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Adam et Eve ont-ils existé? Réponse aux arguments évangéliques


Georges Daras est « titulaire d’un master en théologie, chrétien de sensibilité protestante, et habite Bruxelles. »

Son blog  » exégèse et théologie » « a pour but principal d’ouvrir une fenêtre sur des questions exégétiques, historiques et théologiques, relatives au monde biblique. .. »

A la lecture de plusieurs articles, on découvre que  Georges Daras n’est pas un « évangélique traditionnel », et ne se qualifie pas d’évangélique d’ailleurs, mais que son parcours l’a amené à pousser la réflexion dans des domaines qui touchent de près les lecteurs de ce blog.

Je livre donc à votre réflexion cet article que Georges Daras a accepté de publier sur ce blog, espace où des arguments contradictoires peuvent s’exprimer. Ses propos n’engagent que lui et sont le témoins des débats théologiques et bibliques qui animent le monde protestant à propos des origines de l’homme.

« 4. Le seul véritable argument: La Bible est inspirée, donc c’est historique.(11)

Nous avons vu que le premier argument était insuffisant en soi et que ceux qui l’utilisent supposent celui de l’inspiration. Ce qui, ma foi, est tout à fait logique! Paul, Luc et Jean dans la Bible, ce n’est pas seulement Messieurs Paul, Luc et Jean, mais Messieurs les auteurs inspirés par l’Esprit Paul, Luc et Jean! À fortiori quand il s’agit de Jésus… Cela dit, il s’en trouvent qui ne disent même pas Paul, Luc ou Jean, mais Dieu! Alors, quand c’est Dieu qui dit, il n’y a plus de discussion possible. Et quand l’on me voit contester l’une ou l’autre interprétation, soit je ne crois pas en l’inspiration, soit je ne crois pas du tout, soit je suis fâché avec Dieu.

Certains auteurs admettent comme improbable que le chapitre 3 de la Genèse, pourtant historique, ait été transmis de génération en génération (12) .  Quoi de plus aisé que de s’en remettre à la révélation? Gleason Archer écrit que “l’origine de la race humaine ne peut qu’avoir été révélée par Dieu” et parle de “révélation couchée par écrit dans un document inspiré” (Introduction, p. 226).Blocher, plus réservé, “reconnaît [comme probable] que l’événement premier est atteint par une reconstruction mentale”, mais sans exclure “une forme de révélation plus immédiate”. Pourtant, il semble plutôt pencher pour la seconde option quand il écrit que “la Genèse entend offrir la reconstruction vraie, que l’inspiration divine a guidée et garantie […]” (Révélation, p. 155-156). Comment, en effet, une “reconstruction mentale” peut-elle prétendre à l’historicité? Le recours à “l’inspiration divine”, comprise comme révélation d’un fait historique, est inévitable.

L’argument de l’inspiration de la Bible ou de la révélation divine est bien entendu irréfutable. C’est pourquoi ceux qui y croient devraient le mentionner en premier pour mettre les choses au clair dès le départ.(13)

5. Autres arguments rencontrés:

a. Argument de l’orthodoxie, ou de la tradition(14). Cet argument fait valoir le fait que la tradition chrétienne et les réformateurs ont affirmé l’historicité d’Adam. La nier serait une nouveauté introduite en raison de l’influence de la modernité et des sciences sur les théologiens et les exégètes. Cet argument n’est pas pertinent, car il est anachronique et ne tient pas compte de l’inscription de la tradition chrétienne dans l’histoire (15). On ne peut pas demander à saint Paul, Augustin, Calvin ou Luther de trancher une question qui ne s’est pas posée à leur époque. Bref. Cet argument fera l’objet d’un article à part entière qui sera bientôt publié.

b. Ce n’est pas écrit ou suggéré dans la Bible. Pour illustrer l’idée qu’un récit puisse être vrai sans être historique on voit souvent citer les paraboles de Jésus en exemple. Mais les évangéliques rétorquent que dans le cas des paraboles il est clairement indiqué qu’il s’agit d’histoires fictives, contrairement au récit de la Genèse. Voici ce qu’un interlocuteur écrit dans un forum: “Où est-il marqué dans la Bible que la généalogie de Adam à Noé est légendaire (dans le sens de fausse)?” Une telle question suppose qu’il y ait au début de chaque récit une petite note indiquant si tel récit est “historique” ou “fictif”. Mais cette supposition est-elle fondée? Je ne le pense pas. C’est trop demander à la Bible. Sinon, les évangéliques devraient s’abstenir d’attribuer les quatre évangiles à Matthieu, Marc, Luc et Jean puisque les évangiles n’ont pas été signés ni datés et que rien n’indique que les évangélistes que nous connaissons en sont les auteurs. Bien sûr, on invoquera le témoignage de la tradition. Mais la tradition ce n’est pas la Bible. Bref. Cet argument est un argument du silence. On pourrait aussi se demander: “Où est-il précisé dans la Bible qu’Adam n’a pas trois jambes et six têtes?” Même si mon exemple est grossier, c’est la même logique qui entre en jeu.

