Article 2 sur un total de 2 pour la série :
L’argument d’autorité revient souvent dans le débat Science et Foi quand il s’agit d’appuyer une thèse par la citation d’une pointure. J’en avais déjà parlé sur ce site pour souligner qu’il devient bancal si la pointure en question n’en est pas une. J’aimerais y revenir ici pour l’aborder sous un autre angle. Je commencerai par une petite histoire.
Le « problème du Maintenant »
Il y a quelques années, je suis tombé sur un article qui parlait du « problème du Maintenant ». Il s’agit de se demander pourquoi rien, en physique, ne singularise l’instant présent pourtant si important pour nous. Au début, j’ai pensé « qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ». Et puis j’ai appris que ce problème préoccupait beaucoup Einstein[1],
Einstein dit un jour que le problème du Maintenant le préoccupait sérieusement. Il expliquait que l’expérience du Maintenant signifie quelque chose de spécial pour l’homme, quelque chose d’essentiellement différent du passé et du futur, mais que cette différence importante ne se produit pas et ne peut pas se produire au sein de la physique.
Je me suis alors dit que si quelqu’un comme Einstein, qui s’y connaissait un peu en physique, s’y intéressait, c’est que la question valait sûrement son pesant de cacahuète. J’ai plus tard appris que ce problème continue d’occuper des gens comme David Mermin[2]. Bref, on dirait bien que c’est un problème sérieux. Mais il m’a fallu constater que des gens de ce calibre le prenaient au sérieux pour le considérer comme tel à mon tour.
Question d’humilité
Evidemment, appeler un Einstein à la rescousse ne veut pas dire en soi qu’une thèse soit correcte. Personne, dans un article scientifique, n’écrit « cette assertion est vraie parce que Tartempion l’a dit ». A strictement parler, ce n’est pas une démonstration.
Pourtant, si l’argument d’autorité a quelque valeur, si tant est que l’autorité en question en soit bien une, c’est peut-être dans l’humilité de celui ou celle qui le reçoit. En effet, il eut été bien présomptueux de ma part de décréter que ce « problème du Maintenant » est une farce et que Einstein et Mermin n’y comprennent rien.
Ainsi donc, quand je vois les uns et les autres dénoncer un argumentum ad populum, c’est ainsi qu’on nomme parfois l’argument d’autorité quand on veut avoir l’air érudit, je ne peux m’empêcher de penser que la dénonciation est bien légaliste.
Certes, ce n’est parce qu’un Einstein a dit quelque chose sur la physique que c’est vrai[3], mais l’humilité demande qu’on ne jette pas pour autant la chose par la fenêtre.
Note
[1] Cité dans The Philosophy of Rudolf Carnap, P. A. Schilpp (ed.), La Salle, IL: Open Court, p. 37.
[2] David Mermin est le prototype du physicien grand format virtuellement inconnu du grand public.
[3] Il s’est par exemple trompé sur la mécanique quantique. Mais ses objections furent incroyablement riches d’enseignements.
2 Articles pour la série :
- C’est Einstein qui l’a dit ! L’argument d’autorité
- C’est Einstein qui l’a dit ! l’argument d’autorité – 2