crédit illustration : Vitrail de la cathédrale d’Ely en Angleterre près de Cambridge représentant la création – Depositphoto

A. Remarques introductives

1.Confronté aux mythes de création des autres peuples et empires, Israël affirme sa vision de la création. Lorsque Nabuchodonor, empereur de Babylone, envahit en 587 av JC le territoire de Juda et qu’il détruit Jérusalem et le temple, qu’il emporte une grande partie du peuple en exil dans son royaume, le désarroi est immense. La question qui hante les esprits est celle-ci : YHWH, le Dieu d’Israël et de Juda, aurait-il abandonné son peuple. Les promesses concernant le pays promis seraient-elles devenues caduques ? Dieu aurait-il renoncé à son alliance ? Plus de pays, plus de roi, plus de Temple et donc de lieu pour célébrer un culte à YHWH; tout ce qui faisait la richesse et la fierté d’Israël est anéanti. Toutefois, en exil, des prophètes et des prêtres parlent et écrivent pour comprendre et expliquer pourquoi on en est arrivé à cette situation. C’est notamment le projet de l’historiographie deutéronomiste. C’est aussi le temps d’une réflexion théologique importante qui permet aux exilés de retrouver confiance et espérance, de réfléchir à leur identité et de l’affirmer face aux conceptions religieuses de leurs envahisseurs. Soumis à la puissance de Babylone, avec ses divinités apparemment triomphantes, les prophètes et les prêtres n’hésitent pas à affirmer que le Dieu d’Israël est au-dessus de tous les dieux et qu’il est le créateur du ciel et de la terre. Ainsi le récit de Genèse 1 entre-t-il en polémique avec les mythes babyloniens tout en s’en inspirant.

2.Tous les peuples de la terre ont élaboré des récits de création pour dire l’origine du monde et de l’humanité. Les peuples de l’Antiquité ont élaboré de nombreux mythes de création Ces mythes permettaient de se situer face aux puissances de la nature et de célébrer les divinités qui ont créé le monde, dans de grandes fêtes religieuses et par conséquent de donner sens à l’existence. Généralement le monde et l’humanité sont engendrés par les divinités elles-mêmes, souvent à partir de combats sanglants entre elles. Pour les Babyloniens, le monde a été formé par le dieu guerrier Mardouk, celui qui a donné la victoire à Nabuchodonosor. Il a façonné le Ciel et la Terre en coupant en deux le corps (comme celui d’un poisson) de Tiamat, la divinité de la Mer, généralement représentée comme un serpent, marin. Les êtres humains, eux ont été formés à partir du sang d’un dieu coupable et ont pour rôle le soulagement des dieux dans leurs tâches pénibles. Souvent dans les mythes de création, des éléments du monde ou des forces de la nature sont divinisés, par exemple la mer, la terre, les astres, le soleil, certains animaux, la sexualité, etc. Pour l’Antiquité, le monde des dieux n’est pas séparé du monde des humains, et ceux-ci ont un destin complètement déterminé dans le monde des dieux. C’est pourquoi la divination et l’astrologie y avaient une place importante afin de chercher à connaître le destin des humains.

3.Contrairement à ce qui se passe dans les récits d’origine des autres peuples, Israël ne prétend pas avoir été engendré directement par la divinité. Considéré comme peuple choisi par Dieu parmi les autres peuples, sans aucun mérite de sa part, sa mission est d’être signe de Dieu pour tous les peuples de la terre (voir la promesse faite à Abraham : « en toi seront bénies toutes les familles de la terre » 3). Signe d’un Dieu qui veut la justice et le respect de l’être humain. Le peuple d’Israël connaît son Dieu à travers une histoire singulière et mouvementée caractérisée par des actes salvateurs et par une relation d’alliance. La libération de l’esclavage en Egypte a fait l’objet d’une large réflexion en Israël qui s’est notamment développée au moment de l’exil. Si Dieu l’a libéré de l’Egypte et de ses divinités, il peut encore le faire face à Babylone. Il le peut car il est le Dieu qui est au-dessus de tous les dieux et qui a créé toutes choses. En exil, Israël a saisi que Dieu est Libérateur car il est le Créateur et réciproquement. Il est intéressant de voir que le récit de la traversée salvatrice de la mer dans Exode 14 évoque par certains mots directement le récit de Genèse 1.

