Un article paru au mois de Mai 2024 dans la prestigieuse revue Nature confirme que les scientifiques sont beaucoup plus ouverts à la foi que l’image qu’on s’en fait.

Les scientifiques et la religion dans le monde

Environ 85% de la population mondiale se considère religieuse [1]. Qu’en est-il des scientifiques ? Certains scientifiques comme le biologiste Richard Dawkins considèrent que foi et science sont en conflit. Au contraire, d’autres comme Francis Collins, ancien directeur du National Human Genome Research Institute et directeur des National Institutes of Health, les considèrent compatibles et complémentaires. Les scientifiques ont longtemps été associés au déclin de la religion dans le monde, mais les résultats issus des travaux de Elaine Howard Ecklund, professeure de sociologie à l’Université de Rice sont beaucoup plus nuancés. En 2011 et 2012, Elaine Howard Ecklund a conduit un sondage auprès de biologistes et de physiciens dans 8 pays du monde : Chine (Hong-Kong), Etats-Unis, France, Inde, Italie, Royaume-Uni, Taiwan et Turquie. Ces pays ont été choisis parce qu’ils présentaient différents degrés de religiosité, des niveaux variés d’infrastructure scientifique et des relations différentes entre les institutions religieuses et l’état. Les données collectées incluent les réponses de 22525 biologistes et physiciens, dont 645 issus d’organismes français, à un sondage sur leur perception de la relation entre la science et la foi.

L’étude de la revue Socius, les scientifiques et la religion

Les tableaux suivants ont été publiés dans un article de la revue Socius en 2016 [2] et présentent une analyse des réponses reçues, exprimée en pourcentage du nombre total de réponses. Le tableau 1 présente pour chaque pays quelques statistiques sur les réponses des scientifiques sur leur genre, leur nationalité, leur statut marital, leur nombre d’enfants, leur identification à une religion au moment du sondage et à l’âge de 16 ans, leur perception d’être une personne religieuse, leur pratique quotidienne de la prière, leur assistance hebdomadaire à une célébration religieuse et leur foi dans l’existence de Dieu.

Une proportion non négligeable de scientifiques dans le monde croit en Dieu ou en un dieu et pratique régulièrement. Près de 10 pour cent des scientifiques aux États-Unis et au Royaume-Uni, soit deux pays au cœur de l’infrastructure scientifique mondiale – n’ont « aucun doute » sur l’existence de Dieu, comme un quart des scientifiques en Inde et les deux tiers des scientifiques en Turquie. Et une proportion importante de scientifiques dans ces pays prient et assistent régulièrement à des offices religieux.

Parmi les pays sondés, la France est celui où les scientifiques ont la plus faible participation à des offices religieux (3%), un peu plus de deux fois moins que le reste de la population française (7%). Par ailleurs, seulement 5% des scientifiques dans les organismes de recherche français n’ont aucun doute sur l’existence de Dieu et 3% prient au moins une fois par jour. C’est trois fois moins que dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Royaume-Uni) et quinze fois moins qu’en Inde ou en Turquie. Par contre, près d’un tiers (30%) s’identifie à une affiliation religieuse et 16% se considèrent comme au moins quelque peu religieux.

 FranceHong-KongIndeItalieTaiwanTurquieRoyaume-UniEtats-Unis
Genre féminin (%)3026343832403832
Né(e) hors du pays (%)2658113454542
Marié(e) ou vivant maritalement (%)8156596361706167
Ayant 2 enfants ou plus (%)5524243035302526
S’identifie à une obédience religieuse (%)3031946558843739
S’identifiait à une obédience religieuse à l’âge de 16 ans (%)5320988448905560
Se perçoit comme une personne avec au moins une certaine religiosité (%) *1639595254572730
Prie au moins une fois par jour (%)31148171354911
Assiste à une célébration religieuse chaque semaine (%)31326171233811
A l’assurance que Dieu existe (%)51726162061910
Nombre total de scientifiques sondés6452761606126277643115311779

Tableau 1 (tiré de [2]).

