A plusieurs reprises, j’ai pu me rendre compte qu’un mythe historique circulait dans les milieux évangéliques à propos de Darwin. Celui-ci serait revenu à la foi chrétienne de sa jeunesse dans ses derniers instants. Il aurait aussi renoncé à la théorie de l’évolution en réalisant qu’elle était contraire à la Bible. Cette histoire est souvent racontée pour démontrer l’incompatibilité de la foi chrétienne et de l’évolution, et pour discréditer l’aspect scientifique de cette théorie (attention, le sens de ce mot dans ce contexte n’a rien à voir avec l’usage quotidien que l’on en fait pour dire : une hypothèse sans fondement ou une spéculation). Nous reviendrons un peu plus loin sur l’origine de cette rumeur, mais il y a plus important.

Imaginons un instant que ce soit vrai, que cela prouverait-il ? La théorie de l’évolution qui prétend que les espèces se sont diversifiées à partir d’une ou d’un petit nombre de formes primitives de vie ne repose pas sur le travail d’un seul homme : Darwin. Depuis 150 ans, des milliers de chercheurs constatent quotidiennement la validité de cette hypothèse dans les observations qu’ils peuvent effectuer dans des domaines aussi divers et indépendants que : l’anatomie comparée, la répartition géographique des espèces, l’étude des fossiles et la génétique. Ainsi, c’est se méprendre sur la nature et la solidité du travail de toute une communauté de chercheurs depuis des décennies que de penser qu’un tel revirement aurait pu mettre à mal la théorie qu’il avait lui-même mis tant de soin à établir. Nous n’aurions plus qu’à attribuer ce reniement de dernière minute à sa sénilité.

Un point fait l’unanimité des historiens de la vie de Darwin : il ne s’est pas converti ou plutôt reconverti au christianisme sur son lit de mort, pas plus qu’il n’a adopté le « créationnisme ». L’évolution des réflexions religieuses de Darwin est assez complexe, et je n’y reviendrai pas en détail ici. Pour ceux qui sont intéressés, voici deux liens sur le site science & foi associé à ce blog en donnant davantage (un diaporama https://scienceetfoi.com/images/fichier/Darwingenese.pdf et un article https://scienceetfoi.com/images/fichier/Darwin.pdf ). En résumé, voici la situation. Je cite ici un excellent article de Paul Marston qui traite en détail des origines de la rumeur. « Charles Robert Darwin a été élevé dans la foi anglicane avec des tendances unitariennes. A Edimbourg (1825-27), Darwin était bien conscient des controverses matérialistes (il a abandonné ses études de médecine, note du traducteur), mais à Cambridge (1827-31), Darwin avait des croyances chrétiennes à peu près orthodoxe (il fait des études de théologie permettant de devenir pasteur anglican : note du traducteur), bien que sa piété ne soit pas naturellement fervente. Toutes ses convictions chrétiennes se sont atténuées après 1836, avec un matérialisme déterministe grandissant et après 1851, Darwin ne croyait même plus dans un Dieu bienveillant. Darwin est resté déiste/théiste à sa façon jusque dans les années 1860, après quoi Darwin se qualifia lui-même de perplexe, mais sa foi en Dieu s’atténuait toujours. Jusqu’à la fin, Darwin a pensé que d’une certaine manière, l’évolution était compatible avec la foi chrétienne, mais il n’a pas connu de conversion de la onzième heure, pas plus que de réveil spirituel personnel. Darwin est mort en 1882 en agnostique, s’éloignant dans la douleur de sa femme bien aimée et pieuse Emma, dans une séparation que chacun d’entre eux pensait être définitive (pour des raisons différentes). »

Ceux qui colportent la rumeur de cette conversion tardive sont généralement de bonne foi, mais ils ne prennent pas la peine de vérifier leurs sources. Cette histoire repose en effet principalement sur le témoignage de Lady Hope, une évangéliste de l’entourage de Darwin, qui lui aurait rendu visite dans ses derniers instants et aurait été à l’origine de ce revirement. Là encore la place me manque  pour expliquer pourquoi ce témoignage et les déformations qui l’ont suivi sont aujourd’hui reconnus comme peu crédibles par les historiens. Simplement deux remarques. Les créationnistes anti-évolutionnistes reconnaissent eux mêmes que cette histoire n’est pas fondée, alors qu’ils auraient tout intérêt à en faire la promotion. Voici par exemple un lien vers l’un des sites créationnistes américains les plus actifs allant dans ce sens http://www.answersingenesis.org/articles/2009/03/31/darwins-deathbed-conversion-legend . Je citerai encore Paul Marston dont l’excellent article entre en détail dans l’analyse historique de cette affaire(http://scibel.com/scibel/paper_paul_marston_charles_darwin_and_christian_faith.html ) : « Est-il concevable que Charles Darwin ait connu une forme quelconque de reconversion à la foi chrétienne ? La réponse est très clairement « Non ! » Il serait ridicule d’envisager qu’il aurait caché une telle conversion à sa femme Emma. Celle si, très pieuse, agonisait devant sa condition spirituelle, tout particulièrement parce que dans ces derniers jours, Darwin lui-même ne pouvait pas supporter l’idée d’une séparation définitive d’avec elle après la mort. C’est illusoire de croire qu’il aurait caché une telle conversion à sa femme et qu’il l’aurait révélée à une étrangère de passage. Si Darwin l’avait dit à sa femme Emma très croyante ou à sa fille Henrietta, pieuse elle aussi, l’une ou l’autre ou les deux auraient été ravies de l’annoncer au monde entier. »

A la lecture de cet article, certains croyants penseront peut-être : « Darwin ne s’est peut-être pas converti sur son lit de mort, mais il semble bien que sa théorie de l’évolution n’ait pas eu un impact positif sur sa vie spirituelle ! » Là aussi, soyons très prudent dans les conclusions que nous pourrions tirer de ce genre de réflexions. Il y a certainement des leçons  à tirer du parcours spirituel de Darwin, et ce sera l’objet d’un autre article. Pourtant, ne mélangeons pas tout. L’évolution religieuse de Darwin n’est certainement pas le critère qui peut nous permettre de dire si sa théorie scientifique est valable ou pas, pas plus que les croyances métaphysiques de l’un ou de l’autre n’entrent en considération dans l’évaluation du travail de recherche par des confrères!