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Adam et Eve ont-ils existé? Réponse aux arguments évangéliques


Georges Daras est « titulaire d’un master en théologie, chrétien de sensibilité protestante, et habite Bruxelles. »

Son blog  » exégèse et théologie » « a pour but principal d’ouvrir une fenêtre sur des questions exégétiques, historiques et théologiques, relatives au monde biblique. .. »

A la lecture de plusieurs articles, on découvre que Georges Daras n’est pas un « évangélique traditionnel », et ne se qualifie pas d’évangélique d’ailleurs, mais que son parcours l’a amené à pousser la réflexion dans des domaines qui touchent de près les lecteurs de ce blog.

Je livre donc à votre réflexion cet article que Georges Daras a accepté de publier sur ce blog, espace où des arguments contradictoires peuvent s’exprimer. Ses propos n’engagent que lui et sont le témoin des débats théologiques et bibliques qui animent le monde protestant francophone et anglo-saxon à propos des origines de l’homme.

« Adam et Eve ont-ils existé? Réponse aux arguments évangéliques. Par Georges Daras »

La question est peut-être mal posée, mais c’est la question que les croyants peuvent se poser! Certains en toute sincérité et modestie; d’autres y répondront par un “non” catégorique, sans toutefois savoir quoi faire du récit de la Genèse. Il faut dès l’abord préciser ce dont il ne sera pas question dans cet article: ni de paléontologie ni d’archéologie, ni de biologie, mais du récit biblique seul. Le récit biblique invite-t-il, compte tenu de sa nature et de sa forme, à poser l’existence historique d’Adam et Ève? Plus simplement: le récit des origines est-il historique? Je discute de la question en confrontation au “oui” des évangéliques et à leurs arguments. Nous verrons chemin faisant que différents thèmes sont liés à ce questionnement, comme la vérité du récit biblique, son inspiration et son actualité.

Un évangélique (enfin, peut-être pas tous) répondra très certainement par l’affirmative. Non seulement Adam et Ève ont historiquement existé, mais ils doivent avoir nécessairement existé, sans quoi la doctrine du salut en Jésus-Christ ne tient plus. En effet, de quoi Jésus-Christ nous sauve-t-il s’il n’y a jamais eu de “chute”? Ce type de raisonnement découle d’une vision historiciste de l’histoire du salut (création – chute – rédemption), thématique que je ne traite pas pour elle-même dans cet article (j’espère la traiter une autre fois). Je vais passer maintenant en revue les principaux arguments avancés par les évangéliques.

Sommaire

I. LES ARGUMENTS

1. Jésus, Paul, Luc parlaient d’un Adam historique, donc Adam a existé.
2. Douter de l’existence d’Adam c’est mettre en doute celle de Jésus.
3. Le parallèle que Paul opère entre le Christ et Adam (Rm 5) exigerait un Adam historique.

REMARQUES PRÉLIMINAIRES
1. Paul ne dit rien sur l’historicité d’Adam.
2. L’historicité d’Adam est présupposée.
VERS UNE RÉSOLUTION DU PROBLÈME
Étape 1
Étape 2
Étape 3

4. Le seul véritable argument: La Bible est inspirée, donc c’est historique.
5. Autres arguments rencontrés.

a. Argument de l’orthodoxie, ou de la tradition.
b. Ce n’est pas écrit ou suggéré dans la Bible.

II. LE RÉCIT: OBJECTIONS ET PROBLÈMES

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I. LES ARGUMENTS

1. Jésus, Paul, Luc parlaient d’un Adam historique, donc Adam a existé 1

Posons-nous les questions suivantes:

— Comment est-il possible, en toute logique et saine méthode historique, de déduire l’existence d’Adam du simple fait que Jésus, Paul ou Luc en parlent? Même en supposant qu’ils pensaient qu’Adam a historiquement existé — comme cela devait d’ailleurs spontanément être le cas pour leurs coreligionnaires à l’époque —, comment passe-t-on de ce qu’ils pensaient à l’affirmation de cette existence?

— Ensuite, n’est-il pas évident que Jésus, Paul ou Luc ne parlent pas d’un Adam historique en soi mais se réfèrent à l’Adam tel que le dépeint le livre de la Genèse? Dans ce cas aussi, comment passe-t-on de cette référence au récit de la Genèse à l’affirmation de l’existence d’Adam?

Je n’ai jamais lu nulle part une explication montrant le bien-fondé de cet argument, qui ne consiste manifestement qu’à sauter de la prémisse (les auteurs bibliques pensent que…) à la déduction (…donc c’est historique)2. En réalité, il ne s’agit pas exactement d’un saut, mais d’un passage souterrain: cet argument, nul en soi, ne tient sa validité que par l’entremise d’un autre argument, ou plutôt d’un principe fondamental, que l’on peut résumer par “c’est dans la Bible, donc c’est historique” ou “la Bible est inspirée, donc c’est historique” (point I.4.). En d’autres termes, parmi tous les documents anciens que l’humanité ait produits, la Bible fait figure d’exception en matière d’approche historienne et d’historicité.

