Article 2 sur un total de 2 pour la série :

Les preuves ne convainquent pas tout le monde


L’épreuve de la preuve

Dans le premier article, Antoine a mis le doigt sur un constat qui peut nous interroger : même devant des preuves évidentes, certaines personnes ne se laissent pourtant pas convaincre.

Dans l’Évangile, Jésus reprend d’ailleurs à son compte cette caractéristique humaine pour affirmer que même devant un signe  miraculeux comme celui de la résurrection d’un mort, certains ne se laisseraient pas convaincre de l’existence d’un au-delà ni par le message de l’Évangile (Voir Luc 16.19-31).

Le riche dans ce récit, éclairé sur l’éternité, pense que si un mort revenu à la vie annonçait la vérité à ses frères, ils parviendraient à la foi et éviteraient de se perdre comme lui. Or Jésus affirme au travers de cette parabole que ce miracle ne les convaincrait pas.

Il est difficile de ne pas voir dans ces paroles chez Luc, l’illustration que même en ce qui concerne Jésus (sa propre résurrection), certains resteront dans l’incrédulité.

Ceux qui courent après les preuves de l’existence de Dieu risquent donc d’en être pour leurs frais.

À moins peut-être, comme on peut le lire en commentaire du premier article, d’envisager les choses sous un angle original, il y aurait les rationnels et puis les autres que l’on pourrait caricaturer à grands traits de la manière suivante :

« Il y a ceux que les preuves ne convainquent pas, et ceux qui sont convaincus en l’absence de preuves. »

Quand nos intérêts ont raison de la raison

Or à bien y réfléchir, l’expérience nous montre que les choses ne sont pas aussi tranchées. Bien sûr, nous voudrions certainement être classés dans la catégorie des « rationnels », ceux que les preuves, c’est-à-dire l’évidence des faits, poussent à les reconnaitre.

Or il suffit d’imaginer quelques situations de la vie quotidienne pour voir que ce principe peut vite être malmené. Par exemple, quand nos intérêts personnels (de toutes sortes) sont en jeu. Imaginons par exemple un accident de la route dans lequel je suis impliqué et responsable, un problème grave avec mon enfant à l’école, etc. Dans la plupart des cas, des personnes dont je fais peut-être partie et qui sont très rationnelles habituellement vont se comporter tout à fait différemment vis-à-vis des faits… Ce qui parait évident à tout notre entourage va nous paraitre tout simplement grotesque et inconcevable parce que nos intérêts, notre réputation, parfois notre fierté, etc.. sont en jeu… Il n’y aurait donc pas deux catégories de personnes, mais plutôt des contextes qui pourraient nous amener à être plus ou moins perméables aux preuves, même en notre for intérieur.

Bien que certains traits de personnalité penchent plus pour certains que pour d’autres du côté de la rationalité, nous ne devrions pas négliger que nous sommes tous en proie comme humains à de telles fragilités dans notre discernement.

Et pour en revenir à notre parabole de Luc 16, elle pourrait bien nous montrer qu’elle ne s’adresse pas à une catégorie de personnes en particulier, mais que chacun en fonction de son contexte peut entrer en résistance avec le message de l’Évangile ou de la foi.

Petit éclairage théologique

La foi biblique

Loin de moi l’idée de me lancer dans une étude complète sur la foi chrétienne telle qu’on pourrait la comprendre à partir des Écritures. Pour rester dans le cadre concis de cet article, je reviens sur quelques points déjà abordés par le théologien Thomas Torrance qui soulignait avec raison à partir de Paul que

nous marchons par la foi et non par la vue

2 Co 5, 7

Nous avions vu avec ce théologien, comment la croyance biblique se réfère à une réalité cachée et donc invisible qui nous est accessible par le biais de la parole. C’est parce que Dieu se révèle à nous que nous pouvons croire en Lui. On ne croit pas en Dieu sur la base de quelque chose d’extérieur à sa propre autorévélation.

Le cœur du message de Torrance consistait à montrer que si la notion biblique de la foi tend à opposer la vue à la foi, il n’en demeure pas moins que toujours selon la Bible, la foi est l’assurance d’une véritable connaissance.

Les preuves à l’épreuve de la croix

Je voudrais ici m’attarder sur le hiatus qui apparait assez nettement entre foi et vue (on pourrait dire entre foi et preuves) dans le Nouveau Testament, notamment chez Paul. Sa manière de présenter l’Évangile (bonne nouvelle) pourra probablement nous inspirer, car il met l’accent sur la révélation. Un des passages clés à ce sujet est certainement celui des chapitres 1 et 2 de la première lettre aux Corinthiens.

Voici l’extrait qui nous intéresse :

22Les Juifs demandent comme preuves des signes extraordinaires et les Grecs recherchent la sagesse. 23Mais nous, nous proclamons le Christ crucifié : c’est un message scandaleux pour les Juifs et une folie pour ceux qui ne le sont pas ; 24mais pour ceux que Dieu a appelés, aussi bien Juifs que ceux qui ne le sont pas, le Christ est la puissance et la sagesse de Dieu. 25Car la folie apparente de Dieu est plus sage que la sagesse humaine, et la faiblesse apparente de Dieu est supérieure à la force humaine.

1 Corinthiens 1.22-25 (Nouvelle Français courant)

Paul s’adresse à ses contemporains et nous offre une réflexion profonde sur la puissance de Dieu. Les religieux représentés par les juifs qui l’entourent réclament des miracles car ils comprennent (réduisent) la puissance de Dieu comme sa capacité à intervenir dans l’histoire en se manifestant par des signes tangibles extraordinaires. Les Grecs, versés dans la philosophie veulent quant à eux être persuadés par la sagesse du langage.

