En réponse à Marc à propos du récit de la »rupture » dans le jardin d’Eden, voici quelques extraits d’un formidable petit livre écrit par Pierre Grelot, prêtre catholique, aux éditions du Cerf

 

« L’arbre de connaissance du bonheur et du malheur, placé dans le jardin parmi tous les arbres « séduisants à voir et bons à manger » , n’a évidemment rien à voir avec la botanique: il est là pour symboliser le drame du choix. L’homme reçoit en effet un précepte clair: » tu peux manger de tous les arbres du jardin ; mais l’Arbre  de la connaissance du bonheur et du malheur, tu n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras de mort. » A partir de là, le drame peut s’ouvrir. Le narrateur ne donne aucune explication sur l’existence et l’origine du mal lui même: il le constate comme un fait. Dieu place l’homme dans le jardin, mais le serpent y est aussi, résumant en lui toute la symbolique du mal. Le serpent n’est pas un dieu du Mal à côté du Dieu du Bien. Mais comment le mal s’est-il insinué dans la création que Dieu a faite? Cette question ne reçoit aucune réponse claire, car le mal est une réalité totalement opaque à laquelle l’homme se heurte sans en percer le mystère…

 

L’entrée dans le drame n’est pas le fait d’une conscience individuelle enfermée dans sa solitude: le narrateur met en scène un couple. C’est que l’Homme n’a accédé à la conscience de soi que dans la réciprocité de sa relation à la Femme. La tragédie spirituelle qui se joue ici-bas comporte un aspect social qui ne peut être négligé…

C’est pour montrer que la rupture avec Dieu introduira une dimension tragique dans la vie du couple lui-même, le narrateur place, entre la scène de la création et celle de la tentation, un verset qui souligne l’innocence paradisiaque en évoquant la nudité sans honte…

Mis en situation d’épreuve par le commandement de Dieu, l’Homme et la Femme trouvent devant eux un séducteur. Le choix du Serpent pour figurer ce rôle rappelle plusieurs symboles attestés dans les mythologies orientales. On se souvient notamment que , dans l’épopée de Gilgamesh, un serpent ravissait au héros la « plante de vie ».

La Femme est séduite la première, parce que la féminité représente l’aspect fragile de l’être humain (de tout être humain!) Ensuite, au lieu d’être pour l’Homme « un aide semblable à lui », elle se fait à son tour séductrice pour entraîner sa décision, car la virilité représente l’aspect volontaire de l’être humain (de tout être humain!) qui s’engage. Après la transgression de la loi, « leurs yeux s’ouvrent », mais au lieu de la connaissance convoitée, il ne découvre que leur nudité misérable, et la honte sexuelle devient le signe de la conscience blessée…

L’humanité, incluse dans le couple prototype, qui représente à la fois sa généralité et son origine, apparaît comme prisonnière du Péché et de la Mort…

La liberté humaine, dès son premier choix-choix résultant d’une décision commune- a opté pour le malheur et pour la mort…

Mais la perspective d’espérance est déjà marquée par l’auteur: la sentence de Dieu contre le Serpent évoque son écrasement par la postérité de la Femme.

Le « péché des origines » fait comprendre la condition pécheresse de l’homme. Il est le fond du tableau sur lequel se détache la croix du Christ, nouvel Adam. »

Pierre Grelot, Homme qui es-tu? (Le Cerf)