« La chair est faible »
(Jésus, Évangile de Marc 14.39).
« Moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché. »
(Paul, Épitre aux Romains 7.14)
RÉSUMÉ
Dans la réflexion qui suit, nous examinerons le diagnostic de Jésus et Paul sur l’homme:
« Ce qui est né de la chair est chair »
(Jean 3.6)
la « chair est faible » (litt. « sans force). Sans être mauvaise en soi, la chair « ne sert de rien » sans l’Esprit (Jean 6.63). Elle devient facilement « esclave du péché » (Jean 8.34). C’est pourquoi Jésus vient « proclamer aux captifs la libération… et pour apporter la délivrance aux opprimés » (Luc 4.18-19). Ce thème est repris par Paul: « C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis» (Ga 5.1), ce qui signifie être délivré de l’oppression du péché et des systèmes religieux incapables de sauver. Paul, on le verra, développe une anthropologie similaire à celle de Jésus en disant que la chair est « vendue comme esclave au péché » (Ro 7.14).
Dans la seconde partie de cette petite méditation, nous remettrons en question l’idée d’une corruption de nature chez les enfants, ou d’une chair ontologiquement mauvaise transmise par hérédité. Nous situerons plutôt le problème du côté de l’ESCLAVAGE DE LA CHAIR PAR LE PÉCHÉ, comme le mentionne Paul en Rom 7.14. Cet esclavage mène aux convoitises de la chair, lesquels se développent non par hérédité (le péché n’est pas un gène), mais du fait que les enfants « baignent » dans un monde pécheur aux pratiques injustes.
En conclusion, nous verrons que ce retournement copernicien peut réorienter radicalement notre pratique pastorale. Au lieu de voir chez les enfants une « nature corrompue héritée », notre obéissance à Christ impliquera plutôt de ne pas être en scandale aux enfants (Mathieu 18.6; Marc 9.42; Luc 17.2) parce que Jésus s’identifie clairement à eux (Marc 9.36; Luc 9.48; Mat 18.2). Cette perspective pourrait également en finir avec les spéculations ontologiques suivant un péché originel.
INTRO
Notre réflexion cherche à saisir l’idée générale que se fait Jésus (à travers le témoignage fiable des évangiles) Paul et le NT concernant la chair, le péché et les petits enfants. Suivant une interprétation christocentrique, nous supposons que l’enseignement des épîtres du NT s’interprètent clairement à la lumière des paroles de Jésus rapportées dans les Évangiles, et qu’il n’y a aucune contradiction entre l’enseignement de Jésus relaté dans les évangiles et ceux des épîtres.
Il est assez commun d’entendre dans le milieu évangélique, à la suite d’Augustin et du calvinisme, que tous les hommes naissent foncièrement mauvais. Est souvent cité Rom 7.14 et suivant. Est-ce bien l’enseignement de Jésus et de Paul ? Comment comprendre l’apôtre Paul dire, par exemple: « moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché. » ? Est-ce une déclaration « ontologique » ? Je suggère 3 éléments pour comprendre la relation chair – péché – enfant ici.
D’abord, faisons un bref retour en arrière pour décrire le plan de Dieu pour l’humanité.
PREMIÈRE CLÉ: L’INTENTION DE DIEU
Dieu a créé l’humanité par amour, en souhaitant que celle-ci soit heureuse et vive en harmonie avec tout ce qui existe, Dieu compris. Dès le départ, nous étions faits pour la vie en abondance et la vie éternelle (Ge 2.9) en harmonie avec Dieu, les autres et la nature.
Au commencement… Le début du livre de la Genèse révèle de façon très littéraire que Dieu avait donné à l’humanité trois choses essentielles pour vivre :
- un arbre de vie (symbole de relation et de révélation),
- une communauté (rappelez-vous : « il n’est pas bon que l’homme soit seul… » Genèse 2. 18) et
- un environnement à cultiver et à prendre soin (Ge 2).
Dieu savait que nous aurions besoin 1- de Dieu et 2- des autres et 3- d’une mission claire, afin de surmonter les épreuves et les tentations de l’existence.
Ceci dit, il y a un principe très important à saisir: Dieu ne prévoyait pas qu’il put être possible d’atteindre les intentions de Dieu en se fiant à sa propre nature, autrement dit par ses propres forces, sa propre intelligence, ses ressources humaines. La première humanité devait dépendre de Dieu et vivre par la foi dans la révélation qu’il avait reçu.