À ces deux publics, Paul leur présente un message qui fait office de scandale et de folie, qui va à l’encontre de toutes leurs conceptions. C’est le Christ crucifié qui est la puissance et la sagesse de Dieu.

On aurait pu s’attendre à ce que Paul mette en avant la résurrection du Christ, mais il ne le fait pas ici. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas un fait important pour la foi chrétienne, car Paul le souligne plus loin, sans la résurrection, la mort du Christ n’a aucun sens !

Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est illusoire.

1Co 15.17. Traduction Œcuménique de la Bible

Mais dans le passage qui nous intéresse, Paul souligne qu’un Dieu qui s’offre à la mort dans l’humanité du Christ, cela apparait comme une faiblesse et une folie aux yeux des hommes. On voit donc que pour Paul, l’homme face au message de l’Évangile qu’il centre sur la prédication de la croix n’est pas sur un terrain stable. Ce n’est pas le message qu’on entend (ou attend) quand on cherche des preuves.

Le Christ comme puissance de Dieu

Dans une contribution intitulée « Croix du Christ et puissance de Dieu », Marc Vial nous interpelle avec la question suivante :

En quoi Christ est-il puissance de Dieu ? [1],

car Paul ne l’indique pas précisément dans ce passage. En s’appuyant sur certains commentaires récents, le professeur de théologie acquiesce la proposition que l’on puisse comprendre chez Paul que le Christ est la puissance de Dieu dans le sens où il accomplit la puissance de salut de Dieu. La croix constituerait alors pour ceux que Paul appelle les fous et les faibles, une démarche pratique qui en mourant à eux-mêmes, s’offriraient à la puissance de Dieu.

Ce texte, précise Vial, nous parle de la faiblesse de Dieu comme sa puissance même. Cela va à l’encontre de nos représentations courantes, mais c’est tout l’intérêt de ce que Paul a à nous dire encore aujourd’hui sur la puissance de Dieu qui s’accomplit dans la faiblesse. Non pas que Dieu soit faible, mais en prenant part à la faiblesse des hommes, en goûtant lui-même à la mort qu’il a vaincue, le Christ crucifié a déployé la puissance de Dieu en nous délivrant de toute servitude.

Dans la traduction Nouvelle Français Courant que j‘ai utilisée plus haut, le v.25 indique « la « folie apparente » et la « la faiblesse apparente de Dieu ». Mais dans le grec (texte d’origine), le mot « apparente » » ne figure pas. Ici, le traducteur veut faire ressortir le paradoxe de la rhétorique de Paul. La folie et la faiblesse de Dieu sont en fait plus sage et plus forte que tout ce que les hommes sont capables de produire.

Le paradoxe de la foi

Dans un autre article de l’ouvrage que nous venons de citer, Hans-Christoph Askani nous parle du « paradoxe de la foi »[2]. Il s’agit toujours d’un commentaire du même passage de 1 Corinthiens.

Dans sa conclusion, l’auteur insiste sur le caractère paradoxal de ce texte (1 Co,1 & 2) englobant le passage qui nous intéresse. Le paradoxe nait du fait que dans l’exposé de Paul, deux logiques s’affrontent, celle du monde et celle de Dieu, et elles ne coïncident pas.

En effet, le monde représenté par les Grecs a établi son principe sur la sagesse, et Paul énonce que le principe de la foi est justement l’ébranlement de cette sagesse mondaine. Le message de Paul consiste à montrer la non-conciliation de ces deux principes. Askani interroge alors son lecteur, « sommes-nous prêts à l’accueillir ? » Un tel message pourrait en effet être déstabilisant, car Paul semble vouloir maintenir jusqu’au bout les conséquences du télescopage de la folie et de la sagesse et l’inversion des valeurs établies jusqu’à même concerner la compréhension et la non-compréhension !

C’est ainsi que notre auteur peut qualifier le « langage de la croix » (expression tirée de 1 C0 1.18 ; litt. le logos de la croix), non pas d’un paradoxe parmi d’autres, mais comme le paradoxe lui-même.

En recherchant dans l’histoire de la théologie, Askani cite une pensée de Pascal faisant écho à ce paradoxe :

Ne craignez point, pourvu que vous craigniez.  ; mais si vous ne craignez pas, craignez.

Pascal

Et Askani de conclure à partir de cette référence :

L’ordre de Dieu n’est pas le nôtre, et le nôtre n’est pas le sien. En cela consiste le salut ; en d’autres termes – en direction de l’homme : c’est seulement si tu es fou que tu n’es pas fou devant Dieu, si cependant tu n’es pas fou, tu es fou (devant lui).

Hans-Christoph Askani

Un autre auteur aurait pu être cité bien à propos concernant le paradoxe, c’est Kierkegaard, mais nous aurons certainement l’occasion d’en reparler.

Dans un prochain article, nous aborderons ce même sujet de la preuve, cette fois sous l’angle épistémologique, c’est-à-dire la manière dont nous déclarons des connaissances valables.


Notes

[1] Marc Vial, « Croix du Christ et puissance de Dieu », La sagesse et la folie de Dieu, Labor et Fides, Genève, 2017, p. 163-165.

[2] Hans-Christoph Askani, « « paradoxe de la foi», Ibid, p. 229-224.


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