Roger Lefebvre, auteur de cet article est pasteur à Ath (Belgique).

 

Bible

 

Peut-on encore croire à l’inspiration divine  d’une bibliothèque rassemblant un choix arbitraire de livres écrits et réécrits pendant plus de mille ans ?

 

 

Aujourd’hui, les progrès des sciences bibliques permettent d’affiner l’histoire du texte de la Bible : sa rédaction, sa transmission, son évolution… Si bien que certains chrétiens, jusqu’ici convaincus que la Bible avait été rédigée sous l’inspiration divine – pour ne pas dire sous la dictée du Seigneur – se trouvent extrêmement troublés, ne sachant s’ils peuvent encore considérer la Bible comme la Parole de Dieu.

 

Rédaction et transmission des textes

En effet, si Moïse n’est pas le seul rédacteur du Pentateuque, si plusieurs écrivains se cachent sous le nom du prophète Esaïe, si Esther est un personnage symbolique, si Matthieu n’a pas rédigé tout l’évangile qui porte son nom… quel crédit peut-on encore accorder à ces textes qualifiés de « Saintes Écritures » ? Du moins, l’auteur de l’Ecclésiaste – mais est-ce vraiment Salomon ? – avait-il vu juste en écrivant : « Avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de tracas, et plus on a de science, plus on a de tourment. » (1:18)

La vie était si simple et croire tellement plus facile quand on prenait toute la Bible au premier degré, sans trop se poser de questions. Car maintenant, il semble bien que ce soient les incroyants qui ont raison : la Bible ne serait pas une Parole de Dieu s’adressant aux hommes, mais un recueil d’écrits exprimant ce que les hommes de différentes époques croyaient ou pensaient à propos de Dieu : ce qui nous laisse loin du compte ! Et pourtant… Et pourtant, votre serviteur s’entête à voir dans la Bible « LA » Parole de Dieu, telle que Celui-ci a voulu la révéler à l’humanité. Encore ne faudrait-il pas confondre les moyens qu’il Lui a plu d’utiliser à cette fin, avec nos phantasmes en matière de révélation divine. Car le fait que la pensée de Dieu se soit incarnée dans le moule de notre humanité n’ôte rien à sa pertinence ni à son autorité.

Il semble toutefois que, depuis de nombreux siècles, les croyants – aussi bien juifs que chrétiens – aient voulu évincer la nature humaine de la Bible, un peu comme, au début du Christianisme déjà, le docétisme a voulu nier la nature humaine de Jésus. Or, si les croyants d’aujourd’hui acceptent volontiers de croire à la double nature – divine et humaine – de la Parole de Dieu incarnée dans le Christ Jésus, ils ont toujours beaucoup de mal à se livrer au même exercice à propos de la double nature – divine et humaine – de la Parole de Dieu incarnée dans le Texte biblique. Cependant, les « déficiences » de ce dernier ne sont pas sans rappeler les « faiblesses » du premier, le Fils de Dieu ayant « endossé » un corps en tous points semblable aux fils des hommes, y compris la mortalité. De ce point de vue, il est intéressant de lire le chapitre 53 d’Esaïe en se souvenant que le Serviteur souffrant fut aussi l’incarnation de la Parole divine.

Dès lors, négliger d’étudier le moule bien humain dans lequel la Parole de Dieu s’est coulée, relève d’une faute grave : aussi bien du point de vue exégétique – concernant sa compréhension – que du point de vue herméneutique – visant son interprétation –. Or, dans cette double perspective, il est impossible d’ignorer les conditions de rédaction d’un texte de la Bible : son contexte socioculturel, les intentions de son auteur ou de ses rédacteurs successifs, les clés de décodage du style littéraire adopté, etc. En admettant toutefois que cette approche puisse s’avérer plus ou moins difficile ou indispensable, en fonction des textes concernés.

Mais quoi ! Dieu n’aurait-il pas été capable de veiller à la transmission du Texte biblique, voire à sa réécriture, aussi bien qu’Il l’aurait fait pour une primo-rédaction ? Comme on le sait, de l’aveu même de l’Écriture, de nombreux écrits bibliques sont le fruit d’une réécriture ou d’une synthèse de textes antérieurs, aujourd’hui perdus… et cela, sans que personne ne s’en émeuve ! Ainsi en est-il du Livres des guerres de l’Eternel (Nombres 21:14), du Livre du Juste (Josué 10:13), du Livre des actes de Salomon (1 Rois 11:41), du Livre des actes de Jéhu fils de Hanani (2 Chronique 20:34), et de quelques autres. Dès lors, pourquoi s’émouvoir à l’idée d’une réécriture successive de certains textes parvenus jusqu’à nous ?… Comme si Dieu n’avait pu veiller à ce que cela se fasse avec sagesse et en conformité avec sa sainte volonté !

