Article 2 sur un total de 4 pour la série :

Création, théorie de l’évolution, créationnisme


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4. Ambivalence du créationnisme : entre recours aux sciences et rejet des sciences

Il est curieux d’entendre des créationnistes mettre en avant leur diplôme scientifique, et en même temps dénigrer la démarche des scientifiques. Par exemple M. André Eggen, dans son argumentation, ne manque pas de mentionner qu’il a un doctorat en biologie. Il se présente comme scientifique et je ne doute pas qu’il soit un scientifique compétent dans son domaine.

Toutefois, comment peut-il mettre en question toutes les mesures issues de la physique, de l’astrophysique, de la géologie, de l’archéologie, de la biologie, afin d’affirmer que la terre n’a que 6’000 à 10’000 ans d’âge. En effet, les mesures effectuées, en très grand nombre, ne sont pas des interprétations ou des spéculations mais des données objectives qui se recoupent, quelles que soient les domaines étudiés ou les méthodes utilisées. Il est en effet remarquable que les données venant de sciences différentes aboutissent toutes à des résultats semblables de durées. Or, pour affirmer la position créationniste, André Eggen doit nécessairement nier la valeur de tous ces résultats et aussi le travail de l’ensemble de la communauté scientifique. Qu’un scientifique conteste une théorie ou cherche un nouveau modèle explicatif pour rendre compte de phénomènes nouveaux est une démarche propre à la recherche en sciences, mais qu’un scientifique conteste les données de l’ensemble des sciences me paraît relever d’un manque d’humilité. André Eggen en arrive même à faire une expérience assez surprenante (lors d’une exposition filmée par Dieu TV)[1] pour réfuter la notion de hasard. On le voit démonter une petite voiture en lego et placer les pièces constituant le jouet dans une sphère transparente, puis inviter les passants à secouer celle-ci quelques fois. Après quelques secousses, il conclut en disant : « vous voyez que le hasard ne peut pas reconstruire le modèle de l’objet démonté. » Il présente cette expérience en tant que preuve, comme si celle-ci reproduisait les conditions d’un assemblage ordonné spontané avec des interactions entre les éléments ! Cette « démonstration » manque singulièrement d’honnêteté intellectuelle.

 

5. Les créationnistes attendent la confirmation de leurs thèses par les sciences

Voici une autre argumentation de M. André Eggen qui me paraît fort problématique. Je le cite  …

« la Bible et la science semblent être en contradiction à un moment donné, et bien attendons. Les découvertes scientifiques continuent à arriver, le texte biblique ne va pas changer. Mais sur la base de nouvelles découvertes scientifiques, on va se dire «ah oui, tiens, cela semble probable d’être comme ça!» Et on va pouvoir construire un modèle de compréhension, qui ne sera pas parfait, mais c’est aussi comme cela que la science travaille. On construit un modèle que l’on révise. Et donc le modèle établi sur la base du texte biblique pourra être adapté au fur et à mesure des découvertes. Le texte biblique ne nous dit pas tout, et heureusement. Mais au fur et à mesure des découvertes scientifiques, on va commencer à comprendre de mieux en mieux le texte biblique. » (Interview de Protestinfo par Joël Burri du 13 novembre 2015)

Pour lui, s’il y a contradiction entre les textes bibliques, il s’agit d’attendre qu’un éclairage vienne supprimer les contradictions. Si les sciences ne correspondent pas à la Bible, attendons que les découvertes scientifiques apportent des théories en accord avec elle. Alors qu’il met en question les théories scientifiques qui ne correspondent pas au texte biblique, il attend néanmoins d’elles qu’elles viennent un jour le corroborer !