4.La croyance en une origine divine du monde n’est pas propre à Israël. Ce qui est particulier, c’est la façon de l’exprimer. Des historiens des religions reconnaissent que le récit de création de Genèse 1 a représenté une révolution face aux mythes de création dans la mesure où il présente une création totalement dédivinisée. Dieu est l’auteur de toutes choses ; il est autre et en dehors de sa création. Face à lui, les dieux babyloniens ne sont que des constructions humaines, des idoles branlantes, dont le prophète Esaïe se rit (voir Esaïe ch 44.13-19).

5.Le récit de Genèse 1 n’est pas le seul récit de création de la Bible. Si Genèse 1 présente la création dans une perspective globale du monde, celui de Genèse 2-3 (récit plus ancien) le fait à partir de l’être humain et de ses relations avec son environnement. D’autres textes bibliques parlent de la création, par exemple certains psaumes (104, 148), le livre de Job ch 38-41, les Proverbes ch 8. ou l’Apocalypse.

6.Le récit de Genèse 1 pose la question de l’origine et certaines des grandes questions de l’existence humaine en termes généraux sans le préalable d’une tradition religieuse quelconque. Il fait partie d’un ensemble littéraire qui s’étend jusqu’au chapitre 11 de la Genèse, sorte d’ouverture de la Bible où apparaissent déjà les thèmes qui y seront joués, comme dans un opéra. Ce récit a marqué notre civilisation, mais souvent il a été mal compris, il mérite pourtant une attention particulière, même au 21e siècle.

7.Son genre littéraire est celui d’un hymne liturgique, solennel et poétique qui exprime joie et louange à Dieu qui a voulu le monde. On peut aussi le lire comme une confession de foi qui proclame la grandeur et la beauté de la création issue de la Parole de Dieu et veut ainsi témoigner de la puissance et de la bonté de Dieu. Ce récit n’a donc pas un caractère historique ou descriptif. Ce n’est pas non plus un texte scientifique; inutile d’y chercher des théories cosmologiques, physiques ou biologiques contemporaines. D’ailleurs avec quelle théorie scientifique aurait-il dû être en accord ?

B. Quelques observations sur le texte de Genèse 1

1. La structure du texte

Elle témoigne d’un travail très soigné. Le récit se déploie comme une architecture qui par sa structure même doit servir à montrer l’action créatrice comme une mise en ordre du monde en vue de relations possibles. Ce récit a été écrit durant l’exil par des prêtres, au 6e siècle avant notre ère. Les Israélites exilés n’ont plus de terre, plus de leur lieu de culte : le temple de Jérusalem. Plus de lieu, mais un temps, sanctifié, le shabbat (en hébreu). Dès lors, le sabbat (en français), jour de célébration du Seigneur, prend toute son importance. Dieu peut être célébré en tout lieu, pourvu qu’on en prenne le temps, d’où l’importance du temps dans le récit de Gn1. Ainsi l’œuvre créatrice de Dieu est dépeinte dans le cadre de la semaine de sept jours que vivent les Israélites : six jours de travail et un jour de repos. La semaine de création n’a pas le caractère d’une durée ; c’est une semaine symbolique du travail de Dieu et de son repos, exemplaire pour la vie de l’Humain.