D’autres diront que les caractéristiques du récit, la chronologie des faits, les indications de lieu et des années, les généalogies, la continuité dans l’histoire, etc., tout cela indique que c’est historique. C’est tout simplement impossible à déterminer. On ne peut pas établir l’historicité d’un récit rien qu’en observant son contenu. Il faut des recoupements extérieurs, des possibilités de comparer. Les éléments énumérés sont des caractéristiques du récit narratif, donc d’un genre littéraire, comme c’est le cas des romans. On n’aurait pas idée de prétendre qu’un roman est forcément historique parce qu’il se déroule dans le temps, comporte des noms de lieu (peut-être ma propre ville!), des dates, s’étend sur plusieurs générations, etc.

Tous les arguments avancés échouent en ce qu’ils opèrent un saut de la prémisse à la déduction, sans qu’il y ait de lien de causalité entre les deux. C’est ce que j’ai fait remarquer dès le premier argument (I.1.). »

Notes

11.“Si la Bible est le discours d’une communauté quelconque, il est normal qu’elle soit faillible et plus ou moins fiable sur le plan historique. Mais si elle est ‘Parole inspirée de Dieu’ comme le déclare l’apôtre Paul (2 Tim 3.16), pourquoi ne serait-elle pas crédible sur le plan historique de la même manière qu’elle est pertinente sur le plan spirituel?” pasteur Bernard Guy (clic), “La Bible: mythes ou réalités?“, Promesses n° 170, 2009; Gleason Archer, outre l’introduction, commence son Introduction à l’Ancien Testamentpar un chapitre sur “l’inspiration de l’Ancien Testament”, mettant ainsi les choses au clair: “Si […] Dieu a inspiré les trente-neuf livres de l’Ancien Testament […], il convient d’analyser avec soin tout ce qui semblerait être en contradiction avec l’exigence d’exactitude et de véracité que l’inspiration divine présuppose, pour arriver à une harmonisation satisfaisante des contradictions apparentes. Ainsi, notre postulat influence profondément tout le cheminement de notre recherche.” (Introduction, p. 14, je souligne) Jules-Marcel Nicole fait purement et simplement dépendre l’existence de Qaïnan cité dans la généalogie de Luc (3.36) de l’inspiration de ce dernier: “Si nous croyons à l’inspiration de Luc, nous devons donc admettre que Qaïnan a existé […]” (Précis de doctrine, p. 80).

12. D’autres, par contre, n’hésitent par à soutenir une telle idée. La “tradition orale” est le concept tout désigné, facile d’utilisation, qui, grâce à son élasticité infinie, franchit les siècles et les millénaires. Pour nous convaincre faute de la moindre preuve, on nous assure de l’excellente mémoire des peuples anciens qui garantit la fidélité des traditions. Dans le Nouveau Dictionnaire Biblique, nous lisons à l’entrée “Pentateuque” (p. 1001) que “la connaissance des événements que rapporte le 1er livre du Pentateuque est parvenue jusqu’à l’époque de Moïse par la tradition orale et écrite.” (voir aussi “Genèse”, p. 517) D’autres encore envisagent un mixe des deux, à savoir une tradition orale exceptionnellement préservée par Dieu: “Dieu […] pourrait avoir préservé sa vérité plusieurs siècles grâce à la tradition orale” (Gordon Wenham, “L’Ancien Testament et l’histoire” dans l’ouvrage collectif intitulé Vérité historique et critique biblique, Lausanne, PBU, 1982 [1re éd. angl. 1976], p. 69). Qu’est-ce donc que ce genre de “préservation” sinon une sorte d’extension matérielle de l’inspiration biblique?

13.  Cette conception de la Bible et de l’inspiration entraîne de fâcheuses conséquences au niveau de la recherche scientifique. Voir mon article “La Bible affirme, les sciences confirment“.

14.  Blocher: “La tradition a tenu fermement à l’historicité.” (Révélation, p. 151) Il parle d’exégètes orthodoxes (p. 152) et “d’exégèse orthodoxe” (p. 153). Il est plus explicite ailleurs: “… la tradition chrétienne a constamment tenu pour de l’histoire les choses racontées en Genèse 3 […]. Les évangéliques restent fidèles à la même thèse.” (La doctrine, p. 69) Blocher parle des “tenants de la position orthodoxe” qu’il oppose à ceux qu’il qualifie de manière peu reluisante de ““mythologues”” (p. 70-71), comme étaient appelés jadis les amateurs de la thèse suivant laquelle Jésus n’a jamais existé. C’est comme si l’on qualifiait les créationnistes évangéliques de “scientifiques”, héritiers d’une longue et prestigieuse tradition remontant à l’Antiquité, et les tenants de la théorie de l’évolution de “secte darwinienne”.

15. À titre indicatif — tant pour m’en rappeler que pour informer le lecteur — je signale un chapitre sur la question intitulé “La lecture de la Bible renouvelée par la science”, dans le livre de Jean-Michel MaldaméScience et foi en quête d’unité. »

A suivre…


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