Dans un article précédent, j’ai cité quelques lignes du livre des frères Bogdanov » Le visage de Dieu » abordant la notion de « programmation de l’univers » vers la vie et la conscience. Les lois physiques permettant ce développement vers une complexité croissante du vivant et du non vivant sont inscrites dans les conditions initiales du Big Bang, les constantes physiques étant finement ajustées pour permettre l’apparition de la vie. Ces idées ne sont pas une innovation des frères Bogdanov, mais elles sont largement répandues parmi les scientifiques de confession chrétienne et les théologiens, comme Alister Mc Grath par exemple. Elles entrent dans la compréhension de la création qu’a le physicien Howard Van Till du Calvin College. Dans un excellent ouvrage collectif paru en 1999 « Darwinism Defeated ? » (Le Darwinisme est-il mis en échec ?) , en réponse aux arguments anti évolutionnistes de Phillip Johnson, leader du mouvement de L’Intelligent Design , Howard Van Till aborde sa « Perspective d’une création optimalement équipée » par Dieu.
A quel type de création Dieu a-t-il donné l’existence ?
« Tous les chrétiens croient que la création a été conçue intelligemment afin d’accomplir les buts fixés par Dieu. Mais tous les chrétiens (c’est mon cas), ne croient pas que l’histoire de la formation de la création à laquelle Dieu a conféré l’existence a été ponctuée par des épisodes d’interventions directes de Dieu pour imposer de nouvelles formes…
Laissez moi d’abord exprimer mon accord avec la doctrine historique chrétienne de la création. Je crois en effet que tout l’univers- chaque atome, chaque structure physique, chaque organisme vivant- est une créature qui doit son existence à l’expression de la volonté de Dieu…
Les capacités d’action et d’interaction, d’auto organisation et de transformation sont aussi essentielles que les propriétés variées qui caractérisent les substances, les structures et les organismes…L’ensemble de ces capacités d’organisation et de transformation forment ce que j’appelle « l’économie formationnelle » de la création. Cette économie est véritablement sidérante.
Cette économie est-elle suffisamment robuste pour permettre l’apparition de toutes les diverses structures physiques (étoiles, galaxies…) et de toutes les formes de vie qui sont apparues au cours des âges ?
Il y a quinze siècles, Augustin a proposé que la réponse à cette question soit « OUI ». Il voyait la création comme un acte au cours duquel Dieu donnait à toutes les substances fondamentales toutes les capacités (qu’il qualifiait de « principes en semence ») qui permettrait l’apparition de tout l’éventail des formes de la création…
Pour les chrétiens, la question n’est pas, création ou évolution ? La question est plutôt : à quel type de création Dieu a-t-il conféré l’existence ? Une création avec des « trous » dans son économie (qui rendrait donc des interventions épisodiques directes nécessaires) ? Ou bien une économie robuste sans « trous » ?
La perspective d’une création équipée de façon optimale.
Pour de nombreuses raisons, la deuxième option a ma préférence…On pourrait aussi l’appeler la perspective de la création évolutive. Voici quelques raisons motivant mon choix :
- Parce que nous y voyons l’univers comme l’accomplissement de la volonté de Dieu le créateur.
- Parce que toutes les propriétés et les capacités de ses créatures (des quarks aux formes complexes de vie) sont des dons du créateur. Ainsi, aucun processus ne peut être vu comme dénué « d’intelligence » ou de but (allusion polémique au concept de l’ « intelligent design », note du traducteur). Pour un chrétien, faire autrement constituerait à mon avis une insulte au créateur qui a donné à toutes ces créatures leurs capacités. (Note du traducteur : les partisans de l’ « intelligent design » pensent qu’il existe deux types d’objets dans l’univers : ceux qui ont été conçus « intelligemment » par le créateur par une action directe… et les autres).
- Dans le contexte de cette vision de la création dotée optimalement dés sa naissance, nous avons toutes les raisons d’accueillir favorablement les découvertes de la science, fruits des capacités que Dieu a donné à l’homme. le Créateur mérite d’être célébré pour son inventivité sans bornes et sa générosité sans limites.
- Si nous pensons que la création a été donnée sans « trous », nous ne serons pas tentés de chercher des preuves empiriques de dons manquants, comme si le travail créatif de Dieu était davantage à chercher dans ce qui n’est pas plutôt que dans ce qui existe.
- Le concept large de la création dotée dés le début d’une économie robuste et sans « trous » est en accord avec la pensée des premiers chrétiens, comme le montre la vision qu’en avait Augustin. Cette façon d’envisager la création est en contradiction avec les scénarios créationnistes épisodiques dans lesquels des « processus naturalistes sans finalité et sans intelligence » ne sont entrecoupés qu’occasionnellement par des actes de création spéciale ou de conception intelligente (« intelligent design »)…
- Si la communauté chrétienne adoptait cette vision d’une création dotée de façon optimale dés le Big Bang, elle éviterait le système de comptage inversé inhérent au débat création/évolution, dans lequel chaque découverte scientifique qui conforte l’économie formationnelle robuste est attribuée à la vision naturaliste du monde, et le théisme chrétien apparaît donc dépendant de la démonstration de l’existence de « trous » dans l’économie de la formation de l’univers. Je comprends bien pourquoi les partisans du naturalisme philosophique apprécient ce système de comptage des points, mais pour quelle raison les chrétiens devraient-ils accepter qu’une telle mascarade continue ?
- Finalement, cette perspective offre aux chrétiens un moyen par lequel l’entreprise théologique pourrait bénéficier du jugement informé de la communauté scientifique, dont beaucoup de chrétiens, en ce qui concerne la nature de la création et son histoire. »
Morceaux choisis de « Darwinism Defeated? » The Johnson-Lamoureux Debate on Biological Origins paru chez Regent College Publishing et préfacé par le théologien évangélique bien connu J.I. Packer.
Pour conclure, j’ajouterai que pour certains chrétiens, cette vision de la création serait plus du déisme ( un Dieu qui abandonne la création à elle même) que du théisme (un Dieu personnel comme celui de la Bible). J’expliquerai dans un prochain article pourquoi il n’en est rien. Les partisans de la « création évolutive » croient qu’à chaque instant, l’action de Dieu et en particulier du Christ reste indispensable pour « soutenir sa création ». Bien entendu ces croyants croient aussi que Dieu a agit et agit encore dans l’histoire de façon surnaturelle, et ils l’expérimentent dans leur propre vie!