On est d’emblée frappé par le nombre de répétitions qui scandent la progression du récit :

  • Dix fois « Dieu dit » ; « faire », « de leur sorte » ;
  • 7 fois « et ce fut », « Dieu vit que bon » ;
  • 3 fois « que soit », «  Dieu bénit » « Dieu créa » (et 3 fois la troisième fois pour l’être humain)

On observe huit œuvres de Dieu, rythmées à dix reprises par l’expression: « Et Dieu dit », -rappel des dix paroles ou commandements d’Exode 20-, accomplies en six jours marqués par l’expression « Et il y eut un soir et il y eut un matin, n-ième jour ». Au septième jour (le sabbat), Dieu chôme, et marque ainsi une claire distinction entre lui et son œuvre. Ce retrait de Dieu indique qu’il donne à son œuvre son autonomie.

Les mots -EN HÉBREU- sont regroupés de façon à former des multiples de 7 :

  • 7 mots pour le titre : Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre
  • 14 (= 2 x 7) mots pour le v. 2
  • 207 mots pour les jours 1 à 4 (v. 3 – 19)
  • 206 mots pour les jours 5 et 6 (v. 20 – 31) soit 413 (= 59 x 7) mots pour les jours 1 à 6
  • 35 mots (= 5 x 7) pour le 7e jour (2.1-3) en tout 469 (= 67 x 7) mots pour ce premier récit de la création.

Le déroulement chronologique ordonne la formation des espaces par mode de séparation (jours 1 à 3) qui sont ensuite peuplés (jours 4 à 6). Un parallélisme apparaît entre les 3 premiers jours et les 3 suivants. Ainsi, on peut diviser le récit en deux triades, l’une répondant au tohu (l’informe) et l’autre au bohu (le vide) du prologue, et faire le tableau suivant :

Schema Genese 1

Formation des espaces         Peuplement des espaces
La terre était tohu (=informe)La terre était bohu (= vide)
Dieu sépare les espacesDieu crée les habitants des espaces
1la lumière/la ténèbre4Les luminaires
2délimitation de la mer et du ciel (firmament)5Les poissons, les monstres marins ; les oiseaux
3la terre – la végétation / les eaux6Les animaux terrestres ; les humains : homme et femme

Les jours de cette semaine montrent une progression dans la formation du monde ; le temps et l’espace sont aussi des créations de Dieu et même les premières, le temps (jour1) et l’espace (jour2).

2. La cosmologie sous-jacente

Le support descriptif est emprunté à une cosmologie de l’époque qui voit dans les eaux tumultueuses et l’obscurité l’expression du chaos primordial, c’est-à-dire de l’absence de toute création. Le monde est formé dans un espace ouvert au sein des eaux qui restent une menace de retour au chaos (le déluge). On peut représenter cette cosmologie de la façon suivante :

Cosmologie POA

C.  Commentaires de Genèse 1

Voir ici le Texte de Genèse 1 en version TOB sur le site de l’Alliance biblique française.

Pour plus de confort, on peut lire le texte agencé en colonnes selon les jours de la création :  Genèse 1 colonnes

Titre et prélude de la séquence

v 1-2. Ces versets peuvent être traduits ainsi:

En un commencement de : « Dieu créa les cieux et la terre » (titre de l’œuvre), alors que la terre était tohu-bohu….(incise), Dieu dit: soit lumière.

Ils forment donc une seule phrase jusqu’au verset 3. Quelques rares traductions ont : En un commencement où (ou lorsque) Dieu créa les cieux et la terre, Dieu dit … Dieu, en hébreu Elohim, est le nom générique du divin utilisé par les autres peuples.

Le verbe créer (bara, en hébreu) ne peut avoir que Dieu pour sujet. Il n’indique pas un mode d’action mais le fait que Dieu est auteur de l’œuvre. Il intervient à trois reprises, ici au v.1, au v.21 pour la création des premiers êtres vivants, et au v.27, trois fois, pour la création de l’humain.