DEUXIÈME CLÉ: LA CONDITION HUMAINE
Malheureusement, au lieu de choisir la voie proposée par Dieu, l’humanité, depuis le premier homme, a choisit de céder à la convoitise et suivre son propre chemin (Ésaïe53.6, Rom 5.12). C’est ce qu’enseigne le récit de la chute d’Adam (Genèse 3), auquel peut faire écho cette parole de Jésus : « restez éveillés et priez pour pouvoir résister quand l’esprit du mal vous tentera. Vous désirez faire le bien, mais vous n’avez pas la force de résister au mal » (Marc 14.38). Seul Jésus, le Fils de l’homme, a réussi l’exploit pour nous.
Dans la Bible, la chair est une façon de désigner la nature humaine. Jésus explique que la chair est « faible ». Le même mot, asténéia, faible, est utilisé par Paul en Romains 8. 26 : « De même, l’Esprit vient nous aider dans notre faiblesse. ». Celle-ci n’est pas ontologiquement mauvaise, puisque la Parole elle-même est « faite chair » (Jean 1.14). Or, « Ce qui est né de la chair est chair » dit Jésus; si elle n’est pas mauvaise, elle est insuffisante et « sans force » pour connaître Dieu et faire sa volonté. Il faut « naître de l’Esprit » (Jean 3.6-7). « C’est l’Esprit qui vivifie ; la chair ne sert à rien » (Jean 6.63). Livrée à elle-même, la chair est faillible (1 Pi 1.24; Rom 6.19).
Depuis l’introduction du péché dans le monde et la corruption de la création, « la chair est vendue au pouvoir du péché » (Rom 7.14). C’est-à-dire qu’elle est rendue captive par le péché qui est entré dans le monde, et qui domine sur toute chair depuis la désobéissance d’un premier homme. Notons que Dieu ne condamne pas la chair, mais il « a condamné le péché dans la chair » (Rom 8.3).
Certains vont-ils trop loin en affirmant que la chair est devenue mauvaise ou corrompue de nature, depuis une transmission par hérédité depuis un premier homme (modèle augustinien de la dépravation totale) ? Plusieurs dont moi le croient. Car pour tenir une telle position, encore faut-il expliquer comment le mal (s’il est une chose, une essence) peut se transmettre par hérédité ? Affecte-t-il les gènes ? Affecte-t-il le cerveau ou les pensées ?
Poursuivre dans cette direction ne conduit-t-il pas en définitive à un subtil dualisme, le même qui a imbibé toute la tradition catholique après Augustin, soupçonnant le corps et la chair d’être l’habitation du mal… Cela n’a-t-il pas conduit aussi l’église Réformée à devoir confesser la totale passivité et la complète dépravation de l’homme, devant laquelle Dieu ne peut qu’intervenir par un décret inconditionnel de prédestination ? Que reste-t-il alors de la volonté humaine dans le salut (Ge 4. 7; Dt 30.19) ?
TROISIÈME-CLÉ: L’ESCLAVAGE DU PÉCHÉ
Je crois que la Bible est davantage réaliste, pas pessimiste. Comme dit Pierre, « toute chair est comme l’herbe et toute sa gloire comme fleur d’herbe… ». La chair est faible et livrée au péché comme esclave. Clairement, le monde pécheur domine sur elle. Le véritable problème, donc, ce sont les « passions de la chair » (Galates 5.16), nos mauvais désirs, appelés aussi « convoitise ». Jacques dit que : « tout être humain est tenté quand il se laisse entraîner et prendre au piège par ses propres désirs, litt. « être appâté » comme un poisson (Jacques 1.14). La chair est séduite par les convoitises, qui deviennent « idolâtrie », esclavage du péché.
Jésus dit : « Je vous le dis, c’est la vérité : TOUS CEUX QUI COMMETTENT des péchés sont esclaves du péché » (Jean 8.34). Le monde entier gît donc sous l’esclavage péché. Les enfants en sont contaminés dès leur tendre enfance. Combien d’enfants souffrent d’un manque d’amour, d’ordre et de justice ? Combien tombent dans les travers de leurs parents, dans des systèmes dysfonctionnels chroniques ? Sans compter que les « les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs » (1 Co 15.33).
