Peter Enns, auteur de cet article est un théologien évangélique, auteur de plusieurs livres et de commentaires, notamment de Inspiration et Incarnation : les évangéliques et le problème de l’Ancien Testament, qui s’intéresse à trois questions soulevées par la science moderne qui paraissent menacer certaines visions traditionnelles de l’Écriture. L’original  de cet article (en anglais) se trouve à la page suivante du blog de la fondation Biologos.

Le problème

Ce n’est là un secret pour personne, les progrès de la science ont remis en question certaines notions traditionnelles à propos de la Bible—pas seulement la manière d’interpréter tel ou tel verset, mais la façon dont nous concevons globalement la Bible. Par exemple, dire que la Bible est inspirée ou qu’elle est la révélation écrite de Dieu est une bonne chose, mais cela ne répond pas vraiment au problème, puisque la façon dont nous concevons l’inspiration et la révélation  à la lumière de ces défis nouveaux n’est pas abordée.

Deux des principaux défis qui se sont cristallisés au dix neuvième siècle sont encore bien présents aujourd’hui. A cette époque, les textes des cultures anciennes autour d’Israël furent découverts et déchiffrés, et ces textes présentaient des ressemblances frappantes avec les textes fondateurs de l’Ancien Testament. Les 1ères et les plus célèbres de ces découvertes sont des histoires de

création et de déluge de la Mésopotamie ancienne,  ces récits sont antérieurs au récit biblique. Bien qu’il y ait des différences importantes entre la Genèse et ces textes, le fait que les auteurs de chacun d’entre eux, y compris la Genèse, partageaient une même conception à propos de leur environnement a rapidement été inévitable ; ces hommes « respiraient le même air ».

Dans les générations qui suivirent, alors que les progrès archéologiques nous éclairaient davantage à propos de la culture de la Mésopotamie ancienne, beaucoup voyaient l’Ancien Testament comme le reflet de l’environnement dans lequel ces écrits furent produits. Un domaine entier d’étude qui s’intéressait à « la Bible et au Proche Orient ancien » vit le jour, et des domaines d’étude d’appellations analogues. Il était clair que l’on pouvait replacer l’A.T. dans son contexte, et ainsi parvenir à une meilleure compréhension de la Bible, fusse au prix d’une remise en cause de certaines traditions. Il ne s’agit pas de dire que l’A.T. était « simplement comme » un autre texte ancien ou bien ne pouvait être aborder que sur la base de telles comparaisons. On ne peut pas confondre deux textes de l’antiquité, et l’A.T. présente bien des marques distinctives. Mais la nouveauté est que l’on prenait conscience des ressemblances frappantes.

Il est aujourd’hui acquis que les différents écrits de l’A.T. reflètent le contexte dans lequel ils ont été écrits. L’interconnexion entre la Bible et son environnement  peut à la fois confirmer l’instinct des évangéliques à son égard, mais également poser des défis importants concernant le caractère unique et historique de l’A.T.. Les onze premiers chapitres de la Genèse en fournissent un exemple particulièrement célèbre. Quelque soit la façon dont chacun décide d’aborder ces questions, un point demeure incontournable : toute personne qui désire formuler une théorie de l’inspiration ou de la révélation ne peut béatement le faire en ignorant ce qui vient d’être dit ci-dessus, mais doit absolument tenir compte de la façon dont Dieu a choisi de s’adresser à nous « dans la culture du Proche Orient ancien. »

Un deuxième défi à certaines interprétations traditionnelles de la Bible a émergé au dix neuvième siècle, et cette question est bien connue des lecteurs de ce site : il s’agit de la théorie de l’évolution de Darwin. Nous avons ici une façon d’envisager les origines de l’homme qui a convaincue les scientifiques, s’est répandue rapidement, et en partenariat avec les progrès de la géologie effectués au siècle précédent, mettait sérieusement en doute le fait que Genèse 1-11 – tout spécialement le récit de la création, le déluge et l’âge de la terre—était d’une quelconque valeur historique.

Le dix neuvième siècle a été difficile pour les chrétiens. De toute part, des défis étaient lancés depuis les halls des Universités, à la fois dans le domaine de l’étude biblique et dans les disciplines scientifiques. Les dominos étaient en train d’être renversés concernant certaines conceptions traditionnelles de la Bible. En si on en juge par la résistance acharnée de certains théologiens conservateurs de la fin de la deuxième moitié du 19ème siècle (en particulier le Princeton Theological Seminary), la menace était bien réelle.