* inclut les réponses « je suis une personne très religieuse », « une personne modérément religieuse » et « une personne légèrement religieuse »

L’étude de la revue Socius, les scientifiques dans leur perception du rapport science et religion

Pour autant, les scientifiques français perçoivent-ils de façon plus aiguë un conflit entre la science et la foi ? Le tableau 2 présente les réponses collectées à des questions portant sur la relation entre la religion et la science. Il a été spécifiquement demandé aux scientifiques : « Pour moi personnellement, ma compréhension de la science et de la religion peut être décrite comme une relation de . . .  » , puis présenté avec les options suivantes : « Conflit ; Je me considère être du côté de la religion », « Conflit ; Je me considère être du côté de la science », « Conflit ; Je ne sais pas de quel côté je suis », « Indépendance; ils font référence à différents aspects de réalité », « Collaboration ; chacun peut être utilisé pour aider à soutenir l’autre » et « Je ne sais pas ».

il est frappant qu’une majorité substantielle de physiciens et de biologistes dans chacun des pays étudiés ne considère pas que la science et la religion soient intrinsèquement en tension. En France, seulement 27% des scientifiques, moins que dans les pays anglo-saxons, perçoivent un conflit et 58% considèrent que science et foi font référence à des sphères différentes de la réalité.

 FranceHong-KongIndeItalieTaiwanTurquieRoyaume-UniEtats-Unis
Relation entre la religion et la science : Conflit : du côté de la religion (%)00100200
Conflit : du côté de la science (%)271718219242935
Conflit : ne sait pas de quel côté se placer (%)01101000
Indépendance (%)5844445862355147
Collaboration (%)724291521331212
Ne sait pas (%)814757777
La science m’a rendu beaucoup moins religieux (%)181220186162219
Nombre total de scientifiques sondés6452761606126277643117791531

Tableau 2 (tiré de [2])

L’article de la revue Nature sur les scientifiques et la foi

Un article tout récent paru dans la revue Nature interroge la façon dont les scientifiques croyants gèrent leur foi dans le contexte professionnel à travers quelques témoignages [3]. Les retours d’expérience diffèrent, mais aucun scientifique interviewé ne fait état de problème direct de discrimination sur la base de sa religion. Cependant, certains admettent être moins ouverts à partager leur foi dans leur contexte professionnel, par crainte de ne pas être pris au sérieux.

Qu’en est-il de la situation en France ? Les lois sur la laïcité fixent un cadre réglementaire à l’expression des convictions religieuses dans la sphère publique [4]. Le prosélytisme religieux, qui consiste à chercher à convaincre d’adhérer à une religion et qui n’est pas constitué par le simple port d’une tenue ou d’un signe religieux est proscrit dans les services publics au nom de leur neutralité. Dans les établissements publics de l’enseignement supérieur, bien que la liberté d’expression soit reconnue aux enseignants, tous les personnels y exerçant une mission, en contact ou non avec les étudiants, sont soumis aux mêmes obligations applicables à tous les fonctionnaires et agents publics. Cependant, les étudiants, qui ont librement choisi leur formation, sont libres de manifester leurs convictions dans les limites du respect du bon fonctionnement du service.

Conclusion sur le rapport des scientifiques avec la foi

En conclusion, l’image qui ressort de ces articles est très loin de celle d’une communauté scientifique athée en conflit avec les religions aux quatre coins du monde. Dans les 8 pays étudiés, la perception d’un tel conflit est largement minoritaire.  Même en France, environ 2/3 des scientifiques sondés perçoivent science et foi comme indépendantes voire complémentaires. 

Références

[1] https://populationeducation.org/world-population-by-religion-a-global-tapestry-of-faith/

[2] Ecklund, E. H., Johnson, D. R., Scheitle, C. P., Matthews, K. R. W., & Lewis, S. W. (2016). Religion among Scientists in International Context: A New Study of Scientists in Eight Regions. Socius, 2. https://doi.org/10.1177/2378023116664353  

[3] Fitting faith into the workplace, Nature Vol. 629, Mai 2024, 957-959, https://www.nature.com/articles/d41586-024-01471-0

[4] https://mobile.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-dossiers/2017-Dossiers/La-laicite/Libertes-et-interdits-dans-le-cadre-laic