Le tohu-bohu, c’est-à-dire le chaos, que l’on peut traduire par : tohu = informe et bohu = vide. Les mots: abîmes, obscurité, eaux, évoquent le non créé, ce qui est antérieur et extérieur à l’action créatrice. Le concept de néant est propre à l’Occident ; il n’a pas de sens en Orient. Mais l’idée est la même, car « la création n’est pas présentée comme le résultat d’une série d’événements antérieurs, mais elle est située au commencement, c’est-à-dire au point de départ de toute réalité structurée et de tout événement significatif » (A.de Pury). Contrairement aux mythes de création orientaux, il n’y a pas ici de préhistoire mythologique du chaos. La projet de l’action créatrice de Dieu est signifiée par « le vent tournoyant de Dieu », « le frôlement du souffle/présence de Dieu » face au chaos et aux ténèbres. Ainsi est symbolisé le fait que la création ne va pas de soi. Elle est surgissement de l’action créatrice divine contre le chaos.

Creation Jour 1 1er jour (v 3-5): création de la lumière et du temps

La lumière est la première œuvre de Dieu. Les astres n’en sont pas les premiers auteurs (une polémique contre la divinisation du soleil), ils sont les habitants du firmament (4ème jour), serviteurs et non pas origine de la lumière. La lumière n’est pas d’abord la luminosité, mais le signe de la présence de Dieu, généralement associée à la vie, la bénédiction et la vérité. La lumière instaure une alternance « journuit »: la première œuvre de Dieu revient à créer le temps.

Creation Jour 2 2ème jour (v 6-8): création des espaces

par mode de séparation du haut et du bas. Dieu fait l’étendue: le firmament, la voûte céleste vue comme ferme et qui met une limite au chaos aquatique sans bord ni forme. L’habitacle de la terre et de ses habitants est comme une bulle fragile au milieu d’océans infinis (voir le déluge en Gn 6-9, sorte de décréation).

Creation Jour 3 3ème jour (v 7-13): création de la terre ferme et de la végétation

De la limitation de ce qui est informe surgit un monde habitable: terre, mer et ciel.

La terre produit de la végétation portant en elle-même de la semence assurant sa continuité. Pas besoin de cultes agraires (temple cananéen avec prostitution sacrée) pour faire pousser les plantes ; elles se reproduisent elles-mêmes.

Creation Jour 4 4ème jour (v14-19) : les luminaires peuplent le firmament.

Les astres, le soleil, la lune ne sont pas désignés par leur nom, lequel aurait pu évoquer des divinités babyloniennes. Ce sont de simples luminaires qui ont une fonction dans l’ordre de la création, celle d’éclairer et de marquer le temps (les jours, les mois, les années) de l’histoire humaine. (A remarquer que ce n’est que dans ce 4e jour créateur que les jours de 24 h sont formés ; c’est dire que les jours créateurs n’ont pas le sens d’une durée de 24h.)

Creation Jour 5 5ème jour (v20-23) : peuplement de la mer et des airs

Les habitants de la mer et des airs sont appelés à surmonter la mort par leur procréation. Le verbe créer est utilisé ici pour les êtres vivants ceux de la mer, notamment ceux qui sont assimilés à des divinités : les monstres marins. Dieu les bénit; il leur veut du bien.

Creation Jour 6 6ème jour (v24-31) : les habitants de la terre

Note du Webmaster.
On notera la liberté de l’artiste  du vitrail de la cathédrale d’Ely par rapport au texte biblique – assez typique du Moyen Âge – qui pour mieux souligner  les caractéristiques inférées à l’humanité  regroupe la création des animaux terrestres au jour 5 avec celle des poissons et des oiseaux et isole pour mettre en évidence celle de l’homme et de la femme au jour 6.

Affectés au même territoire, il n’y a pas de concurrence entre l’animal et l’homme: leur mode de nourriture différencié en est l’indice. Nulle trace de violence puisque la nourriture est végétarienne. L’expression que la terre produise des êtres vivants ne signifie pas que le règne animal surgit de la terre comme le fait la verdure, mais plutôt que la terre est le lieu indispensable à sa vie et à sa procréation.