Ce n’est pas une exagération que d’affirmer que pour beaucoup, « attaquer » la Bible de cette façon n’était rien d’autre que « d’attaquer » l’évangile lui-même. Il est juste de dire que le courant fondamentaliste, et par extension l’évangélisme sont nés de ce conflit entre des vues plus anciennes et des découvertes nouvelles. Je pense que, bien que la poussière soit quelque peu retombée, le dix neuvième siècle est une époque dont le monde évangélique doit encore se remettre—la preuve en est l’existence même de la fondation biologos (et celle du site science et foi et de son blog (note du traducteur)).

Les évangéliques doivent avant toute chose effectuer un travail de synthèse. Comment pouvons nous (1) parler de la Bible en tant que Parole de Dieu et aussi (2) faire face avec intégrité aux découvertes de l’archéologie et aux avancées de la connaissance scientifique dans le monde aujourd’hui ? C’est une question importante à considérer, et même vitale, pour des raisons apologétiques mais aussi pour encourager une foi cohérente. Comment pouvons nous parler de la Bible maintenant, étant données les circonstances ?

J’aimerais proposer qu’une des manières très utile de parler de la Bible pouvant faire face aux défis présents est ce que j’appelle un modèle incarnationnel, où la nature de la Bible est comprise par analogie avec la personne du Christ. De même que Christ était à la fois parfaitement humain et divin, la Bible est un livre dont non seulement Dieu est l’auteur, mais également des hommes. Ceci a des implications importantes sur la façon dont nous la lisons, et par voie de conséquence sur ce que nous en attendons.

Une approche incarnationnelle

Les modèles sont des constructions intellectuelles qui essayent de rendre compte des données. Ils sont une façon d’assembler les pièces du puzzle et ont pour objectif un plus grand degré de pouvoir explicatif.

Nous utilisons tous des modèles de la réalité, que nous en soyons conscients ou pas. Nous tenons tous à un certain nombre d’hypothèses et de théories (que j’utiliserai sommairement comme synonyme de modèle) pour expliquer ce que nous voyons.

C’est également le cas dans notre manière d’interpréter la Bible. Tous autant que nous sommes—du plus ardent fondamentaliste jusqu’au chrétien le plus libéral—construisons des modèles pour rendre compte des « données ». Les modèles les plus cohérents (qui rendent compte du plus grand nombre de données) sont ceux qui s’imposent en définitive. Aucun modèle n’est parfaitement objectif et sans faille. Ce sont des hypothèses de travail et en tant que tels, elles sont toutes sans cesse susceptibles d’être révisées.

L’un des modèles qui nous permet de rendre compte du contenu de la Bible est le modèle incarnationnel. Dit de manière simple, ce modèle de l’Écriture rend compte de sa dimension humaine, de la même façon que Jésus était parfaitement humain. La dimension humaine de l’Écriture et l’humanité de Jésus sont essentielles pour rendre compte de leur véritable identité.

Si Jésus était moins que 100% humain, ou qu’il paraissait seulement être humain, ou si son humanité était quelque chose dont on pouvait se dispenser, il ne serait pas Jésus de Nazareth, et sa mort et sa résurrection seraient sans signification. De la même façon, si la Bible était un livre tombé du ciel avec seulement une participation superficielle er secondaire du contexte humain dans lequel il a été écrit—une sorte de dictée divine—il cesserait d’être la Parole de Dieu.

Je souligne cet aspect des choses parce que trop souvent, volontairement ou pas, nous faisons un certain nombre de suppositions à propos de la Bible dans lesquelles la dimension humaine est considérée comme embarrassante, voire scandaleuse. Reconnaissons-le, certains adoptent une approche incarnationnelle pour évoquer des points peu problématiques comme la façon dont la personnalité de tel ou tel auteur inspiré affectait ce qu’il disait ou pour expliquer comment sa vision ancienne du monde pouvait le laisser supposer que le soleil tournait autour de la terre.

Mais c’est là la partie facile. Une réelle prise en compte de l’approche incarnationnelle doit pouvoir prendre en compte certains des problèmes les plus difficiles que d’autres modèles ont du mal à traiter—comme les défis posés par Darwin et la littérature Mésopotamienne découverte au 19ème siècle dont j’ai parlé dans mon article précédent.

Le modèle littéraliste et absolument concordiste d’un point de vue historique n’a pas réussi à expliquer la Genèse de manière persuasive, et ceci est devenu de plus évident au cours des 150 dernières années. Lorsque nous sommes confrontés aux preuves si puissantes et tellement nombreuses de l’évolution et à la présence de récits Mésopotamiens de création et du déluge qui ressemblent à ceux de la Genèse, il est clair qu’il nous faut utiliser un modèle adapté, et qu’il ne faut pas forcer ces données à rentrer dans un cadre qui ne nous permettrait pas de les traiter correctement.

