Jusqu’à la fin de sa vie, Darwin n’a jamais été athée. Il n’a jamais voulu écrire de manière athée. Il a toujours pensé que la théorie de l’évolution était compatible avec la foi chrétienne.
Voici deux extraits de sa correspondance privée :
« Je ne vois aucune raison pour laquelle un homme, ou un autre animal, n’aurait pas pu être produits par des lois naturelles, et que toutes ces lois auraient été délibérément conçues par un Créateur omniscient, qui voyait à l’avance tous les évènements futurs et leurs conséquences… Je ne peux penser que le monde, comme nous le voyons, soit le résultat du hasard… En ce qui concerne la vision théologique de la question, c’est toujours quelque chose de douloureux pour moi. Je suis perplexe. Je n’ai eu aucune intention d’écrire de manière athée. » Correspondance privée à Asa Gray, célèbre botaniste de l’Université d’Harvard, chrétien, le 22 mai 1860.
« Je dirais peut-être que mon jugement fluctue souvent. Dans mes fluctuations les plus extrêmes, je n’ai jamais été un athée dans le sens de nier l’existence d’un Dieu. Je crois que, alors que je vieillis, agnostique correspond le mieux à mon état d’esprit, mais pas toujours… Il parait absurde de douter qu’un homme peut être un théiste ardent et un évolutionniste. » Lettre à J. Fordyce, 7 mai 1879
Pourtant, Darwin n’est pas mort en chrétien, mais en agnostique. Il est clair qu’il a progressivement perdu la foi chrétienne de sa jeunesse. Etant donnés les remous que la théorie de l’évolution a suscité chez les chrétiens, et puisque certains athées veulent en faire le fer de lance de leur argumentaire, il est légitime que les croyants se posent la question suivante : est-ce cette théorie qui a entraîné Darwin dans le rejet progressif du christianisme ? Ces quelques lignes auront pour but de démontrer que la réalité est beaucoup complexe, et que nous pouvons aujourd’hui tirer des enseignements spirituels profonds de l’évolution de la foi de Darwin.
Qu’en est-il de la foi de sa jeunesse ? Enfant, Darwin a été soumis à des influences religieuses contradictoires. Son père était un médecin libre penseur, son grand père, médecin également était un déiste mais pas un chrétien. Sa sœur et sa mère (qu’il perd à 7 ans) étaient croyantes. Après avoir abandonné ses études de médecine, il poursuit des études de théologie à Cambridge, sans grande conviction pourtant. Il écrira dans son Autobiographie (1876) « A cette époque, je ne doutais pas le moins du monde de la vérité littérale stricte de chaque mot de la Bible. »
« Darwin se considérait lui-même comme un chrétien « orthodoxe » à cette période, mais cette « orthodoxie » était d’un genre particulier. Son christianisme était un peu comme une théorie scientifique : logique, rationnelle et vérifiable. Pour Darwin, le christianisme devait être établi par des preuves. » (1) Tous les chrétiens le savent, la foi véritable est plus qu’un héritage familial, c’est une véritable rencontre avec le Christ ressuscité. Cette foi se manifeste dans une communion vivante avec Dieu et sa Parole. Bien des aspects de cette relation échappent à une analyse purement rationnelle, sans pour autant être illogique car pour le chrétien, l’action quotidienne du Saint Esprit est une expérience très réelle. Darwin avait-il connu une telle « nouvelle naissance », sa croyance était-elle le fruit d’un bagage familial ? On peut légitimement se poser la question.
« Sa foi était rationnelle et scientifique. Elle était basée sur l’observation du monde naturel plutôt que sur la Bible… Sa femme Emma qui était une chrétienne fervente avait réalisé le manque d’expérience personnelle de la foi de son époux, elle lui écrivit plusieurs fois à ce sujet : « Que l’habitude de l’investigation scientifique dans laquelle on ne croit en rien avant d’être prouvé n’influence trop votre esprit dans d’autres choses qui ne peuvent être prouvées de la même façon, et qui si elles sont vraies, sont probablement au dessus de notre compréhension. » (février 1839)
Il était parfaitement légitime de demander des confirmations en ce qui concerne la foi. Mais comme Emma le constatait, Darwin ne voulait pas des confirmations, il voulait des preuves. Et la foi est un domaine trop vaste, trop complexe et trop personnel pour être prouvé rationnellement …La première leçon concerne donc ce sur quoi nous basons notre foi ? Qu’est-ce qui constitue des « preuves » ? La Bible ? La nature ? L’expérience ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question, mais l’histoire de Darwin suggère que, si nous voulons mettre l’expérience de côté, si nous exigeons de l’histoire le même type de preuve que nous pouvons avoir en biologie, si nous basons tout sur la nature seulement, nous serons forcément déçus. »(1)
Un autre problème pour la foi de Darwin se trouvait dans sa vision de la souffrance et du mal dans la nature. Nous pouvons certainement tirer de grandes leçons de cet aspect des choses, nous qui vivons dans une époque « aseptisée », dans laquelle la douleur est vécue comme quelque chose d’inadmissible. Une époque où certains présentent un évangile dans lequel tous les croyants devraient obligatoirement être toujours en bonne santé…La vision de Darwin était en partie basée sur celle de William Paley, théologien et naturaliste britannique. Darwin écrira : « Je ne me préoccupais pas à cette époque des prémisses de Paley ; m’y fiant d’emblée, j’étais charmé et convaincu par la longue chaîne de son argumentation. »
Pour Paley,
• La nature est la conception d’un Créateur : la beauté, la complexité et la fonctionnalité de la nature reflètent l’esprit d’un Créateur.