L’humain, une créature à part

  1. Dieu ne le crée pas dans la foulée. La délibération en Dieu, marquée par le nous sujet des verbes, donne à penser que la mise au monde de l’humain, homme et femme, représente un risque immense pour Dieu. Dieu est en concertation avec lui-même pour créer un être de relation.
  2. De toute la création, seul l’être humain reçoit une fonction qui est une vocation : recevoir la terre comme un don et la rendre habitable. Appelé à se multiplier, comme les animaux, à assujettir la terre et à dominer les animaux ; un rôle de gérance de la création, comme un roi.
  3. A l’image de Dieu, l’homme n’est pas une copie, voire la première idole, mais une ressemblance, un correspondant, celui à qui Dieu choisit d’adresser la parole et qui est son répondant, son vis-à-vis.
  4. L’être humain est créé différencié, sexué -homme/femme ; le seul être pour lequel la différenciation sexuée soit mentionnée. Il est un être de relation, en cela il est aussi image de Dieu. L’égalité et la complémentarité sont fondamentales. La sexualité est positive, car voulue dans l’ordre de la création, et non pas instrumentalisée ou divinisée comme dans certains cultes cananéens.
  5. L’être humain est la seule œuvre dont il n’est pas explicitement dit qu’elle est bonne. Ce sont les œuvres de la création qui sont bonnes pour lui : la lumière, l’eau, la végétation, etc.
  6. Dans les temples de l’Antiquité figurait généralement la représentation, l’idole de la divinité. Ici, dans le temple de la création, l’image du divin, son représentant, c’est l’être humain et tout humain (homme et femme).

Creation Jour 77ème jour  (2.v 1-3) Un temps pour le repos et la célébration

Dieu chôme ou se repose de ce qu’il avait fait. Ces mots marquent une sorte de retrait de Dieu. Le monde est autre que lui, il est comme donné à son autonomie. Son représentant est l’humain. Le sommet que constitue la création de l’homme est surplombé par un autre point culminant, celui d’un temps d’arrêt. Loin de « s’asseoir oisivement » pour contempler la dégradation s’installer sur la terre, comme le concevaient les mythes anciens, Dieu crée le temps de la célébration par laquelle l’être humain trouve sa dignité de fils/fille et le sens de son existence. Ce 7ème jour n’est pas simplement un jour de plus, mais un temps voulu par Dieu, mis à part (=sanctifié). Ce récit de création ne débouche pas sur un espace sacré, (comme dans les récits mythiques) mais sur un temps sanctifié pour la reconnaissance de Dieu dans la perspective d’une fête : le sabbat.  

D. Perspectives ouvertes par le récit de Genèse 1

1.Lieu crée par sa Parole. Contrairement à ce que présentent les mythes cosmogoniques, la création n’est pas le résultat d’une lutte cosmique mais celle d’une Parole libre et souveraine qui ne demande pas d’effort. Il suffit à Dieu de parler pour que s’opèrent séparations et peuplements. Elle n’est pas pour autant une parole magique, mais une parole qui ordonne et fait advenir dans la durée les choses du monde. La Parole est foncièrement de l’ordre de la relation, relation entre partenaires distincts. Elle marque ainsi à la fois la souveraineté de Dieu, la distinction radicale entre le Créateur et la création et la relation de dépendance de celle-ci à l’égard de Dieu. Le monde ne sort pas de Dieu, il est autre que Dieu. Non divin, il advient par Dieu autre que lui, il est comme « en face » de lui ; il est maintenu par lui.

2.La distinction entre Créateur et créature se reflète dans le mode de création de la Parole divine. Celle-ci crée par mode de séparation; elle engendre des différenciations nettes, et donc un monde ordonné qui permet la vie et les relations entre les créatures. Du coup, ce récit indique une forme d’alliance de Dieu avec le monde.

