Jean Humbert est agrégé de sciences naturelles, a été professeur de classes préparatoires, et est « ancien » dans une église évangélique de Paris.

Avec La révélation des origines de Henri Blocher, ce livre a été un des jalons dans ma réflexion théologique et scientifique à propos de l’évolution des espèces. Ce livre est paru en 1989, avant les découvertes paléontologiques concernant de nombreuses espèces de transition, avant la lecture complète des génomes de l’homme, du chimpanzé et d’autres espèces encore. Ces dernières découvertes sont venues confirmer l’origine commune des espèces de manière spectaculaire.
Henri Blocher a préfacé le livre.

« Tous les chrétiens sont créationnistes au sens strict du terme. Ils rendent compte du monde en le référant à la création divine. Ils confessent leur foi : Je crois en Dieu le Père tout- puissant, Créateur du ciel et de la terre. »

Mais M. Blocher refuse que cette appellation soit monopolisée par les créationnistes de la jeune terre.

« Une seule école revendique pour soi seule le « label » créationniste. Elle s’en tient à la lecture la plus littérale de la Genèse et elle échafaude une théorie de la cosmogénèse et de la biogenèse, d’allure et de langage scientifiques, qui s’accorde avec son interprétation de la Bible….Leurs motivations sont forts belles…Mais il ne suffit pas que les motivations soient saines. Les données sont-elles correctement perçues et jaugées ? Le zèle, nous rappelle l’Apôtre, peut manquer de lumière ou de pénétration (Rom 10 :12). … »

« Certains hésiteront à suivre Jean Humbert sur tel point particulier, telle manière de raisonner ou telle conclusion : à notre avis, dans l’état actuel du savoir, le plus sage et le plus humble est de ne pas s’en écarter beaucoup. »

 

Je ne ferai pas un résumé complet du livre, mais simplement quelques remarques sur des passages qui me paraissent importants.
Jean Humbert a bien soin de préciser que les évangéliques ne sont pas des « libéraux » au sens théologique :

« qui croient que la Bible contient la Parole de Dieu, et qui la soumettent à une critique semblable à celle utilisée pour les textes littéraires profanes. Plusieurs d’entre eux nient les miracles, la résurrection corporelle de Jésus, et même parfois sa divinité. »

Mais il note que la situation n’est pas en noir et blanc :

« Mais il faudrait apporter ici beaucoup de nuances car il y a tous les intermédiaires entre l’orthodoxie la plus ferme et le libéralisme le plus lâche. Tel se dit évangélique, est considéré comme libéral par un autre, et inversement. »

 

Jean Humbert a raison de parler de l’évolution comme d’un « fait » pour la plupart des biologistes et des géologues, tant les preuves qui la soutiennent sont nombreuses.

« Il importe de bien distinguer le « fait » de l’évolution de ses tentatives d’explication. En effet, la plupart de ceux qui récusent l’évolutionnisme adressent leurs critiques aux théories explicatives de l’évolution (pratiquement au darwinisme et ses dérivés). Leur réfutation touche dés lors les théories…Ces critiques n’atteignent donc l’évolution elle-même et manquent leur but : ruiner tout l’évolutionnisme. »

 

Ce point est très important, mais n’est pas accepté par tous.

Ainsi Henri Blocher a écrit :

« Nous rechignons à séparer la question du si et la question du comment (l’évolution a eu lieu) » (Révélation des origines p236).

Je ne trouve pas cela convaincant. Par exemple, personne à ce jour n’a découvert le mécanisme de la gravitation et pourtant, personne ne remet pour autant en cause le fait que les astres s’attirent entre eux. La loi de la gravitation permet de prévoir les trajectoires des planètes, satellites.Imaginez qu’à votre retour des vacances, vous retrouviez votre maison vidée par des cambrioleurs, mais sans trace d’effraction. Remettrez-vous en cause le fait que tous les indices vous prouvent que vous avez été cambriolé, même si vous ignorez par où les voleurs se sont introduits ? Un fait demeure, la maison est vide.
Jean Humbert est un créationniste progressif, c’est-à-dire qu’il croît nécessaire des interventions miraculeuses de Dieu dans le processus de l’évolution. Je ne les exclus pas, mais je ne les crois pas nécessaires pour autant. Ainsi, en rapport avec la création d’Adam et d’Eve :

« Je crois à une intervention divine précise, donc à un « miracle » »

 

«Adam et Eve ont été l’objet d’une création spéciale de Dieu. »

 

Jean Humbert semble partisan du monogénisme. Ce point est très difficilement tenable d’un point de vue scientifique à cause de la diversité génétique observée chez l’homme.
L’auteur décrit ce qu’il qualifie d’approche libérale des textes de la création.

« Pour les théologiens modernistes, les récits bibliques (ceux de la Genèse en particulier) sont le reflet de la culture du Moyen-Orient antique. Ils renferment des erreurs et il convient de rechercher par un tri approprié ce qu’il faut en retenir d’essentiel […] Ils évacuent des Ecritures tout ce qui est miraculeux ; ce n’est plus les prendre comme un tout que d’en retirer ce qui est surnaturel. Les chrétiens évangéliques n’admettent pas ces attitudes dans lesquelles le jugement humain se place au dessus de la Bible.  Pour le chrétien libéral, vouloir résoudre la question entre la Genèse et la science, c’est mal poser la question. C’est soulever un faux problème puisqu’il ne peut y avoir de désaccord entre un récit légendaire, reflet des connaissances et des mentalités antiques, et ce que la science nous a appris à connaître depuis. »

