Ce lundi 6 octobre 2020, l’Académie royale des sciences de Suède a décidé d’attribuer le prix Nobel de physique 2020 avec une moitié à Roger Penrose

pour la découverte que la formation des trous noirs est une prédiction robuste de la théorie générale de la relativité

et l’autre moitié conjointement à Reinhard Genzel et Andrea Ghez

pour la découverte d’un objet compact supermassif au centre de notre galaxie.

 

 

Plantons le décor

Il y a presque 100 ans, Friedman, Lemaitre, Robertson et Walker (FLRW) appliquaient, chacun de leur côté, les équations de la Relativité Générale (RG) d’Einstein à l’univers tout entier. Les 4 compères trouvèrent la même solution. En gros, un espace-temps en expansion avec, au début, une singularité, c’est-à-dire un instant 0 où la densité de l’univers devient infinie. Même si l’onsait que la RG n’est plus fiable pour des densités trop élevées, il est toujours très intéressant de savoir ce qu’elle prédit, même quand elle se suicide. Surtout quand elle se suicide !

Pour faire leurs calculs, FLRW supposèrent que l’univers est, à grande échelle, homogène et isotrope[1]. Ces hypothèses simplifient considérablement les équations, ce qui fait qu’ils purent les résoudre.

Si la RG prévoit une singularité au « début » d’un espace-temps homogène et isotrope, il est un autre contexte dans lequel elle prévoit aussi une singularité : la mort de certaines étoiles. Quand ces étoiles ont fusionné en leur cœur tous les noyaux qu’elles pouvaient, la fusion nucléaire s’arrête et cesse de produire la pression qui s’opposait à leur propre poids. Dès les années 1930, les gens avait calculé que dans certaines conditions, des étoiles vont s’effondrer sur elles-mêmes sans que rien ne puisse arrêter le collapse. Au début des années 70, on baptisa l’hypothétique produit final « trou noir ».

 

Roger Penrose

Que ce soit pour l’effondrement d’une étoile ou pour le Big Bang, les calculs prédisant des singularités faisaient donc pas mal d’hypothèses simplificatrices. Mais le vrai monde n’est jamais simple. Les prédictions de la RG allaient-elles résister aux imperfections ? Dans le cas d’une étoile, par exemple, elle était supposée bien sphérique. Mais que se passe-t-il si c’est un patatoïde ? La RG va-t-elle de nouveau conduire à une singularité ? Un problème mathématiquement extrêmement difficile dont on connait la réponse, depuis les années 60, grâce à Penrose : c’est « oui ». Voilà pourquoi il est récompensé pour avoir découvert

 que la formation d’un trou noir est une prédiction solide de la théorie générale de la relativité.

Aucune étoile, quelle que soit sa forme initiale, n’a la garantie qu’elle ne finira pas en trou noir.

Penrose allait par la suite appliquer les techniques qu’il avait développées pour étudier le collapse stellaire, à la singularité FLRW. Il put ainsi montrer, en collaboration avec un certain Stephen Hawking, que cette dernière subsiste même quand on lève les hypothèses simplificatrices que les pionniers avaient faites.

Ajoutons que Penrose compte pas mal d’autres contributions en physique et en maths, qui en font un acteur majeur de la physique théorique des 60 dernières années[2].

 

Andrea Ghez et Reinhard Genzel

Nous sommes donc dans les années 60-70. Grace à Penrose on sait que les trous noirs sont une prédiction inévitable de la RG. Mais existent-ils vraiment ? Ne sont-ils qu’une prédiction théorique ou bien peut-on en trouver dans le vrai monde ?

C’est là que Andrea Ghez et Reinhard Genzel entrent en jeu. Dès le milieu des années 90, ces deux-là eurent l’idée de braquer les télescopes vers le centre de notre galaxie, où l’on soupçonnait fortement la présence d’un trou noir. Ils purent identifier quelques dizaines d’étoiles en orbite autour de « quelque chose ». L’analyse des orbites permit de déduire que ce quelque chose pesait environ 4 millions de masses solaires.

Quid de la taille de ce poids lourd ? Si on se dit que ce bibendum devait forcément tenir à l’intérieur des orbites, on arrivait à une taille maximale qui imposait une densité considérable, vue la masse en jeu. Et si de surcroit on tenait compte de la résolution des instruments et du fait qu’on ne voyait rien[3] au foyer des orbites, on arrivait à une densité encore plus énorme.

Andrea Ghez et Reinhard Genzel en déduisirent que ces 4 millions de masses solaires devaient forcément tenir dans un volume étonnamment petit. C’est ainsi qu’Andrea Ghez écrivait dès 1998 que « la grande densité centrale inférée… nous amène à la conclusion que notre galaxie abrite un énorme trou noir central ».

Les observations ultérieures n’ont fait que confirmer la chose, et la récente photo (ci-dessous) de l’ombre du trou noir central de la galaxie M87 n’a fait qu’enfoncer le clou, si tant est qu’il en avait besoin.

trou noir

trou noir supermassif M87 – CC licensing

Les trous noirs existent pour de vrai, et c’est en grande partie grâce à Roger Penrose, Andrea Ghez et Reinhard Genzel, qu’on le sait.

 

 


Notes

[1] En clair, cela veut dire que où que l’on soit dans l’univers, et dans quelque direction que l’on regarde, on voit la même chose. Ça ne marche qu’à très grande échelle, évidemment. Pas dans ma chambre.

[2] Son premier article parle de maths et date de 1955.

[3] Un trou noir n’émet pas de lumière, mais le gaz qui tourne autour avant d’être englouti en émet un paquet.