3.Toutes les œuvres de la création sont qualifiées de bonnes (sauf l’humain) : « Dieu vit que cela était bon, voire très bon ». Elles sont telles que Dieu les a voulues et les veut encore quelles que soient leur apparence ou fonction, aussi insolites soient-elles. Elles ne sont pas le produit d’événements dramatiques ou hasardeux. Non seulement en son origine, malgré l’altération du mal, la création reste fondamentalement bonne pour l’humain. Elle est promise à la bonté de Dieu et au renouvellement de toutes choses. Elle n’est pas parfaite selon des critères que l’on se fixerait en fonction d’un certain idéal.

4.L’être humain a une place éminente dans la création : image de Dieu, il est appelé à assujettir la terre et à dominer les animaux. Comment comprendre cet ordre donné par Dieu à l’humain, dont on a souvent dit qu’il était à la caution donnée à l’homme pour qu’il exploite et asservisse la nature et les animaux. La création qualifiée de bonne, excepté l’être humain pourrait donc se passer de lui ! N’étant pas qualifié, il est un interlocuteur libre. Libre et responsable ! Responsable comme un roi de son royaume. En effet, si l’humain a domestiqué quelques espèces animales, la plupart ne le sont pas. De plus, l’humain en Gn1 est encore végétarien ; les animaux n’ont pas à le nourrir. La possibilité de tuer et manger les animaux ne sera concédée qu’après le déluge. L’interprétation à donner est donc bien celle de la dignité royale. Institué roi de la terre et du règne animal, cette fonction ne lui donne aucun droit de détruire et d’exploiter sans limite. Un bon roi n’est ni un pilleur, ni un tyran, mais un gérant pour le bien de tous. Assujettir la terre, est un appel à cultiver le sol pour se nourrir dans le respect de la terre.

5.En 587 avant notre ère, les Israélites ont été déportés à Babylone. Ce choc immense a néanmoins permis la rédaction d’une grande partie de la Bible, et l’émergence du judaïsme. Les exilés ont perdu leur terre et leur lieu de culte, le temple de Jérusalem. Désormais, ils mettent l’accent, non plus sur l’espace, mais sur le temps. Chaque semaine, ils doivent mettre un temps à part, le shabbat, où qu’ils soient, pour célébrer le Seigneur. Cette valorisation du temps, et donc de la vie, plutôt que de l’espace, leur a permis de construire une histoire singulière et de traverser l’histoire humaine malgré les vicissitudes souvent effroyables.

6.A trois reprises, Dieu bénit : d’abord les animaux, puis le couple humain et enfin le septième jour. On peut y discerner l’appel adressé à l’homme en vue d’une triple responsabilité:

  • Dieu bénit la vie, responsabilité écologique (respect de la vie animale). Le monde est don et la vie est bénie. L’être humain en est le gérant non pour les surexploiter, mais pour y exercer sa connaissance et son pouvoir au sens du roi qui a pour tâche de veiller sur le bien et le respect de tous.
  • Dieu bénit l’être humain, responsabilité éthique (respect d’autrui). Chaque être humain est image de Dieu, il a dignité d’être. Il ne peut lui être porté atteinte sans que Dieu lui-même ne soit concerné. Comme correspondant de Dieu, il est répondant des autres humains devant Dieu. Le monde est don, il est donc à recevoir comme lieu de partage et non de possession.
  • Dieu bénit le septième jour, responsabilité liturgique ou cultuelle (respect de Dieu). Comme représentant de Dieu sur la terre, l’être humain est appelé à refléter sa gloire, à dire le sens du monde et de sa vie devant Dieu. Il est le chantre de Dieu.

