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L’un des arguments en faveur d’une Terre Jeune (TJ) a trait à la distance Terre-Lune. J’en entends parler depuis au moins 20 ans, mais il est beaucoup plus vieux que ça[1].
L’argument Terre jeune
L’idée générale est la suivante. La Lune s’éloigne de la Terre de presque 4 cm par an[2]. C’est tout à fait vrai, ces mesures étant possibles grâce aux miroirs que les missions Apollo ont laissé sur la Lune dans les années 70. Ils permettent, à l’aide d’un laser, de déterminer la distance Terre-Lune avec une précision littéralement millimétrique.
Si l’on inverse la tendance, on arrive à une Lune qui touche la Terre il y a un peu plus de 9 milliards d’années[3]. Certes, personne ne dit que le système Terre-Lune a cet âge, mais, argumente la thèse TJ, une telle promiscuité aurait posé de gros problèmes avant, comme, par exemple, le franchissement de la « Limite de Roche », fatal à notre satellite.
« Limite de Roche », quèsaco ? Nommée en l’honneur de l’astronome Français Édouard Roche, c’est la limite en deçà de laquelle les forces de marée de la gravité Terrestre disloquent la Lune. Pour cette dernière, elle est de l’ordre de 3 rayons Terrestres. En clair, si la Lune est plus proche de la Terre que ça, la Terre attire les côtes opposés lunaires avec une telle différence que la Lune se disloque.
Résumons l’argument TJ : la Lune s’éloigne de la Terre (ça, c’est vrai). En extrapolant des milliards d’années dans le passé, on arrive à une Lune qui franchit la Limite de Roche et se disloque. Bref, le système Terre-Lune ne peut avoir des milliards d’années. 6 000, c’est beaucoup mieux.
Sa valeur
Valeur de l’argument ? Nulle. Tout le monde sait que la Lune a bel et bien franchi la Limite de Roche dans le passé, puisqu’elle vient de la Terre. Selon le scénario standard, elle est née du choc d’un énorme astéroïde avec la Terre, dans l’enfance du système solaire, il y a un peu plus de 4 milliards d’années. Puis elle a migré vers son orbite actuelle. Voici une figure de l’un des nombreux articles scientifiques qui traitent du sujet (référence en vert).
En horizontal, les milliards d’années[4], en vertical, la distance Terre-Lune en nombre de rayons Terrestre.

Celui-ci est daté de 2019, et la figure mentionne une dizaine de travaux antérieurs. J’ai trouvé des courbes similaires dans un article paru dans la revue Nature en 1986[5], ou plus récemment, en 2022, ici.
Deux remarques :
- Selon tous les modèles, la vitesse d’éloignement n’est pas du tout constante dans le passé. Au contraire, elle augmente. Le résultat est une Lune qui sort de la Terre bien avant 9 milliards d’années.
- L’éloignement est très rapide au début. Les fragments de la collision entre la Terre et l’astéroïde franchissent très vite la Limite de Roche et sont donc rapidement libres de s’agréger pour former la Lune. Par exemple, dans l’article de 2022 en lien plus haut, la Lune passe 97% de sa vie à une distance supérieure à 30 Limites de Roche.
Bref : impact il y a un peu plus de 4 milliards d’années, les débris s’éloignent, franchissent allègrement la limite de Roche au-delà de laquelle ils peuvent s’agréger et former la Lune.
Récapitulons
L’argument terre-jeune commence par extrapoler dans le passé le taux d’éloignement actuel. En vertu de quelle logique ? Aucune. Si ce genre d’extrapolation était légitime sans avoir besoin de justification, pourquoi donc ne pas prétendre que si la marée monte de 10 mètres en quelques heures au Mt St Michel et que l’atlantique fait 5,000 mètres de fond, alors l’océan ne peut pas avoir plus de quelques mois ?
Poursuivons. Les calculs de dynamique céleste montrent que le taux d’éloignement n’est pas du tout constant dans le passé, mais qu’il était au contraire supérieur. C’est ce que montrent tous les modèles. Et l’épouvantail Limite de Roche brandit par l’argument TJ a bel et bien était franchi il y a quelques milliards d’années. Et alors ?
Au total, une confusion à plusieurs étages qui, malheureusement, ne profitent surement pas au Christianisme. Ou comment une apologétique minée s’avère en fin de compte contre productive.
[1] Au moins 1982, Barnes, Thomas G. 1982. Young age for the moon and earth, Impact 110.
[2] Les lois de Newton expliquent cela très bien. Voir l’article Wikipédia sur « Distance lunaire ».
[3] Il suffit de diviser 384 000 km par 4 centimètres.
[4] Le « G » de « Ga » veut dire « Giga », c’est-à-dire, « milliards »
[5] James C. G. Walker & Kevin J. Zahnle, Lunar nodal tide and distance to the Moon during the Precambrian, Nature, volume 320, pages 600–602 (1986).