• L’adaptation est parfaite : CHAQUE détail de la nature est PARFAITEMENT adapté à sa fonction.
• La nature est bonne et joyeuse.
Pourtant, Darwin va être confronté au problème de la souffrance dans la nature, et à la réalité de l’adaptation non parfaite des êtres vivants. A Gray, le 22 mai 1860 : « Je ne peux pas voir la preuve de la conception et de la bienveillance dans tout ce qui nous entoure. Il y a pour moi trop de malheurs dans le monde. Je n’arrive pas à me persuader qu’un Dieu bienveillant et omnipotent pourrait avoir conçu les Ichneumonidés avec l’intention délibérée qu’ils se nourrissent du corps de chenilles… » Ainsi, avec tous ses préjugés, il devient difficile pour Darwin de croire que Dieu est le créateur d’une nature aussi « cruelle ».
« Le monde du christianisme « orthodoxe » de Darwin avait été souriant et joyeux. Le monde de l’évolution ne l’était pas. Rien jusque là ne l’avait préparé au choc d’un monde brutal. Les historiens de sa vie s’accordent à penser que la mort de sa fille Annie à l’âge de 10 ans a largement contribué à la destruction de sa foi. La plupart des familles victoriennes ont perdu des enfants – mais Annie était sa préférée et il avait été le témoin de chacun de ses derniers moments douloureux de sa courte vie …
Ses réflexions sur ce sujet nous rappelle qu’il ne s’agit pas simplement de dire : puisque la souffrance existe, Dieu n’existe pas. Notre position vis-à-vis de la question de l’évolution et de Dieu dépend de la façon dont nous répondons à la question : «… La souffrance a-t-elle un sens ? » et « Quelle idée de Dieu me suis-je faite en premier lieu ? » Quelque soit la façon dont vous répondez à ces questions, vous ne pouvez pas en décider seulement sur la base de la rationalité.
Etant donné la nature du christianisme dans lequel il a grandi, son attitude ne devrait pas nous surprendre. Le « monde joyeux » ne laissait pas de place à la souffrance, mais offensait le sens de l’ordre et de l’harmonie de Darwin. Surtout, cette vision du monde n’offrait pas de ressources pour faire face à la souffrance et à la douleur.
La question de la souffrance est peut-être le défi le plus sérieux posé au christianisme. Il existe des réponses, mais elle doivent rester d’humbles tentatives. Surtout, ces réponses doivent commencer au cœur de la foi chrétienne : la croix.
Les premiers chrétiens avaient vus des gens crucifiés. Ils réalisaient l’horreur de la croix. « Le message de la croix est une folie pour ceux qui périssent », écrivait l’apôtre Paul. La crucifixion était une forme d’exécution scandaleuse pour n’importe qui, sans parler de celui qui affirmait être le Messie.
Mais les premiers chrétiens reconnaissaient aussi que la croix leur parlait profondément de la question de la souffrance et de la rédemption. « Mais pour ceux qui sont sauvés, elle est la puissance de Dieu », continuait Paul. La croix révélait un Dieu qui n’était pas indifférent et éloigné mais un Dieu personnel et immanent, présent dans les moments de plus grande perte. Dans la mesure où la pensée chrétienne a quelque chose à dire avec la souffrance, cela commence par la croix.
La théologie de Darwin ne s’est jamais tenue près de la croix, même pendant ses années d’orthodoxie. L’église et la théologie dans laquelle il a grandi ne l’ont pas préparé et équippé à faire face à la souffrance…
En fin de compte, le voyage religieux de Darwin ressemblait à son époque. Darwin était un homme du 19ème siècle dont l’esprit et la vie ont été façonnés par les pressions de son siècle. Pourtant, les raisons pour lesquels il a perdu la foi nous parlent encore profondément aujourd’hui. » (1)
Sources :
J’ai cité de larges extraits d’un excellent article de Nick Spencer « Leçons d’un agnostique de l’Angleterre victorienne »(1) http://www.testoffaith.com/resources/resource.aspx?id=441
Le travail de Denis Lamoureux à propos de la vie de Darwin(https://scienceetfoi.com/images/fichier/Darwin.pdf) ainsi que celui de Paul Marston ont aussi contribué à l’élaboration de ces réflexions(http://scibel.com/scibel/paper_paul_marston_charles_darwin_and_christian_faith.html).