Le modèle incarnationnel nous permet d’expliquer théologiquement pourquoi la Bible s’adresse à nous en des termes anciens et contextualisés, et pas en langage moderne. Le modèle incarnationnel prévoit qu’un livre comme la Genèse s’exprime avec des conventions anciennes. De telles expressions ne sont en aucun cas embarrassantes, mais elles sont une indication à propos du fait que Dieu désire se mettre à notre niveau—une volonté qui s’exprime encore plus clairement dans l’incarnation de notre Seigneur.

Dans la préface de la traduction du Nouveau Testament en anglais courant de J.B. Phillips, C.S. Lewis se préoccupe directement de cette question de l’incarnation. Lewis fait la remarque que le style du Grec du N.T. trahit le fait que le Grec n’était pas une langue que ses auteurs maîtrisaient parfaitement. Il écrit :

« Cela nous choque-t-il ? Cela ne devrait pas, sauf si l’incarnation elle-même  devait nous choquer. La même humilité divine qui a décrété que Dieu devait devenir un bébé dans le sein d’une femme, et plus tard un prédicateur itinérant dans les mains de la police romaine, a aussi décrété qu’Il prêcherait dans un langage non littéraire, populaire et prosaïque. Si vous pouvez encaisser l’un, vous pouvez encaisser l’autre. L’incarnation n’est en rien une doctrine irrévérencieuse : le Christianisme est dans ce sens une religion incurablement irrévérencieuse. Lorsque nous avons le sentiment que la Bible aurait du se présenter à nous dans la version autorisée, nous sommes autant à côté de la plaque que les Juifs qui pensaient que le Messie viendrait comme un roi terrestre. Le vrai caractère sacré et sublime, la réelle beauté du N.T. (comme celle de Jésus Christ) sont d’une tout autre nature : des kilomètres plus profond et plus loin. »

Bien qu’il s’agisse ici de traduction, ce qu’écrit ici C.S. Lewis s’applique facilement à notre sujet. Le point de C.S. Lewis est que ceux qui s’offensent de la pauvreté du style du Grec du N.T. n’ont pas pleinement saisi l’incarnation. On peut dire la même chose de ceux qui s’offusquent du style ancien et profondément culturel des chapitres d’ouverture de la Genèse et qui s’attendent à un style beaucoup plus explicitement littéral et historique.

Nous continuons avec quelques morceaux choisis de Evolutionary Creation du théologien et biologiste canadien Denis Lamoureux (p 169-171)

Une approche incarnationnelle de l’inerrance et de l’infaillibilité biblique

Cette section examine les notions d’inerrance et d’infaillibilité bibliques à la lumière de cet acte de révélation divine : l’incarnation (du latin : in (dans), carnis (la chair)). Dieu qui prend forme humaine en la personne de Jésus-Christ nous fournit des parallèles instructifs afin d’apprécier comment le Saint Esprit a inspiré les paroles des hommes dans les passages qui font référence au monde physique. Des similarités apparaissent dans la Bible et : (1) la double nature du Christ, (2) son entrée dans le monde en tant qu’homme à un certain point de l’histoire, et (3) son style d’enseignement qui annonce la Bonne Nouvelle.

1La double nature du Christ et de la Bible

L’une des croyances centrale du Christianisme est que le Christ était pleinement divin et pleinement humain…Bien sur, c’est un profond mystère. Comment le créateur tout puissant de l’univers peut-il aussi être une créature finie du monde ? Comment l’essence spirituelle divine pourrait-elle avoir en même temps un corps physique ? Pourtant, la Bible affirme clairement que Dieu s’est abaissé en devenant homme pour nous révéler son amour.

Etant parfaitement homme, Jésus a sans aucun doute expérimenté les limitations et les problèmes du corps humain : le besoin de nourriture et de sommeil, les maux courants et la souffrance, et même les gènes dues aux odeurs corporelles ou à la mauvaise haleine. L’acte ultime de révélation divine s’est fait au travers d’un moyen faillible et imparfait. De plus, que le Christ ait été gros ou mince, petit ou grand, avec des yeux bleus ou marrons …ne change rien au message de la Bonne Nouvelle du salut qu’il est venu nous apporter…

De même, la parole de Dieu présente ces deux caractéristiques humaine et divine. Par exemple, le Nouveau Testament est écrit en grec courant (la Koiné « commune »). Cet ancien dialecte est une version brute d’une forme de grec parlée par le citoyen moyen dans la rue…Ce fait pourra troubler des chrétiens qui supposent que le Saint Esprit aurait employé la forme la plus sophistiquée de grec à l’époque. Mais ce n’est pas le cas…

2Leur entrée dans le monde à un certain point de l’histoire

Les chrétiens croient que Jésus transcende à la fois le temps et qu’il est entré dans l’histoire des hommes. C’est aussi un mystère. Le temps est une caractéristique de la création, pas du créateur. Comment est-il possible que le Dieu éternel se soit limité à la période du premier siècle en Palestine ? Comment pouvait-il être à la fois en dehors et dans le temps ? C’est pourtant ce que les chrétiens croient.