7.Dieu qualifie chaque jour son œuvre : Dieu vit que cela était bon ; il donne quittance de son œuvre. Elle est bonne, utile, belle féconde, source d’émerveillement, signe de la bonté de Dieu. Bon n’est pas à assimiler à La création, la vie est à recevoir comme un don pour tous, sans sacraliser non plus la vie. Ce récit appelle plus à la reconnaissance qu’à la connaissance.

8.Gn1 n’est pas un texte scientifique, toutefois, l’émergence des sciences en Occident lui est en partie redevable. En effet, d’une part, le monde est création ou œuvre de Dieu, donc un monde totalement dédivinisé, et, d’autre part, un monde créé suivant une progression ordonnée, donc un monde dans lequel règne un ordre : ce qui rend les sciences possibles. De plus, Gn1 affirme qu’il y a un commencement, qu’il y a une histoire du monde créé, comme les théories cosmologiques et biologiques le disent aussi.

9.L’activité créatrice de Dieu est signifiée par des verbes différents : Dieu dit, fait, crée, sépare, nomme, ordonne, voit, prononce, donne, bénit, sans que jamais le processus par lequel les choses arrivent, « le comment », ne soit présenté.On ne peut pas mettre sur le même plan l’action créatrice de Dieu et l’explication scientifique de la formation du monde ou des espèces vivantes. Dire Dieu crée ne nous renseigne pas sur le processus de formation du monde; c’est une confession de foi qui reconnaît que Dieu en est l’auteur dans une intention de bonté et une volonté de relation avec ses créatures. C’est pourquoi, il est possible d’accepter les théories scientifiques de formations du monde (théorie du Big bang, théorie de l’évolution de la vie, l’évolution de tout être particulier, etc.) et aussi l’affirmation que Dieu est le créateur, l’auteur du monde. Sciences et théologie (foi) : l’un n’exclut pas l’autre ; ce sont deux registres de langage et d’approche différents.

10.Pendant des siècles, ce récit a rempli un rôle à la fois théologique et explicatif. Pour répondre à la question : comment le monde s’est-il formé ? On répondait par le récit de Gn 1 et aussi celui de Gn 2. En plus d’être sujet de louange, Dieu était utilisé comme explication. Avec l’apparition des théories scientifiques, le récit biblique a perdu ce statut. D’ailleurs, à bien y regarder, il n’explique rien. En respectant sa spécificité de récit de foi, il a gagné en pertinence, au niveau théologique, anthropologique et éthique. Son message vise à donner sens à l’humain dans sa relation à Dieu, aux autres et au monde.

11.La lecture qu’en font encore aujourd’hui les créationnistes fondamentalistes correspond à un irrespect du genre littéraire du texte et aussi des connaissances scientifiques actuelles. Celles-ci prennent au sérieux la création comme elle se présente. Les créationnistes veulent faire du récit de Gn 1 un texte qui nous informe sur « le comment ça s’est passé », notamment avec l’interprétation que le monde se serait formé en 6 jours de 24 heures. Ainsi prétendent-ils que le monde a une apparence d’ancienneté. Mais Dieu mentirait-il par sa création ? De plus, le texte lui-même montre que les jours créateurs sont à comprendre dans un sens symbolique.


Bibliographie

« Aux origines du monde » des Editions Enbiro, Lausanne, 2009 ;  www.enbiro.ch

Albert de Pury, Le chant de la création, Ed du Moulin, 1986

Albert de Pury, Homme et animal, Dieu les créa, Labor et Fides, 1993

Pierre Gisel, La création, Labor et Fides, 1989

Lucie Kaenel et Pierre Gisel, La création du monde. Discours religieux, discours scientifiques, discours de foi, Ed Labor et Fides, 1999

Paul Beauchamp, Pierre Gibert, La Création dans l’Orient ancien, Cerf, 1987

Bornet, Clivaz, collectif, Et Dieu créa Darwin, Labor et Fides, 2009

Bogaert, Euvé, Lambert, Trublet, Vermeylen, Bible et sciences, Lessius, 2002