 Les limites du canon biblique

Par ailleurs, en ce qui concerne l’Ancien Testament, on sait que la version grecque des Septante (LXX) comptaient pas mal de livres en plus de ceux retenus dans le canon hébraïque. Les protestants s’en sont tenus à ce dernier (39 livres). En suivant la Vulgate de Jérôme, les catholiques y ont ajoutés sept livres deutérocanoniques (pour arriver à 46 livres) choisis dans les suppléments de la LXX. Les orthodoxes leur ont encore adjoint six livres supplémentaires, conservant ainsi tous les livres de la LXX dans leur canon (52 livres)… Tant et si bien qu’aujourd’hui, on retrouve ces diverses versions disponibles en français dans le commerce : ce qui ne fait qu’ajouter du trouble au sentiment d’incertitude entretenu par les personnes non initiées à de telles subtilités.

Personnellement, et sans nier l’intérêt littéraire ou historiques des adjonctions de la LXX – version qui fut largement utilisée par les apôtres – je préfère m’en tenir au canon hébraïque (les 39 livres du Tanak : la Torah, les Nebiim et les Ketoubim, autrement dit : la Loi, les Prophètes et les Écrits) tel que défini au Synode de Jabné (ou Jamnia) vers 70 après Jésus-Christ. Car, comme la plupart des protestants évangéliques, je considère que c’est à Israël que Dieu avait confié le soin de veiller sur sa Parole, et donc d’en définir les limites… du moins pour l’Ancien Testament.

Pour le Nouveau Testament, la soi-disant découverte – leur existence étaient connue des spécialistes depuis longtemps – d’évangiles et d’autres écrits supposés tenus secrets par les chrétiens , relève de la fantaisie pure et simple. Il est vrai que la Didaché, l’épître de Barnabé, le Pasteur d’Hermas, par exemple, jouissaient d’une estime incontestable au sein de la première Église. Toutefois, ne présentant pas une autorité remontant aux apôtres eux-mêmes, l’Église chrétienne s’est abstenue de les adjoindre au canon. Rappelons que l’autorité d’une tradition apostolique bien attestée avait été le critère de sélection retenu pour constituer la liste des 27 livres du Nouveau Testament.

Par ailleurs, il faut bien admettre – encore faut-il les avoir lus – que la plupart des écrits pseudépigraphiques – non retenus dans le canon biblique – proposent des récits plus ou moins fantasmagoriques et des théologies complètement farfelues. Tel est, par exemple, le cas de l’apocalypse de Pierre, de l’apocalypse de Paul, des actes d’André, de l’évangile arabe de l’enfance, de l’évangile de Thomas, de l’évangile de Philippe, de l’évangile de Juda, et de bien d’autres… La découverte d’une portion importante de ce dernier ayant fait récemment beaucoup de bruit dans la presse.

Tous ces écrits ont été faussement attribués à des apôtres pour leur conférer quelque autorité auprès des simples, car ce sont des faux évidents, apparus de façon tardive – bien après les écrits du Nouveau Testament – au sein de diverses sectes : comme il y en a toujours eu et comme il y en aura toujours ! Aucun spécialiste de la Bible ne leur accorde un quelconque crédit – quant à leur origine apostolique – sinon la curiosité historique que l’on doit à tous les avatars d’une religion et à ses diverses mutations. Les commentaires excentriques de quelques modernes gourous, tels qu’ils furent répercutés par une presse en mal de sensationnel, ne présentent donc rien qui puisse ou doive troubler les croyants sincères à propos de la Bible qu’ils ont entre les mains.

Inspiration et inerrance de la Bible

 C’est pour cette raison, me semble-t-il, que les chrétiens qui croient à l’inspiration de la Bible, ne devraient en aucune façon se laisse troubler par les progrès des sciences bibliques… Surtout pas au point de faire l’autruche en les niant ou en les attribuant à quelques chercheurs malveillants. Il est vrai que certains chercheurs athées ou agnostiques ne se gênent guère pour associer leurs philosophies particulières à leurs découvertes. Mais cela, beaucoup de « scientifiques » chrétiens fondamentalistes et évangéliques le font également ! N’hésitons donc pas à faire le tri entre l’objectivité scientifique des faits – aussi dérangeants soient-ils – et leurs diverses interprétations, toujours sujettes à caution.