Un autre argument découle de celui-là: Je pense comme Jésus, donc j’ai raison. Ce qui revient en fait à dire: Jésus pense comme moi, donc j’ai raison. Revêtir un raisonnement ou un argument de l’autorité de Jésus, voilà qui devrait poser quelques problèmes de conscience! Mais non… D’une certaine manière, Blocher tombe dans ce travers quand il écrit (c’est l’historicité d’Adam qui est en jeu): “Un croyant cherchera-t-il un exégète plus autorisé que son Seigneur?” (Révélation, p. 160)

2. Douter de l’existence d’Adam (ou celle de Job, de Jonas, etc.) c’est mettre en doute celle de Jésus.

Ce raisonnement revient chez nombre d’évangéliques avec qui je discute. Son erreur tient du fait qu’il n’a rien à voir avec l’histoire mais avec unereprésentation abstraite qui relève de la pure logique. La Bible est ainsi mise à plat, désolidarisée de ses contextes historiques multiples, présentée comme une succession de faits interconnectés ou en communication les uns avec les autres, tels une rangée de dominos prête à s’effondrer à la moindre secousse; on traverse les siècles en quelques coups de page… Un début de réflexion — cette activité quelque peu négligée semble-t-il! — mettrait déjà en évidence la distance des personnages dans le temps: entre Jésus et les évangiles il y a 30-40 ans, entre le supposé Adam historique et le récit de la Genèse, des millénaires! La critique historique et littéraire (en partie évidemment rejetée par les évangéliques pour qui Moïse demeure le rédacteur principal du Pentateuque) rend pour le moins difficile l’historicité de Gn 3, en raison notamment de l’omniprésence du symbolisme et de son caractère littéraire. Quand l’implication de ces facteurs est reconnue par les évangéliques, la notion floue et fort commode “d’historicité de fond” constitue le dernier rempart des tenants “modérés” de l’historicité 3.


Notes:

1.Blocher écrit que “les écrivains inspirés comprenaient la transgression de la Genèse comme un événement particuliers (Jb 31.33; 0s 6.7; 2 Co 11.3; 1 Tm 2.14)” (Révélation, 159). Matthieu 19.3-8 et Romains 5.12ss “développent une réflexion qui présuppose l’historicité de la faute”. Romains 5.12ss sert “d’arme absolue aux champions de la compréhension historique” et Blocher qualifie ce passage de “preuve biblique la plus formelle” (La doctrine, p. 72). Pour répondre à l’interprétation “mythiste” de la chute, Brian Tidiman fait simplement valoir que pour “les auteurs bibliques, la première faute est un fait historique au même titre que celles commises par les descendants d’Adam” (Précis d’histoire, p. 39). Même raisonnement chez Pierre Berthoud concernant l’historicité de Job, qui évoque (entre autres considérations) Ézéchiel 14.14 et Jacques 5.11 en faveur “d’une référence historique”. Blocher répond que, “à cause de ces versets en dehors du livre [de Job], il me semble qu’il est plus prudent de penser qu’il y a un fond historique” (Table ronde dans Texte et historicité, p. 196). Gleason Archer écrit que “Paul considère comme historiques, au sens littéral, les détails de Genèse 2 et ceux de la tentation et de la chute dans Genèse 3 ». Plus loin, “Christ et les apôtres l’ont [le récit de la chute] certainement considéré comme historique” (Introduction, p. 226). De son côté, Jules-Marcel Nicole écrit que “tous les êtres humains descendent du premier couple Adam et Ève », ce qui “n’apparaît pas seulement dans la Genèse, mais nous est confirmé par l’apôtre Paul et par Jésus lui-même […]” (Précis de doctrine, p. 80). Plus loin de nouveau: “Il nous faut comme Jésus et les apôtres, accepter le récit de la chute tel qu’il nous est donné dans la Genèse” (p. 103). Face aux théories du mythe et de la légende, “le plus simple est de prendre le récit de la Genèse tel qu’il est” (p. 103), c’est-à-dire de manière historique. On ne sait comment ni pourquoi prendre le récit “tel qu’il est” voudrait forcément dire le prendre de manière historique.

Si l’on peut dire que ces affirmations sont exactes sur le plan biblique, elles perdent toute pertinence quand ces auteurs passent du plan biblique au plan de l’histoire, comme s’il n’y avait aucun décalage, aucune frontière entre les deux.

2.Pour Blocher, ces “diverses données scripturaires exigent, de façon plus ou moins nette, l’affirmation de l’historicité” (La doctrine, p. 72). Voilà, je pense, un exemple parlant où l’on voit un principe dogmatique prendre le pas sur la réalité sous couvert de “données scripturaires”.

3. Ainsi Blocher: “La présence d’éléments symboliques dans le texte [de Gn 3] ne dit rien contre l’historicité de la référence essentielle” (Révélation, p. 151-152); à propos de Job: “il y a un fond historique, mais […] une mise en forme assez considérable” (Texte et historicité, p. 196). De même Pierre Berthoud selon lequel il faut reconnaître au récit de la tour de Babel “l’historicité de fond” dont la “référence principale est bien historique” (Texte et historicité, p. 25-26). “Référence essentielle”, “fond historique”, “historicité de fond”, “référence principale”… Apparemment il suffit de le dire ou de le croire pour que ce soit vrai. »

A suivre…

 

 


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