L’état primitif du monde dans les récits sacerdotal et yavhiste : aquatique ou terrestre ?

 

Les deux récits de la création nous présentent de deux façons différentes l’état du cosmos, avant que Dieu ne viennent y créer l’ordre.

 

Le récit sacerdotal (Genèse 1, 2:3)

 

L’auteur sacerdotal (P) décrit le monde comme un chaos dominé par l’eau. Les eaux « d’en bas » et celles « d’en haut » sont mélangées, avant que Dieu ne viennent y établir l’ordre en les séparant par la création du firmament, un dôme solide conforme à la façon dont les peuples du Proche Orient ancien voyaient le monde.

 

“Lorsque Dieu commença la création du ciel et de la terre, la terre était déserte et vide, et la ténèbre à la surface de l’abîme ; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux,” (Genèse 1:1-2 TOB)

 

“Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux ! » Dieu fit le firmament et il sépara les eaux inférieures au firmament d’avec les eaux supérieures. Il en fut ainsi. Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour.” (Genèse 1:6-8 TOB)

 

On trouve une analogie frappante entre cette description et celle des mythes mésopotamiens, égyptiens ou grecs qui croyaient dans un monde chaotique et désorganisé duquel avait surgi le monde et même les dieux.

 

Le récit babylonien des origines Enuma Elish est particulièrement instructif :

 

« Lorsqu’en haut les cieux n’étaient pas encore nommés,

Et qu’en bas la terre n’avait pas encore de nom,

Lorsque le primordial Apsou (eau douce), leur procréateur,

Et la génitrice Tiamat (eau salée), qui les a tous enfantés,

Confondaient ensemble leurs eaux (chaos aquatique) ;

Lorsque nul dieu n’avait encore paru,

Ni reçu aucun nom, ni subi aucun destin,

Alors de leur sein, les dieux naquirent…

 

La généalogie des dieux montre, d’un côté, les plus vieux, ceux de l’univers chaotique, et de l’autre les jeunes dieux, d’où proviendra l’univers organisé. Les seconds gênent le repos des premiers, et Tiamat décide de détruire sa progéniture : elle crée dans ce but des monstres redoutables et fait de Kingou le chef de cette armée. Les jeunes dieux délèguent leur pouvoir à Mardouk, fils d’Ea. La tablette IV décrit le combat de Mardouk contre Tiamat.

 

Mardouk assura son emprise sur les dieux enchaînés,

Et revint vers Tiamat qu’il avait vaincue.

De sa masse inexorable, il lui fendit le crâne.

Apaisé, le Seigneur (Mardouk), contempla le cadavre (de Tiamat) :

Du monstre partagé, il voulait tirer un chef d’œuvre.

Il le fendit en deux comme un poisson séché ;

Il en disposa la moitié pour faire la voûte des cieux… »

(Extrait de Qui es l’homme ? de Pierre Grelot, éditions du Cerf)

 

« La théologie de Genèse 1 est radicalement différente de de celle d’Enuma Elish. Genèse 1 :2 place le Saint Esprit en contrôle total d’un ordre pré-créé. De même, les eaux primordiales dans l’Ecriture ne sont pas personnalisées et nommées comme dans ce récit babylonien. Elles sont simplement appelées l’ « abîme » et « les eaux ». Et, plus important encore, il n’y pas la trace d’autre dieux. De la même façon que l’auteur inspiré rejette la divinité du soleil, de la lune  et des étoiles le quatrième jour de la création, il dé-déifie le chaos et le place sous l’autorité du Dieu des hébreux. » (Denis lamoureux, Evolutionary creation p.190)

 

 

 

Le récit yavhiste  (Genèse 2:4..):

 

Pour l’auteur Yavhiste, « tout vient de la terre. Au début, il n’y a pas que la terre sèche est stérile, car il n’y a eu aucune pluie. Dieu fait alors jaillir l’eau douce (sources et fleuves) ; l’homme et les animaux peuvent alors apparaître. La terre est une oasis au milieu de désert. »

(Pierre Grelot)

 

“ Le jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore sur la terre aucun arbuste des champs, et aucune herbe des champs n’avait encore germé, car le SEIGNEUR Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol ; mais un flux montait de la terre et irriguait toute la surface du sol…” (Genèse 2:4b-6 TOB)

 

Dans les mythes du Proche Orient, on retrouve le motif d’un endroit paradisiaque, comme le jardin d’Eden. C’est le cas dans la mythologie sumérienne, avec le mythe d’Enki et Ninhoursag, qui décrit le « pays de vivants » appelé Dilmoun, situé quelque part en Orient :

 

Dilmoun est un lieu pur, Dilmoun est un lieu net ;

Dilmoun est un lieu net, Dilmoun est un lieu brillant…

 

A Dimoun,… le lion ne tue pas, le loup ne saisit pas l’agneau…

 

Le malade des yeux ne dit pas : j’ai mal aux yeux,

Le malade de la tête ne dit pas : j’ai mal à la tête ;

La vieille femme ne dit pas : je suis une vieille.

Le vieille homme ne dit pas, je suis un vieux.

Celui qui franchit le Styx ne dit pas :…

Autour de lui ne tournent pas les pleureurs ;

Le chanteur ne pousse aucune plainte,

Auprès de la cité, il ne prononce aucune lamentation.

 

 

Ceux qui sont familiers du texte biblique reconnaitront des motifs dans Apocalypse 21 :4. et  dans le livre d’Esaïe.

 

“Le loup séjournera avec l’agneau, Et la panthère se couchera avec le chevreau ; Le veau, le lionceau et le bétail qu’on engraisse seront ensemble, Et un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront un même pâturage, Leurs petits une même couche ; Et le lion, comme le bœuf, mangera de la paille.” (Esaïe 11:6-7 SER)

Conclusion :

L’auteur qui a rassemblé en un seul récit ces deux textes n’était pas dupe de leur aspect contradictoire. S’il les a juxtaposés, c’est que, pour lui, cet aspect « scientifique » n’était qu’accessoire, une façon de s’exprimer. « Les auteurs bibliques seraient-ils troublés s’ils voyaient qu’aujourd’hui, nous substituons à ces schémas le modèle beaucoup plus valable qui nous a été préparé par les sciences de la nature, celui de la formation évolutive du monde, de la vie et de l’homme ? Je ne crois pas. La Bible elle-même, par cette juxtaposition pacifique de différents modèles cosmogoniques, a montré leur relativité. Les cosmogonies des récits de la création n’appartiennent pas au message biblique, ils ne sont qu’un moyen sans lequel ce message ne pourrait guère s’énoncer. » (N Lohfing, Sciences Bibliques en marche, p. 71, cité par Pierre Grelot)