Personnellement, je garde une totale confiance en l’inerrance de la Bible en tant que Parole de Dieu. Entendez par là que je suis intimement convaincu qu’il n’y a rien dans la Bible (les 39 livres de l’A.T. et les 27 du N.T.) qui puisse induire la foi en erreur. Quant à la possibilité d’inexactitudes liées à la culture de ses rédacteurs, ou concernant des problèmes de dates, de copies ou de traductions, elles font partie de l’incarnation de la Parole de Dieu en notre humanité. Ces anomalies ne portent généralement que sur des détails et, quand on les replace dans leur contexte général, elles ne présentent jamais rien de préjudiciable pour le message divin, et donc, pour une bonne intelligence de la foi.

La foi n’a donc rien à craindre d’une lecture « intelligente » de la Bible : si Dieu a jugé bon de nous pouvoir d’un cerveau doté de quelque cent milliards de neurones, jouissant chacun de quelque dix milles contacts avec leurs voisins (soient 1015 synapses), ce n’est pas pour faire de nous des crocodiles sommeillant sur les bords du Nil, mais « pour éveiller en nous une claire intelligence ». (2 Pierre 3:1) Aussi, de même que Luther disait « sa conscience liée par les Saintes Écritures » (Worms 1521), nous avons à « renverser les raisonnements qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu » (2 Corinthiens 10:5)… D’où qu’ils viennent : du scientisme athée ou de la tradition chrétienne ! Car, nous le savons : « Cela est bon et agréable devant Dieu, notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Timothée 2:3,4)

Cette « connaissance de la vérité » cependant, semble faire peur à beaucoup de chrétiens : peut-être parce qu’elle risque de bousculer certaines traditions exégétiques, ou alors, parce que ces dernières leurs paraissent plus confortables et plus simples à intégrer… Paresse intellectuelle qui resterait sans doute peut compromettante si, à notre époque de développement et d’enseignement des sciences, elle n’était devenue porteuse d’effets collatéraux tellement dommageable pour la foi, et donc, compromettante pour le salut de nos contemporains. Plus que jamais, l’obligation qui nous est faite « d’aimer notre prochain comme nous-mêmes » est liée à notre soumission au premier et grand commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence. » (Luc 10:27) Pour ce dernier mot, le grec « dianonia » se réfère à nos facultés de compréhension plutôt qu’à une vague « pensée », comme une lecture superficielle de la plupart des versions françaises pourraient le laisser entendre… Ceci expliquant cela, cette façon « d’aimer Dieu avec toute notre intelligence » se trouve parfois boudée dans nos milieux évangéliques.

De toute façon, quand on se souvient que les 66 livres de la Bible ont été écrit par des dizaines d’auteurs de cultures différentes, de professions différentes, parlant des langues différentes, vivant dans des pays différents et au cours d’une période s’étalant sur plus de mille ans de bouleversements historiques, la cohérence de l’ensemble de cette immense bibliothèque demeure un phénomène intellectuel et spirituel proprement miraculeux… et que seule l’unicité de son inspiration peut vraiment expliquer !

 L’Esprit Saint, seule clé de lecture

 À ce propos, le meilleur critère concernant la fiabilité de l’inspiration et de l’autorité divine dont la Bible a bénéficié, demeure l’œuvre spécifique de l’Esprit Saint. Celui-ci demeurera toujours la clé indispensable pour tout qui prétend avoir accès à la pensée de Dieu. Si le Saint-Esprit fut bien celui qui a éclairé les rédacteurs de la Bible, il demeure tout aussi incontournable pour éclairer ceux qui la lisent aujourd’hui et qui peuvent en vérifier concrètement la pertinence dans une mise en pratique quotidienne. Or, de ce point de vue, le miracle se perpétue depuis plus de 2000 ans, puisque des millions de personnes, de nationalités, de cultures et de langues différentes on pu faire la même expérience : celle d’une rencontre personnelle avec Dieu à travers sa Parole incarnée en Jésus-Christ, et telle que révélée dans sa Parole écrite : la Bible.

Avec son franc-parler habituel, l’apôtre Paul l’affirme sans ambages : « Personne ne connaît ce qui concerne Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. Or nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de savoir ce que Dieu nous a donné par grâce. Et nous en parlons, non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, en expliquant les réalités spirituelles à des hommes spirituels. Mais l’homme naturel ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c’est spirituellement qu’on en juge. » (1 Corinthiens 2:11-14)

Ceux qui pensent pouvoir se dispenser de cette lumière ne verront jamais dans la Bible qu’un livre écrit par quelques ingénus, croyant en Dieu parce qu’ils ne jouissaient pas encore des « bienfaits de notre civilisation avancée ». Que Dieu les bénissent en leur ouvrant les yeux car, comme le disait Jésus : « Ce sont des aveugles qui guident d’autres aveugles. Or si un aveugle guide un aveugle, ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou ? » (Matthieu 15:14)