ATTENTION AUX ENFANTS…
Remarquez ceci : trois fois les évangélistes rapportent cette stupéfiante parole de Jésus : « Si quelqu’un devait FAIRE TOMBER dans le péché l’un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux qu’on lui attache au cou une de ces pierres de meule que font tourner les ânes, et qu’on le précipite au fond du lac. » (Mathieu 18.6; Marc 9.42; Luc 17.2). De plus, trois fois les évangélistes mentionnent l’affection que Jésus avait pour les enfants : « Puis il prit un petit enfant par la main, le plaça au milieu d’eux et, après l’avoir serré dans ses bras, il leur dit : – Si quelqu’un accueille, en mon nom, un enfant comme celui–ci, il m’accueille moi–même. » (Marc 9.36; Luc 9.48; Mat 18.2).
Tout cela NOUS MET AU DÉFI. Qu’il est facile de blâmer notre nature ! Et les enfants ! Ils ne peuvent pas même répondre… Or, avant de blâmer les enfants et la nature humaine d’être responsable du mal dans le monde, demandons-nous si les enfants ne deviennent pas le reflet de nos agissements ? S’ils ne sont pas à l’image de leur environnement. Si oui, agissons donc plutôt promptement dans nos vies et dans la société afin de ne pas être en scandale pour eux… car cela est en scandale pour Jésus. Prêchons la repentance des adultes… pas le baptême des enfants. Commençons d’abord à être pour eux « image de Dieu » tel que Dieu le commande et incarnons le Royaume de Dieu à leurs yeux. « C’est ainsi que votre lumière doit briller devant tous les hommes (incluant les enfants), pour qu’ils voient le bien que vous faites et qu’ils en attribuent la gloire à votre Père céleste. » (Mat 5.16)
LE BAPTÊME
D’ailleurs, dans la pratique évangélique, il n’y a pas de baptêmes d’enfants. Pourquoi ? D’abord parce que Jésus dit de baptiser des adultes. « allez donc dans le monde entier, faites des disciples parmi tous les peuples, baptisez–les au nom du Père, du Fils et du Saint–Esprit ». (Mat 28.19). Ceux qui sont baptisés acceptent d’être des disciples (sous-entendu des personnes en âge de choisir). Deuxièmement, parce que le baptême n’efface pas une souillure originelle, il n’est pas non plus un signe d’alliance pour les enfants. Il est l’engagement d’une bonne conscience envers Dieu. L’apôtre Pierre dit : « Cette eau était une figure du baptême, qui n’est pas la purification des souillures du corps (litt. de la chair), mais l’engagement d’une bonne conscience envers Dieu, et qui maintenant vous sauve, vous aussi, par la résurrection de Jésus–Christ, » (1 Pi 3.21).
La question est donc : pourquoi continuer de valoriser une théologie catholique ou réformée qui sous-tend la pratique du baptême des enfants, alors que nous refusons cette pratique ? Nous adoptons la théologie (augustinienne) qui avait pour but de justifier la pratique du baptême d’enfant, mais rejetons la pratique qui la suit logiquement. Contradictoire. Or ce qui est contradictoire, c’est l’enseignement d’une souillure originelle, d’une culpabilité hérités, d’un péché originel qui se transmet par procréation, par la chair.
Jésus voit-il dans les enfants une telle tare ? Pourquoi alors accueille-t-il les enfants, les bénit-il, avertit-il ceux qui les scandalisent ? Pourquoi demande-t-il que soit baptisé seulement les adultes?
CONCLUSION
ATTENTION! Je ne dis pas que les enfants n’ont pas besoin de la grâce divine pour croire en Dieu ! (Je ne suis pas pélagien). Ils naissent « chair » et ont besoin de « naître de nouveau » par l’Esprit de Dieu qu’ils recevront par la foi. L’Esprit est au principe de toute vie humaine (Ps 139; 71.5). Or tous seront contaminés dès l’enfance par le « péché du monde » dans lequel ils naissent. Ils deviendront tous, à leur tour, solidaire de l’humanité pécheresse. Mais, ils ne seront pas par nature ou à cause de leur chair. Ils le deviendront parce que la culture est dominée par le péché. Or, l’Esprit (et la grâce) demeureront actifs pour qu’ils soient, s’ils le veulent, affranchi par Christ de « leur vaine manière de vivre héritée des pères » (1 Pi 1.18).
Cette perspective nous dégage finalement de l’obligation de placer quelque part dans l’histoire de l’humanité un premier couple créé parfait, responsable de la transmission à tout le genre humain d’une tare et d’une culpabilité héréditaire.
Pour plus de détails sur cette idée développée ici, consultez cet article sur mon blog personnel.
Voir aussi l’article suivant de Roger Lefèbvre :