Après l’ouvrage collectif consacré aux rapports plus généraux entre la théorie de l’évolution et les textes bibliques de la création du monde (De la Genèse au génome), le Réseau des Scientifiques Evangéliques publie un ouvrage traitant d’un thème plus spécifique et délicat, l’origine de l’humanité.

Voici la présentation de l’éditeur :

« La question de l’origine de l’humanité est l’une des plus délicates du dialogue entre science et théologie. Pour la biologie, l’émergence de l’homme moderne dans la lignée des hominidés n’est rien de plus qu’un exemple de l’évolution d’une espèce. Mais il s’agit de notre espèce. Et selon le livre de la Genèse, l’être humain, parce qu’il est créé en image de Dieu, a un statut particulier. Or les sciences révèlent une continuité surprenante entre le monde animal et l’humanité. Où situer alors le moment précis du début de l’humanité ? Est-il possible, par exemple, de repérer un couple ancêtre unique dont descendraient tous les humains ? L’enjeu est vital pour la pensée chrétienne : c’est tout le diagnostic biblique du problème de l’humanité qui est en cause, et par conséquent également le projet de salut de Dieu. »

Le présent ouvrage, fruit des travaux du Réseau des scientifiques évangéliques (RSE), met en dialogue plusieurs spécialistes, chacun apportant son éclairage dans son domaine de compétence – exégèse, littérature du Proche-Orient ancien, paléontologie, génétique, théologie systématique – tout en étant attentif aux apports des autres. »

Cette initiative répond sans aucun doute à un besoin criant pour le monde évangélique francophone, et cet ouvrage inaugure une réflexion qui ne fait que commencer.

L’introduction de Lydia Jaeger fixe d’emblée les enjeux théologiques qui vont bien au-delà d’une discussion concernant les rapports foi-science.

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« L’enjeu est de taille : la conception du salut elle-même-rien de moins !-est en cause. Si l’homme n’est qu’un être vivant parmi d’autres, sur quoi baser notre conviction d’un projet particulier pour l’humanité ?…La notion d’évolution progressive de l’homme, et donc de la conscience morale et spirituelle, peut-elle cohabiter avec la conviction que l’humanité à ses débuts, a connu une période de communion directe avec Dieu, dont elle fut déchue par sa révolte contre son Créateur ? Comment maintenir l’idée même de péché (avec la distinction qu’elle introduit entre ce qu’est l’homme et ce qu’il devrait être)-tant il paraît délicat d’assigner un temps précis à la « chute » au cours de l’émergence d’Homo sapiens. Peut-on abandonner l’idée d’un couple unique à l’origine de l’humanité sans rompre la solidarité de tous les hommes « en Adam » dont dépendent à la fois l’universalité de la corruption du péché et l’offre du salut faite à tous par le Christ, le nouvel Adam ? »

La façon dont les questions sont formulées révèle déjà une certaine orientation, mais la problématique est belle et bien posée.

Il faut sans aucun doute faire preuve de courage et d’ouverture d’esprit pour « ouvrir ce débat ».

« Nous avons fait le pari d’aborder de front les questionnements que suscite l’origine de l’humanité. »

L’introduction demeure ambiguë à propos des prérequis de cette réflexion, tout comme dans le précédent ouvrage du RSE. La question du concordisme scientifique (la recherche d’une correspondance « nécessaire » entre le récit biblique et les découvertes de la science) n’est jamais abordée de front. Cette ambivalence produit pour le lecteur une certaine frustration (en tout cas pour moi).

D’un côté, Lydia Jaeger reconnaît la valeur de la démarche scientifique

« Le présent volume est animé d’un double souci : s’il refuse d’ignorer les découvertes qu’ont apportées la paléontologie et la génétique au sujet de l’humanité  « 

Mais d’un autre côté, Lydia Jaeger semble suggérer que la Bible fait elle aussi autorité sur le sujet

« il cherche également à se soumettre à l’Ecriture dans tout ce qu’elle enseigne, y compris sur notre sujet. »

Que faut-il comprendre d’une telle méthodologie ? Faut-il se limiter à l’extraction du message à portée spirituelle du texte biblique, ou bien étendre son enseignement à la biologie et à l’histoire ?   Qui aura la primauté en matière d’interprétation dans ces domaines  ?

Ces questions pour moi les plus cruciales ne sont pas abordées. Elles touchent en effet de très (trop ?) près certaines particularités théologiques courantes chez les évangéliques, l’infaillibilité de la Bible en matière de science et d’histoire…

J’aborde dans d’autres articles sur le blog création et évolution (catégorie: discussion de livres) les réflexions que m’inspirent les contributions de Matthieu Richelle ou Henri Blocher par exemple.

Concernant l’aspect scientifique, le lecteur puisera des informations précieuses dans les articles de Marc Godinot (paléontologue) et Nicolas Ray en ce qui concerne la génétique.

Je retiens la conclusion de Marc Godinot :

« Pour les biologistes, la formation d’une nouvelle espèce de mammifères à partir d’un couple est invraisemblable ; elle se heurte à des difficulté insurmontables. On a essayé de la justifier en faisant appel à des remaniements chromosomiques…Mais ce processus ne fait apparaître ni gènes nouveaux, ni caractères nouveaux : ne faudrait-il pas des gènes nouveaux si on voulait une hypothèse expliquant l’apparition d’Homo sapiens ? L’hypothèse d’un couple initial se heurte, outre les invraisemblances de la génétique, à l’invraisemblance d’une survie hors d’une société, pour un primate social… »

Et celle de Nicolas Ray :

« Un consensus se dégage…Notre espèce se positionne dans une relation évolutive avec tous les êtres vivants et a évolué à partir d’un ancêtre commun avec le chimpanzé qui aurait vécu il y a environ 6 millions d’années… »

Que le lecteur qui se procurera cet ouvrage n’y cherche pas de réponse définitive à la question « Adam, qui es-tu ? ». Il y trouvera des pistes de réflexions, parfois contradictoires, pour se faire une idée personnelle. C’est donc dans cet esprit d’ouverture et de non-conclusion que Lydia Jaeger clôt cette synthèse :

« Le lecteur s’en rend compte : si elle fournit des repères, cette synthèse n’a pas la prétention de clore le débat sur des points sur lesquels nous pouvons légitimement diverger. Comment pourrait-elle avoir un but de cette nature, étant donné à la fois l’importance du sujet des origines humaines et l’état lacunaire de nos connaissances, tant théologiques que scientifiques… »

Benoît Hébert