L’article d’aujourd’hui a été écrit par Thomas Burnett. Thomas est l’éditeur associé de la fondation BioLogos . En tant qu’auteur scientifique, il a aussi travaillé pour l’ « American Scientific Affiliation », la « National Academy of Sciences », et l' »American Association for the Advancement of Science ». Il est diplômé de l’Université de Rice et de l’Université de Californie à Berkeley.

Cet article, d’abord paru sur le site de la Fondation BioLogos, a été traduit en français par Aloïce Touzet que nous accueillons pour l’occasion avec un grand plaisir dans notre équipe de traducteurs!!

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Introduction

L’une des raisons qui rend certains d’entre nous hésitants à accepter la création évolutive est qu’elle semble rendre Dieu responsable de la souffrance et de la mort d’innombrables créatures à travers les millions d’années–avant même que les humains n’existent et pèchent contre leur créateur. Puisque nous louons et croyons en un Dieu qui est amour, bienveillant, et tout puissant, il ne semble pas vraiment plausible que notre Dieu ait créé un monde comme celui-là; donc, toute preuve scientifique de l’évolution doit être incorrecte.

D’autres se représentent les preuves scientifiques de l’évolution et en déduisent que l’évolution a eu lieu pendant l’histoire de notre terre. A partir de là, ils peuvent conclure que si l’évolution est vraie, alors la croyance en un Dieu tout puissant et parfaitement bon doit être fausse !

Le problème de ces deux points de vue est qu’ils tendent à invoquer un dieu complètement abstrait et philosophique, non le Dieu vivant de la Bible – le Dieu qui est devenu un être humain,  qui a expérimenté une souffrance inimaginable, et qui est mort  exposé publiquement de façon grotesque et humiliante. La mort de Jésus a complètement défié les attentes (et le bon sens) de ceux qui le suivaient, ainsi que celles de toute compréhension « rationnelle » de la façon dont le Créateur de l’univers devrait agir dans le monde. Sur la croix, en la personne de Jésus, Dieu a porté bien plus de souffrance que toute autre créature n’ait expérimentée.

Si Dieu lui-même accepte de mourir, particulièrement de cette façon si horrible, alors peut-être devrions-nous au moins prendre en considération la possibilité que Dieu autorise la mort d’autres créatures ? Mais est-ce que cela serait compatible avec ce que nous savons de Dieu à travers l’Ecriture ? Dans cet essai, nous explorerons ce dilemme à travers une « théologie de la croix », un concept articulé par le pasteur George Murphy dans son livre Le Cosmos à la Lumière de la Croix1.

 

Théologie de la croix

Avant de s’attaquer aux problèmes théologiques associés à l’évolution, jetons un oeil à la manière dont nous comprenons la théologie chrétienne elle-même. Pour le réformateur Martin Luther, toute théologie (ou science) qui cherche à atteindre la connaissance de Dieu en dehors de la croix est une mauvaise théologie2. Au lieu de cela, Luther invite à une theologia crucis, dans laquelle le vrai Dieu est vu d’abord et surtout « à travers la souffrance et la croix ». Pour rendre son idée plus claire, Luther insiste sur le fait que « la CROIX seule est notre théologie »3. Elle est la lunette à travers laquelle nous voyons tout.

Bien sûr, Martin Luther ayant vécu au XVIe siècle, il n’avait aucune connaissance de la vaste histoire de la vie sur notre planète (ni de quelque autre aspect de la science moderne, d’ailleurs), mais George Murphy retire de l’enseignement de Luther le fondement selon lequel toute connaissance humaine commence avec le Verbe fait chair et crucifié4. Avec la croix de Christ comme cadre ultime à travers lequel nous voyons la réalité, nous sommes obligés de voir les processus de la nature différemment. Comme Murphy l’explique,

Une théologie de la croix est une explication de la croyance en un Dieu qui devient un participant de l’histoire de l’univers et dès lors partage la souffrance, la perte, et la mort qui sont une partie de l’expérience du monde.5

Dieu n’est pas assis oisivement à regarder ses créatures souffrir, indifférent, mais il ne descend pas non plus soudainement pour rendre tout sans effort et facile. Au lieu de cela, il a choisi une autre manière, la crucifixion de Jésus – certainement pas l’approche que nous aurions préférée ! L’apôtre Pierre est allé jusqu’à essayer d’en dissuader Jésus, mais n’eut pour toute réponse qu’un reproche sévère (Matthieu 16:21-23).

