Je commencerai prochainement une série d’articles sur les rapports entre science et foi au cours de l’histoire. Pour l’introduire, je vous propose mon témoignage personnel où j’explique pourquoi j’ai moi-même « évolué » sur la question de la compatibilité entre la foi chrétienne et la théorie de l’évolution.
Mon entrée à l’université
Je viens à l’origine d’Eglises très hostiles à la théorie de l’évolution, défendant même plutôt une position « Terre-Jeune » (le monde a été créé il y a moins de 10 000 ans). Par ailleurs, n’étant pas passionné par les sciences naturelles, je n’ai jamais vraiment cherché plus loin.
En arrivant à l’Université, j’étais donc assez opposé à la théorie de l’évolution, sans non plus être réellement intéressé par ce sujet ; et ce n’est a priori pas mes études d’histoire qui devaient me faire changer d’avis. Pourtant, c’est bien ce qui s’est produit.
Mon premier master de recherche portait sur l’interprétation chrétienne de la Bible dans l’Antiquité tardive et mon directeur de recherche (Hervé Inglebert) avait justement écrit un livre sur le rapport des chrétiens aux savoirs profanes (Interpretatio Christiana).
Ces deux éléments m’ont conduit à lire et étudier les Pères de l’Eglise. Or, ce qui m’a interpellé, c’est le parallèle flagrant avec le débat actuel. Bien sûr, la question était autre, mais les attitudes étaient similaires. A l’époque, le débat était de savoir si la Terre sphérique était compatible avec la foi chrétienne ou si un chrétien, pour rester fidèle à la Bible, devait nécessairement défendre le modèle de la Terre plate.
Les chrétiens et la cosmogonie
Pour résumer les choses, mais je présenterai cela plus en détail dans un prochain article, il y avait d’un côté ceux qui acceptaient les raisonnements de Platon et qui reconnaissaient que la Terre était sphérique, et d’un autre côté, ceux qui estimaient qu’au contraire, remettre en cause la Terre plate, c’était remettre en cause la foi chrétienne et se laisser corrompre par la « science grecque ».
Entre ces deux camps, il y avait aussi une masse d’indécis, qui n’était pas forcément entièrement convaincue par la démonstration de Platon, mais qui ne voulait pas non plus la contredire trop fermement. Pour eux, la Terre sphérique était une possibilité envisageable, mais non certaine, qui de toute façon ne remettait pas en cause la foi chrétienne.
Bien entendu, je parle là uniquement des intellectuels. En dehors de ce groupe restreint, 95% de la population (païens comme chrétiens) croyait que la Terre était plate et qu’il ne pouvait pas en être autrement.
Une leçon pour notre époque
Toujours est-il qu’aujourd’hui, plus personne, ou presque (1), n’oserait au nom de la Bible nier la sphéricité de la Terre. Par contre, les antireligieux peuvent facilement utiliser ces controverses du passé pour accuser les religions d’obscurantisme.
Or, je pense qu’aujourd’hui nous nous retrouvons exactement dans la même situation. Je vais être tout à fait honnête, bien qu’étant membre de l’association Science & Foi, je suis loin de maîtriser la théorie de l’évolution dans tous ses détails (mais les rapports Science/Foi ne se limitent pas à cette question !). Toutefois, le consensus scientifique qui existe et le fait que des chrétiens authentiques qui ont travaillé toute leur vie dessus, soient persuadés de la justesse scientifique de cette théorie, suffisent à me convaincre.
Par ailleurs, je pense qu’il est important de se rappeler que ce qui est vrai n’est pas forcément le plus facile à comprendre. Je le vois aisément dans mon propre domaine de recherche. Souvent, les arguments les plus puissants, les plus décisifs, sont aussi les plus durs à saisir et demandent un certain niveau de compétence pour être compris. Je pense par exemple aux arguments linguistiques qui permettent de dater les textes.
Pour saisir toute la force des arguments de la théorie de l’évolution, il faut prendre le temps de l’étudier, ce qui n’est pas forcément possible pour tous. C’est pour cela que je n’hésite pas à faire confiance à ceux qui se sont spécialisés sur ces questions. Toutefois, je comprends que certains chrétiens puissent avoir des réticences.
Au minimum, de la prudence…
Ainsi, aux chrétiens qui n’auraient pas forcément le temps d’étudier tout cela en détail, je recommanderai au moins d’adopter une position « compatibiliste », c’est-à-dire d’affirmer que la théorie de l’évolution n’est pas incompatible avec la Bible et d’éviter de traiter « d’hérétiques » ceux qui y adhèrent.
Pour conclure, j’aimerais souligner qu’il me paraît aujourd’hui bien téméraire de lier l’Evangile et le rejet de la théorie de l’évolution et que les chrétiens qui affirment cela renforcent finalement la position de certains athées antireligieux comme Richard Dawkins (2)
Notes
(1) Il reste toutefois quelques groupes fondamentalistes américains qui défendent cette idée. Voir par exemple : https://christianflatearthministry.org/
(2) Voir mon article : http://didascale.com/et-dieu-crea-darwin/
A Propos de l’auteur
David Vincent est étudiant en histoire et titulaire d’un master en histoire ancienne et d’un master en sciences des religions et société à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE-Sorbonne). Ses thèmes de recherches sont l’historiographie chrétienne, l’histoire des doctrines et l’interaction entre la foi et les connaissances profanes.
En savoir plus en visualisant son profil ici.
Crédit Illustration : tomertu / 123RF Banque d’images