Il y a quelques temps déjà, j’avais mis par écrit quelques petites notes à propos du livre de Pierre Berthoud, visiblement épuisé: En quête des origines. Je vous en fait part ici en toute sincérité et simplicité!
Pierre Berthoud est professeur d’Ancien Testament et d’apologétique à la Faculté Libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, dont il est également le doyen.
Présentation de l’éditeur
« Le plan du salut situé dans le contexte de la création divine est le thème de ce livre, thème grandiose qu’aucun livret ne peut le contenir !… Pour fonder son argument concernant le thème de Genèse 1 à 11, il souligne que ces chapitres forment un tout et que, bien que constituant une sorte de préhistoire des patriarches, ils fournissent le fondement essentiel à une compréhension de la promesse de Dieu faite à Abraham, justement parce qu’ils expriment ce thème d’un plan de salut divin qui se déroule progressivement…
Les onze premiers chapitres de la Genèse répondent aux questions essentielles que nous nous posons sur l’origine de l’être, le mal, la mort et la vie. Ce sont également les textes qui s’offrent aux interprétations les plus divergentes. Après avoir exposé une analyse littéraire de ces chapitres pris ensemble et répondu à la question de savoir si ces textes relèvent du mythe ou de l’histoire, les pages de cet ouvrage vous serviront de guide dans le dédale des interprétations concernant, entre autres, les jours de la création, la chronologie et la longévité des personnages, l’identité des fils de Dieu, le récit du développement de la civilisation, la tour de Babel ou la prophétie de Noé sur ses fils. »
Quelques réflexions personnelles :
Cet ouvrage met en évidence la place de Genèse1-11 dans le plan du salut de Dieu pour l’humanité sur le schéma création-faute-rédemption. C’est d’abord un ouvrage de théologie et l’étude de l’historicité de Genèse 1-11 et le lien avec la science ne sont pas le centre du propos. Pierre Berthoud adopte une position ouverte vis-à-vis des découvertes récentes de l’archéologie, tout en en soulignant les limites.
» Les données archéologiques peuvent éclairer notre intelligence de certains aspects culturels, religieux, historiques et littéraires évoqués par les textes bibliques et même confirmer leur exactitude. Mais il y a plus dans l’Ancien Testament ! Il y a aussi une vérité spirituelle et divine. Celle-ci n’est pas isolée de son contexte culturel et historique. Bien au contraire, elle s’y incarne, mais elle est distincte et unique. En ce qui concerne cette contribution spécifique, l’archéologie est pour l’essentielle silencieuse. «
On ne peut que souscrire à une telle approche. P.B. souligne le caractère progressif de la révélation divine.
» Chaque péricope, passage, livre de la révélation biblique doit être interprété en fonction de l’époque à laquelle il appartient. Il ne faut pas faire dire au texte plus que ce qu’il ne dit. Une fois le sens du texte établi dans son contexte culturel et historique original, il est alors indispensable de le comprendre à la lumière de l’ensemble de la révélation biblique. «
L’auteur met aussi en évidence l’objectivité de la révélation
» La Bible nous offre une authentique communication de Dieu à l’homme. «
L’inspiration de la révélation
« C’est l’autorité de Dieu lui-même, par le moyen de l’inspiration, qui établit la vérité de l’objet de notre étude, l’Ecriture. «
La vision de l’infaillibilité de la révélation que donne l’auteur est assez souple
» Si Dieu est un être infini et personnel, un être conscient, il s’ensuit logiquement que, par l’intermédiaire d’une révélation objective dont il garantit l’authenticité, il partage avec l’homme une expression parfaite de sa nature et de son intention. «
Ceci correspond à ce que Denis Lamoureux qualifie de concordisme théologique total dans la Bible.
P.B. est également partisan d’une forme d’« accommodation » du Saint Esprit dans le processus d’inspiration.
« Il ne faut cependant pas oublier la notion d’adaptabilité ou de condescendance lorsqu’on évoque la communication de Dieu avec l’homme. »
Le problème, c’est que l’auteur ne définit pas clairement ce qu’il entend par là. Est-il partisan d’un concordisme scientifique et/ou historique modéré ? Ce flou est préjudiciable à la clarté de la démonstration dans tout le livre. L’un des intérêts majeurs de cet ouvrage sont les nombreuses citations et évocations des récits mythiques des peuples babyloniens ou mésopotamiens, en comparaison et opposition avec les récits du texte biblique.