En tant qu’humains, nous tendons à reculer d’horreur à l’idée de Dieu associé de près à la mort. Et pourtant dans la crucifixion, nous sommes forcés de penser la mort et Dieu ensemble. Jésus lui-même ne s’est pas retiré de l’immense souffrance, mais au lieu de cela, a avancé en elle et à travers elle pour accomplir ses plans. Par la croix, nous apprenons qui est Dieu, Celui qui apporte la nouvelle vie de la mort (et dans l’absolu conquiert la mort complètement).6

 

Pourquoi l’évolution est-elle si déconcertante pour les chrétiens ?

Le problème de la souffrance à travers toute l’histoire humaine est assez troublant pour que nous nous réconcilions avec un Dieu d’amour personnel. Mais en plus de cela, la découverte d’un grand nombre de fossiles révèle que la mort a eu lieu à une échelle bien plus grande que nous ne l’avions imaginé. La grande variété de créatures éteintes et leur simple nombre sont bouleversants et nous interrogent à propos de notre Créateur :

L’image d’un Dieu qui est immunisé contre la souffrance et la mort mais qui force des organismes à travers des millions de générations jusqu’à l’extinction dérange ceux qui croient en un Dieu d’amour.7

L’extinction massive de la vie sur terre était déjà bien établie au début du XIXe siècle – des décennies avant les recherches de Darwin – et l’extinction peut être vérifiée empiriquement, indépendamment de toute théorie de l’évolution.8 Le fait que la croûte de la terre soit un véritable cimetière de créatures perdues est profondément troublant, et jusque dans les années 1790, des intellectuels distingués comme Thomas Jefferson niaient la seule possibilité de l’extinction.9

Mais en plus de l’extinction des espèces, la théorie de l’évolution par la sélection naturelle propose l’hypothèse selon laquelle les nouvelles espèces ont émergé dans un environnement où la souffrance et la mort étaient courantes. Les créatures qui vivent maintenant comme celles qui sont désormais éteintes sont entachées d’un « âcre parfum de mort »10. Et cela nous conduit à nous demander, si notre Créateur n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants (Mc12:27), où est la présence de Dieu dans le tableau de l’évolution ?

Très honnêtement, la création par l’évolution n’est pas ce que nous aurions attendu de Dieu, mais l’Ecriture est pleine d’exemples dans lesquels Dieu agit de manière inattendue. Après tout, choisir de subir une mort agonisante sur une croix n’est pas ce que nous aurions attendu du Créateur tout puissant de l’univers non plus. Dans les deux cas, une nouvelle vie naît à travers la douleur, la souffrance, et la mort. Comme George Murphy l’écrit,

Les idées à priori de Dieu doivent être dépassées, et le caractère de Dieu doit être compris par la révélation de soi de Dieu.11

La plus pleine expression de soi de Dieu est en Jésus Christ même, un homme qui a personnellement enduré la souffrance et la mort des créatures. La théologie de la croix révèle que la révélation de soi de Dieu a lieu dans des situations de souffrance, de perte, de désespoir apparent, similaires aux situations qui surviennent dans la sélection naturelle.12

 

La crucifixion est déconcertante aussi.

Non seulement la création par l’évolution est un processus inattendu et déstabilisant, mais il en est de même pour la crucifixion de Jésus ! Tuer quelqu’un en l’accrochant à une croix est une forme de mort d’une souffrance insupportable, prolongée et humiliante. Ce type d’exécution publique était si horrible qu’il a fallu que l’empire romain arrête la pratique de la crucifixion et qu’elle soit assez lointaine pour que plus personne n’en soit le témoin oculaire, pour que la croix devienne un objet visuel de dévotion.13 Notre culture est suffisamment éloignée de la crucifixion pour que nous soyons désensibilisés à sa signification originelle, mais pour la connecter à notre contexte actuel, imaginez la réaction que vous provoqueriez si vous portiez un bijou qui doit ressembler à une chaise électrique.14

Une fois que nous sommes plus accordés sur la brutalité de la crucifixion, il semble d’autant plus sidérant que la croix soit le signe de l’oeuvre de Dieu, ce que George Murphy appelle « la marque de fabrique de Dieu »15. La souffrance et la mort de Jésus sont représentées de façon proéminente dans les Evangiles, mais le schéma crucifixion-résurrection résonne fortement avec l’Ancien Testament aussi. Les Israélites ont souffert et travaillé en tant qu’esclaves en Egypte pendant des siècles avant qu’ils soient sauvés dans l’Exode, apportant la vie à un peuple qui était spirituellement mort. Des siècles plus tard, la nation d’Israël expérimente la mort une fois encore quand les Babyloniens détruisent la monarchie davidique, brûlent leur temple, tuent leurs gens, et en envoient beaucoup en exil16. Ni Israël (le peuple choisi par Dieu), ni Jésus (le propre fils de Dieu) n’ont été épargnés de la mort et de la souffrance ; bien plutôt, la souffrance semble avoir été la façon dont Dieu re-forme et et renouvelle l’humanité pour qu’elle porte pleinement son Image.