 

6. Le créationnisme obligé de choisir entre le géocentrisme et l’héliocentrisme

Reprenons l’exemple du récit biblique du livre de Josué ch 10 v.12-15. Josué, le chef de l’armée d’Israël, lors d’une bataille contre les Amoréens -une tribu du pays de Canaan- donne l’ordre au soleil de s’arrêter sur Gabaon et à la lune sur la vallée d’Ajalon. Ce qui, selon le récit, se produit effectivement. Or, depuis Copernic, en 1543, l’astronomie a montré que la terre tourne autour du Soleil. Si la théorie héliocentrique a suscité beaucoup d’oppositions (on se souvient de la condamnation de Galilée en 1633 par le pape Urbain 8 pour avoir défendu la thèse de Copernic), aujourd’hui ce modèle n’est plus mis en question et ne peut plus l’être sauf par un refus irrationnel de toute l’astronomie. Donc si on prend à la lettre le récit biblique, on doit affirmer que le système géocentrique correspond à la réalité et que le système héliocentrique ne peut pas être accepté. Il faudrait donc, selon A. Eggen, attendre que l’astronomie en revienne au système géocentrique pour corroborer le texte biblique.

Mais si l’on accepte le système héliocentrique, (je suppose que M. Eggen l’accepte) le récit de Josué 10 pose un gros problème. L’arrêt du soleil correspondrait à la cessation brusque du mouvement de rotation de la terre sur elle-même. Or un tel arrêt aurait entraîné un tsunami effroyable sans parler de la difficulté d’arrêter le mouvement terrestre et de le relancer. Tout cela sans qu’aucune autre civilisation n’ait mentionné ce cataclysme. On voit l’impasse dans laquelle nous conduit la lecture littéraliste. La solution ne peut se trouver que dans une interprétation qui consiste à saisir ce récit dans sa dimension symbolique et théologique. Dieu s’y révèle comme le maître de la création et donne la victoire à son peuple.

Ainsi A. Eggen fait-il du texte biblique la référence absolue en matière de sciences. Or, il n’est pas question que les sciences dictent ce que doit dire la Bible ou l’inverse dans la mesure où on la respecte pour ce qu’elle est, un texte à visée théologique et non pas scientifique. La Bible et les sciences n’ont pas à être en harmonie ou en opposition, dans la mesure où l’on reconnaît à chacune sa spécificité de langage et d’approche, de méthode et de sens, en acceptant que la même intelligence et exigence d’analyse doivent être appliquée à l’une et l’autre.

 

7. Le refus de la mort et l’hypothèse d’une transformation radicale du monde animal lors de la « chute »

Autre exemple : la question de la mort. Voici ce qu’affirme A. Eggen : « Pour la théorie de l’évolution, la mort est nécessaire : au cours de longues périodes de temps, le plus apte remplace le plus faible, par « sélection naturelle ». Pour la Bible, au contraire, la mort est une intruse : elle découle de la Chute et ne peut donc pas la précéder comme dans l’évolution. Vaincre la mort est d’ailleurs la raison première de la venue de Jésus-Christ dans ce monde. Paul déclare qu’elle est le dernier ennemi qui sera détruit (1 Cor. 15,26). ». 

On voit ici une des raisons des créationnistes pour plaider en faveur d’une terre jeune. La mort, humaine et animale, ne serait apparue qu’après « la chute » selon Gn 2-3. Or en Gn 1, les animaux et les humains sont appelés à se multiplier selon leurs espèces. Comment pourraient-ils simplement se multiplier sans limite ? La terre serait vite saturée s’il n’y avait pas la mort des anciens pour laisser la place aux descendants.

Selon la thèse créationniste, les traces fossiles des animaux, des humains et des préhominiens (il y en a  un grand nombre !) seraient postérieures à la faute d’Adam et Eve. André Eggen ne fait donc aucune distinction entre la mort spirituelle et la mort comme trépas. En tant que biologiste, il sait bien que les cellules biologiques ne peuvent se reproduire indéfiniment. Il suppose donc qu’un changement majeur s’est produit après « la chute » dans les cellules vivantes. De plus, il doit admettre que tous les animaux prédateurs, poissons, oiseaux, reptiles, mammifères, de végétariens qu’ils étaient sont devenus tout à coup carnivores. Les lions et les crocodiles ont vu subitement leurs dents pousser et sont devenus des chasseurs carnivores, les serpents des bêtes sécrétant du venin, les vautours transformés en carnassiers, les requins en prédateurs de sardines et les baleines engouffreuses de crevettes… Quel rapport entre « les lions végétariens » d’avant la chute et ceux carnivores d’après la chute ?