En conséquence de son entrée dans l’histoire, la vie et le ministère de Jésus étaient adaptés à l’époque de la Palestine ancienne. Il avait un travail typique : celui de charpentier, a voyagé à pied et en âne, et a mangé la nourriture et les bu les boissons de l’époque. Le Seigneur a parlé l’araméen, le langage vernaculaire de la région, et il a enseigné en paraboles, utilisant les idées répandues de l’époque. On pourrait concevoir que Jésus soit entré dans l’histoire à un autre moment, dans un autre endroit. Nul doute qu’il se serait adapté de la même façon…L’époque qu’il a choisie ne fait pas partie du message du salut, ce qui est vital c’est qu’il soit effectivement venu…

De la même façon, la Bible transcende le temps et est liée par l’histoire. Les périodes au cours desquelles le Saint Esprit a inspiré aux auteurs sacrés le message infaillible de foi ne sont pas le message lui-même. …De la même façon que la nature intemporelle de Jésus s’élève au dessus de son historicité, les vérités éternelles dans l’Ecriture transcendent les conditions historiques durant lesquelles elles ont été révélées. Les preuves en sont les vies transformées par l’évangile dans la vie des hommes et des femmes de toutes les générations…

3La comparaison pédagogique

Jésus a enseigné la parole de Dieu en utilisant les mots des hommes. Cette caractéristique pédagogique (du grec paidos : enfant et ago : conduire) est un mystère auquel on ne fait pas souvent attention. Comment les notions qui ont pris naissance dans l’esprit du créateur infini pourraient-elles être transmises et comprises par les esprits limités des hommes et des femmes, créatures de Dieu ? Pourtant, la Bible déclare que Dieu « a parlé par le Fils » (Heb 1 :2) Pour enseigner, le Seigneur s’est abaissé au niveau intellectuel de l’humanité. Son ministère est caractérisé par l’usage des paraboles (Matt 13 :34, Marc 4 :2). Plutôt que de se focaliser sur des récits historiques littéraux, Jésus a souvent employé des histoires pour révéler le royaume de Dieu…

Jésus a aussi utilisé la science de l’époque pour enseigner la Bonne Nouvelle. Il a souvent fait appel aux connaissances agricoles de ses auditeurs comme on le voit dans la parabole du semeur (Marc 4 :1-9), la semence qui croit secrètement (Marc 4 :26-29), et la semence de moutarde ( Matt 13 :31-32)…

Avec la même pédagogie que Jésus, la Bible est la parole de Dieu enseignée avec des mots humains. Le Seigneur a employé des méthodes d’enseignement bien connues et des idées répandues ; y compris la science de l’époque, pour proclamer la Bonne Nouvelle. Ces mots sont vitaux pour délivrer ce message éternel de foi. Mais ces mots ne sont que des véhicules, parce que le Saint Esprit aurait pu en utiliser d’autres…

En somme, les caractéristiques de l’incarnation nous aident à comprendre la nature de la révélation biblique…En dépit d’avoir un corps fragile, lié au temps et utilisant un vocabulaire ancien imparfait, le Seigneur a enseigné d’une manière qui a permis aux hommes et aux femmes d’en savoir assez pour saisir le message de salut révélé par la Bonne Nouvelle de l’évangile. Il a employé une science ancienne que nous savons aujourd’hui erronée parce que basée sur une perspective phénoménologique ancienne d’hommes faillibles pour révéler le royaume de Dieu. De le même façon, la Bible a été écrite dans des langues pratiquement mortes aujourd’hui, avec des pratiques culturelles passées, avec des techniques d’enseignement anciennes. Comme « la parole a été faite chair » (Jean 1 :14), ainsi aussi les pensées de Dieu sont devenues des mots « incarnés »…Ainsi, cette approche a une implication significative pour en ce qui concerne le débat à propos des origines. L’infaillibilité biblique ne s’étend pas aux affirmations de l’Ecriture qui nous décrivent comment Dieu a créé, mais au fait qu’il a créé. L’échec du concordisme scientifique (la supposition que Dieu a révélé dans la Bible des faits de nature scientifique des siècles avant leur découverte par la science) nous montre que la méthode de création divine n’est pas nécessaire à la foi chrétienne…A la lumière de Jésus, la Bible est la parole infaillible et éternelle de Dieu transcendant le temps, incarnée dans des mots humains imparfaits dans l’histoire.