 

La rédemption s’étend à toute la création

Heureusement, l’histoire de Dieu ne finit pas avec la mort. Dieu donne une nouvelle vie après les terribles circonstances qu’ont vécues ses créatures. La rédemption a été promise à Israël même – la vision de la vallée des ossements desséchés d’Ezéchiel décrit comment Dieu renouvellerait son peuple (Ez. 37:1-14). Plus tard, la surprenante résurrection de Jésus a rendu le salut possible non seulement pour les Juifs, mais aussi pour toutes les personnes en Christ (Gal. 3:26-29). Dans l’absolu, le Nouveau Testament rend clair le fait que le renouvellement de Dieu ceindra la Création toute entière :

Car Dieu a voulu faire habiter toute plénitude en lui ; il a voulu par lui tout réconcilier avec lui-même, tant ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang de sa croix. (Col 1:19-20)[1]

Par toute espèce de sagesse et d’intelligence, il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, selon le bienveillant dessein qu’il avait formé en lui-même, pour le mettre à exécution lorsque les temps seraient accomplis, de réunir toutes choses en Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre. (Ep. 1:8-10)

Les chrétiens sont habitués à penser la mort de Christ par rapport aux humains, mais notre culture reconnaît rarement le plan de Dieu pour la rédemption de son entière création. Cela est en partie attribuable au fait que les discussions à propos de la création et des origines sont souvent séparées du thème du salut.17 En faisant cela, nous tendons à marginaliser Jésus pendant que nous nous disputons à propos de la Genèse. Plutôt que de tomber dans ce piège, si nous voyons la nature à travers une théologie de la croix, nous verrons Christ comme le point alpha et le point omega dans les discussions  autour de l’histoire de la vie et de son futur. Par cette perspective, nous sommes plus aptes à sentir notre solidarité avec le reste de la création pendant que nous attendons et anticipons un futur glorieux.

Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité – non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise, – avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. (Ro. 8:19-21)

 

Conclusion

Faisant partie de la conversation de l’Eglise à propos du problème du mal naturel, cet essai a pour objectif d’être une brève introduction à la « théologie de la croix ». On peut explorer ce concept de manière plus détaillée dans le livre de Murphy, Le Cosmos à la Lumière de la Croix. Alors qu’il y a encore beaucoup à dire, je conclue avec l’observation suivante : bien que l’évolution ne soit peut-être pas compatible avec certaines interprétations du christianisme, l’évolution créée est tout à fait compatible avec le Christ crucifié et la théologie de la croix. En la personne de Jésus, Dieu souffre avec le monde et le sauve absolument. Comme George Murphy l’écrit, « Les souffrances du monde sont les stigmates de Dieu. »18

 

 

Notes :


[1]NdT : Traduction Segond pour tous les passages cités de la Bible.


1Murphy, George L. The Cosmos in the Light of the Cross, Harrisburg, PA : Trinity Press, 2003

2Murphy, p.34

3« CRUX Sola Est Nostra Theologia » in D. Martin Luthers Werke, Kritische Gesammtausgabe (Weimar: Hermann Boehlau, 1892), 5:172. Les capitales sont dans l’original. Cité in Murphy, p. 26

4Murphy, p. 108

5Murphy, p.4

6Murphy, p. 43

7Murphy, p. 3

8Certains chrétiens assignent la mort animale à une combinaison entre la Chute d’Adam et le déluge de Noé, mais cela ne résout pas le problème de la souffrance des animaux et de leur mort, alors qu’ils n’ont pas fauté. Voir les séries de Keith Miller, Death and Pain in the Created Order (la mort et la peine dans l’ordre créé) pour les limites inhérentes à une théodicée basée sur la Chute.

9Rudwick, Martin, The meaning of fossils : Episodes in the history of paleontology, Chicago, University of Chicago Press, 1985.

10Voir l’essai de Jeff Schloss sur BioLogos, « Evolution, Creation, and the Sting of Death »

11Murphy, p.63

12Murphy, p. 122

13Murphy, p. 27

14Cet exemple est tiré d’un événement d’évangélisation organisé par un groupe d’étudiants chrétiens à Innsbruck, en Autriche. Sur le campus un jour, ils ont commencé une conversation avec leurs camarades en leur posant la question : « Porteriez-vous une chaise électrique autour de votre cou ? »

15Murphy, George L. The Trademark of God : A Christian Course in Creation, Evolution, and Salvation, Wilton, Conn. : Morehouse-Barlow, 1986.

16Murphy, Cosmos in the Light of the Cross, p. 31-32

17Murphy, p.35

18Murphy, p. 87