 

8. Pour les créationnistes, la Bible et un livre scientifique,

André Eggen affirme sans vergogne savoir comment lire le texte biblique : « … avec tant d’autres scientifiques reconnus sur le plan international, j’adhère encore au sens littéral de la Genèse. » Tant d’autres scientifiques, sont-ils si nombreux ? Et à quel sens littéral ? Celui des traductions françaises ou des manuscrits hébreux et grecs, qui comportent des variantes, car nous ne possédons pas d’original ! La Bible, puisqu’elle est la Parole de Dieu, devrait être lue de façon littéraliste, sans interprétation. Nul besoin de théologiens, de spécialistes des textes hébraïques et grecs de la Bible, il sait car il n’interprète pas ! Il a accès à la Parole de Dieu par une lecture prétendument sans interprétation.  

« Elle est en avance sur son temps », dit-il. Elle exprimerait donc la vérité scientifique du monde avant les théories scientifiques. Il utilise le verset d’Exode 20,11 pour justifier que la semaine de création de Dieu est sur la même durée que notre semaine de 6 jours de travail et un jour de repos ! Il faudrait qu’il lise Deutéronome 5, où la justification du sabbat est liée à la libération de l’esclavage (Dt 5,15). Un littéraliste comme lui devrait se demander quelle est la bonne version des dix commandements.

Pour justifier la croyance en une création rapide, il utilise les miracles de Jésus, notamment l’eau changée en vin aux noces de Cana (Jean 2), pour dire que la création est un phénomène immédiat Mais où a-t-il lu dans la Bible que la création est un phénomène du même ordre qu’un miracle de Jésus ? Nous reviendrons sur cet aspect plus loin.

 

9. Nécessaire distinction entre Parole de Dieu et texte biblique

La Bible est le fondement et la norme de notre, Sola scriptura. J’y crois. Mais si notre foi est fondée sur la révélation biblique dans laquelle nous lisons la Parole de Dieu, l’équivalence quasi mathématique entre le texte de la Bible et Parole de Dieu doit être mise en question comme on peut le lire dans le texte biblique lui-même. En effet, la Bible elle-même rend constamment témoignage à la Parole de Dieu qui crée le monde, adresse vocation à des hommes, s’est faite chair en Jésus-Christ, est proclamée, enseignée, accueillie (le livre des Actes des Apôtres utilisent ces expressions). Elle pénètre les cœurs et transforme l’être humain. Elle ne peut donc se limiter à un texte, elle est l’action même de Dieu. Le littéralisme en affirmant qu’il faut lire le texte au premier degré sans l’interpréter, comme un ensemble de descriptions factuelles qui se limiteraient à nous dire comment cela s’est vraiment passé ne respecte pas le texte lui-même. C’est un présupposé de lecture qui ne se reconnaît pas lui-même, pourtant c’en est un ! Il conduit à une interprétation des textes dont la plupart des théologiens, y compris les Pères de l’Eglise comme Augustin d’Hippone, mais aussi des évangéliques actuels[2] n’ont pu adopter.  

 

 

Le prochain article traitera plus en profondeur du problème spécifique du littéralisme biblique adopté par le créationnisme

 


Notes

[1] voir l’émission https://www.dieutv.com/videos/dieutv-rendez-vous/25188-creationniste

[2] par exemple Henri Blocher, Matthieu Richelle, Lydia Jaeger de la faculté de théologie de Vaux-sur-Seine (voir le livre collectif : De la Genèse au génome – Perspectives bibliques et scientifiques sur l’évolution. Ed Excelsis, 2011)


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