner deux noyaux légers. Deux noyaux d’hydrogène, par exemple, chacun constitué d’un seul proton. Tandis qu’ils s’approchent l’un de l’autre pour fusionner, les protons se voient. Étant du même signe, ils se repoussent, comme on nous l’a dit à l’école. Il faut beaucoup insister pour les rapprocher. Et lorsqu’ils sont suffisamment proches les uns des autres, un autre phénomène dont on ne nous a pas parlé à l’école se produit[1] : ils se collent les uns aux autres[2]. La fusion est faite. Mais il a fallu beaucoup d’efforts.
Concrètement, ça veut dire quoi « faire des efforts » ? Si j’ai des atomes d’hydrogène devant moi et que je veux qu’ils fusionnent 2 à 2, dans le monde réel, « faire des efforts » signifie leur donner assez d’énergie pour qu’ils se rapprochent suffisamment pour se coller. En termes encore plus concrets, cela signifie les chauffer à environ 100 millions de degrés. Ce n’est pas une faute de frappe. J’ai bien écrit 100 millions de degrés. Evidemment, une telle fournaise est difficile à contrôler.
Que vient-il de se passer aux USA ?
Pour chauffer jusqu’à 100 millions de degrés, il faut beaucoup d’énergie. Mais si l’énergie que je tire de mes réactions de fusion est inférieure à celle que j’ai dépensée pour le chauffage, cela n’en vaut pas la peine. C’est comme investir 50 euros pour n’en gagner que 30. Eh bien, ce qui vient de se passer aux États-Unis, c’est que pour la première fois depuis 70 ans, le 5 décembre 2022, une expérience de fusion a généré plus d’énergie de fusion que ce qui a été investi pour la produire. 1,53 fois plus, pour être précis.
On est encore loin d’une centrale de fusion nucléaire ?
Les chercheurs du Laboratoire Lawrence Livermore en Californie ont utilisé l’énergie de 192 lasers géants occupant la surface de 2 terrains de football (je l’ai visité en 2012), pour chauffer une petite bille d’hydrogène de quelques millimètres[3]. L’expérience a duré environ 10 nanosecondes, soit le temps nécessaire à la lumière pour parcourir 3 mètres. Pour l’instant, elle ne peut être répété que quotidiennement. Et comme mentionné ci-dessus, le gain énergétique était de 1,53.
Une centrale de fusion nucléaire produisant de l’électricité devrait pourvoir répéter la même opération plusieurs fois par seconde au lieu d’une fois par jour, et réaliser à chaque fois un gain énergétique de l’ordre de 100 au lieu de 1,53.
Comme l’a déclaré Omar Hurricane, l’un des responsables du programme, lors d’une conférence scientifique à laquelle j’ai assisté en août 2021, « s’il s’agissait d’un avion de ligne, nous en sommes au stade des frères Wright« .
Quelles sont les promesses de la fusion ?
Il est intéressant de comparer la fission à la fusion pour comprendre pourquoi, malgré ses difficultés, tant de personnes étudient la fusion. Je commence par les points communs avant de passer en revue les différences.
Points communs entre la fission et la fusion
- Ni l’une ni l’autre ne repose sur des réactions de combustion chimique émettant du CO2. Donc, aucune des deux n’émet de CO2.
- Pour des raisons très fondamentales[4], ces deux types d’énergie nécessitent généralement un million de fois moins de matière première pour produire la même énergie, que les combustibles fossiles.
Différences entre la fission et la fusion
- Comme nous l’avons vu, il est facile de fissionner, de couper un gros noyau en deux : il suffit d’y envoyer un neutron. Il est ainsi possible de perdre le contrôle d’une centrale à fission (comme à Tchernobyl ou à Fukushima).
Au contraire, une fois que vous avez fusionné une bille d’hydrogène avec vos 192 lasers, les billes suivantes ne vont pas se mettre en place toutes seules, pas plus que les lasers ne vont tirer tout seuls : par conception, il n’y a aucune perte de contrôle possible dans la fusion. - La fission d’un gros noyau produit des déchets radioactifs. C’est le résultat des lois de la nature : impossible à éviter.
Avec la fusion, vous avez le choix. Selon la réaction de fusion choisie, il n’y a pas de radioactivité du tout, ou bien infiniment moins qu’avec la fission[5].
Conclusion
La fusion nucléaire est présentée comme une source d’énergie inépuisable et propre. C’est vrai. Il y a des nuances, mais c’est vrai. Ce qui vient d’être réalisé aux Etats-Unis est très important, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir avant une centrale commerciale.
Pour limiter le réchauffement climatique, les émissions de CO2 devraient être réduites à zéro dans les 50 ans[6] à venir. La fusion y contribuera-t-elle ? Sauf très bonne surprise[7], j’en doute. Même si nous disposons d’une centrale de fusion nucléaire dans 20 ans, il faudrait un taux de croissance annuel incroyable[8] pour que la fusion atteigne ne serait-ce que 40 % de la production énergétique mondiale dans les 30 années restantes.
À long terme, cependant, la fusion pourrait s’avérer une source d’énergie précieuse pour le XXIIe siècle et au-delà. L’humanité saura-t-elle la gérer mieux que des millions donnés à un adolescent ? C’est une autre question.
Notes
[1] Aucun complot ici. Si l’on enseignait la physique nucléaire à l’école, on n’aurait plus le temps d’y enseigner des choses beaucoup plus générales et essentielles comme l’histoire, le français, l’éducation physique, l’éducation artistique, etc.
[2] En jargon scientifique, on dit que la « force nucléaire forte » l’emporte sur la « force de Coulomb » à très courte distance.
[3] Il existe une autre voie de recherche : la « fusion magnétique ». Elle vient d’atteindre un rendement énergétique de 0,33. Le projet ITER va dans ce sens.
[4] Intensités relatives de la force nucléaire forte et de la force de Coulomb.
[5] La réaction actuellement envisagée est la fusion du deutérium et du tritium. Elle produit de l’hélium, qui n’est pas du tout radioactif, et un neutron, qui peut activer les matériaux des parois de la chambre de réaction. Il existe d’autres réactions de fusion qui ne produisent aucun neutron, comme la fusion d’un proton avec un noyau de bore. Mais la plus facile à produire est la fusion deutérium-tritium. C’est pour cela que l’on commence par là.
[6] Voir le dernier rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat.
[7] La surprise pourrait venir des nombreuses entreprises privées qui viennent d’investir dans la fusion.
[8] Plus de 34%.