Ce passage est très instructif, il reflète la manière dont j’ai moi-même raisonné pendant des années, dans la conviction de défendre l’autorité et l’inspiration de la Bible. Pourtant, il y a dans ce raisonnement plusieurs amalgames et généralisations qui méritent d’être mis en évidence.
Je partage entièrement avec Jean Humbert le refus d’une démarche d’interprétation qui ferait de la Bible un texte comme les autres, le récit d’un mythe à mettre au même rang que d’autres écrits de l’Antiquité. Je crois fermement que le Saint Esprit a pleinement dirigé le processus d’inspiration, en guidant sans lui dicter, de manière mystérieuse,  l’auteur du récit de la création. Je crois Dieu tout à fait capable de révéler à l’auteur inspiré des faits de nature scientifique qu’il pouvait ignorer à son époque. Je condamne donc tout autant que Jean Hubert les excès d’une approche « libérale » des textes, qui veut évacuer le surnaturel et les miracles de la Bible au nom de la « science » ou de la raison.

Pourtant, je crains que cette démarche poussée à l’excès ne nous fasse mésestimé le contexte culturel, historique et scientifique de la Genèse. Cette démarche pour « protéger » le texte biblique peut nous empêcher de réaliser que le Saint Esprit s’est adapté aux connaissances scientifiques des premiers auditeurs sans chercher à les dépasser. C’est ce que les théologiens appellent le principe « d’accommodation », ou de condescendance, basée sur une approche « incarnationnelle » de l’inspiration. Cette approche nous permet d’aborder le texte de manière neutre en matière de concordisme scientifique, c’est-à-dire dans la recherche d’une correspondance éventuelle entre la science moderne et le texte biblique, et de réaliser que les conceptions cosmologiques et biologiques de l’auteur inspiré n’ont pas été modifiées par le Saint Esprit. Genèse 1 nous parle du firmament, un dôme solide qui sépare les eaux d’en haut et d’en bas. Evidemment, ce dôme n’a jamais existé. Les animaux sont créés selon leurs « espèces », parce que chacun voit que « les chiens ne font pas des chats… ». Cela ne remet rien en cause de l’inspiration du récit, parce que l’intention de Dieu était ailleurs…dans le sens théologique profond de ce texte. Notre approche rationaliste nous fait imposer au texte des critères qui n’ont pas été voulu de Dieu. Les rationalistes ne sont pas ceux qui croient au découvertes de la science, mais ceux qui veulent à tout prix lire de la science  moderne dans le texte inspiré.
Ainsi je ne suis pas fidéiste, c’est-à-dire quelqu’un qui croit que la vérité théologique et la vérité scientifique sont inconciliables par principe, mais je pense qu’il faut respecter l’intention de Dieu dans le récit de la création et que ce serait le tordre que de lui donner une vocation scientifique. Cette démarche est soutenue par de plus en plus de chrétiens évangéliques, et par des théologiens comme Paul Seely, Denis Lamoureux. A sa façon, John H. Walton reconnaît qu’il n’est pas un concordiste scientifique dans The Lost World of Genesis 1 .
La thèse du créationnisme progressif de Jean Humbert :

« Je crois fermement à l’évolution des êtres organisés. Mais je n’ai garde, pour cela, de méconnaître le caractère extraordinaire, voire fantastique, des transformations que nous sommes tenus d’imaginer dans le passé de la vie…Je propose de nommer mégamutations , ces transformations « miraculeuses » qui permettent de passer d’une espèce à une autre. »

Ainsi, Jean Humbert pense que, parce qu’on ne sait pas expliquer le détail des mécanismes évolutifs, Dieu est intervenu miraculeusement. Evidemment, en tant que croyant, je me garderai d’exclure cette hypothèse, Dieu fait ce qu’il veut ! Le problème est que Jean Humbert fait plus que de rendre cette option possible. Il accuse de déisme ceux qui pensent que Dieu a pu tout autant ne se servir que de lois naturelles pour créer les espèces, l’homme et pourquoi pas la vie !

« Cependant, cette évolution théiste, si elle réduit (et elle risque de le faire) l’intervention de Dieu à la seule apparition de la vie devient une évolution déiste. Elle laissera alors les mécanismes néo-darwiniens intervenir mécaniquement sans aucun support spirituel sous jacent . Dans ce cas, elle n’est plus typiquement chrétienne ; c’est peut-être l’une des raisons qui font que beaucoup de chrétiens évangéliques lui sont opposés par principe. »

Et là, je ne suis plus du tout M Humbert. C’est un bel exemple de théologie « du Dieu bouche- trou » qui croit nécessaire des interventions divines en dehors des lois de la nature pour mettre en évidence sa puissance et sa souveraineté. C’est le rhétorique de Philippe Johnson et d’autres partisans de l’ID. Croire que Dieu contrôle parfaitement la nature et qu’il agit au travers des lois qu’Il a institué et que nous pouvons comprendre, ce n’est pas être déiste !!!

Conclusion

Cet ouvrage a eu le grand mérite de faire prendre conscience aux évangéliques des preuves de l’évolution, et de réfuter scientifiquement les arguments des créationnistes de la jeune terre. L’approche de Jean Humbert est tout de même assez concordiste scientifiquement et historiquement, et c’est pour cela que je m’en suis aujourd’hui détaché. Le grand reproche que je lui fais est de considérer qu’il est nécessaire que Dieu soit intervenu miraculeusement pour créer les espèces au cours de l’évolution. C’est une possibilité, mais pas une nécessité, Dieu fait ce qu’il veut ! Et surtout, il n’est pas moins présent lorsqu’il agit au travers de lois que nous pouvons découvrir.

B. Hébert