« La forme et le contenu des premiers chapitres de la Genèse remontent à l’époque patriarcale et les patriarches ont sans doute emporté ces traditions avec eux lorsqu’ils ont quitté la Mésopotamie. (selon K.A. Kitchen) »
P.B. pose ouvertement le problème : Genèse 1-11 : mythe ou histoire ? Comme la grande majorité des théologiens évangéliques. l’auteur opte pour l’historicité d’Adam et Eve et de la chute dans le jardin d’Eden et de Genèse 1-11. Le lecteur que je suis reste toutefois frustré. Comment l’auteur réconcilie-t-il cela avec la science ? Il semble tout au long du livre que sur ces questions, l’auteur se satisfait de la seule exégèse biblique sans que les découvertes de la science aient un rôle quelconque à jouer, ne serait-ce que pour départager plusieurs interprétations théologiquement valides ! Ceci est particulièrement frappant lorsque l’auteur est amené à choisir entre une interprétation littérale des 6 jours de création et l’interprétation littéraire. Il penche plutôt pour la seconde (et nous aussi), mais il ne semble pas conscient que l’interprétation littérale est en flagrante contradiction avec les données scientifiques actuelles sur l’âge de la terre et de l’univers.
« La lecture littérale met l’accent sur la séquence chronologique des jours,…, elle tente, face au scepticisme qu’elle éprouve envers les modèles de la cosmogénèse proposés par la science humaniste contemporaine, de mettre en place d’autres explications scientifiques pour répondre aux questions relatives aux origines. »
A aucun moment l’auteur n’évoque le fait que ces théories « créationnistes » contredisent absolument la révélation des œuvres de Dieu dans la nature ! Le qualificatif « humaniste » me laisse songeur. C’est tout à fait vrai que certains ont indûment transformé le naturalisme méthodologique de la science en une philosophie matérialiste, mais ce qualificatif général me parait mal à propos. C’est un peu le même type d’arguments que ceux utilisés par Philippe Johnson, leader de l’I.D. Par moment, Pierre Berthoud adopte ouvertement la théologie du Dieu bouche-trou , celle qui pense qu’une explication rationnelle de la création exclut Dieu de la partie et qu’il ne peut agir qu’au travers d’évènement surnaturels.
« A la conception naturelle de l’origine des astrophysiciens contemporains, le prologue de la Genèse oppose une création surnaturelle. »
Ce genre de propos est tout à fait dévastateurs pour une relation saine entre la science et le christianisme ! Pierre Berthoud aborde ensuite les généalogies et le grand âge des patriarches. L’auteur semble ne pas quoi savoir penser. Il paraît prêt à accepter que les grands âges des patriarches ne soient pas à lire de manière littérale, ce qui semble quelque peu évident. Mais il craint de l’affirmer par peur que les lecteurs ne remettent alors en cause l’historicité du récit.
» A la lumière de ces considérations, on mesure mieux la difficulté que peuvent représenter ces grands nombres et la diversité des solutions proposées. «
De même, il discute longuement du récit du déluge et sa comparaison avec l’Epopée de Gilgamesh. On y trouve quantité d’informations très intéressantes. Mais là encore, je suis resté sur ma faim. Puisque le récit du déluge est celui d’une dé création, l’auteur pense-t-il que le déluge a été universel ? Cela semble être le cas : « cette catastrophe planétaire ». Sait-il qu’une telle hypothèse est aujourd’hui intenable du point de vue de la science ? Sinon comment réconcilie-t-il ceci avec l’histoire ? Un déluge local ? Anthropologiquement universel ?
Conclusion
Ce livre est très bien documenté, mais les catégories n’y sont pas définies de façon suffisamment précise. La signification théologique de Genèse 1-11 sur laquelle à peu près tout le monde évangélique s’accorde est admirablement présentée. Pourtant, je suis resté frustré par le manque de discussion concernant l’historicité de Genèse 1-11 et les questions suscitées par les progrès de la science : biologie, géologie, archéologie…On a l’impression que pour l’auteur, ces questions méritent à peine qu’on s’y intéresse, une fois qu’on a interprété théologiquement le texte biblique. Le lecteur finira sa lecture avec de nombreuses interrogations.
Le déluge a-t-il été universel ? L’âge des patriarches doit-il être interprété littéralement ? Peut-on réconcilier la Genèse avec la théorie de l’évolution ? Faut-il choisir entre mythe et histoire ? N’existe-t-il pas d’autres catégories ? Comment et où appliquer le principe d’adaptation et de condescendance du Saint Esprit dans l’inspiration ? L’auteur est-il concordiste scientifiquement ? Qu’on soit d’accord ou pas avec la lecture de Denis Lamoureux de Genèse 1-11 dans Evolutionary Creation, on ne peut que reconnaître que son propos est bien mieux défini. Par exemple, au lieu de poser la question mythe ou histoire, il discute de bien d’autres genres littéraires pour essayer de caractériser le genre unique de Genèse 1-11 : Est-ce un récit, de la poésie, de la science, de l’histoire, de la théologie, un mythe, une fable, une légende, une allégorie, une parabole, une épopée ?
On trouvera donc dans le livre de Pierre Berthoud des renseignements précieux, mais on cherchera ailleurs une argumentation en relation avec les découvertes récentes de la science qui aurait rendu cette étude concordiste en définitive plus proche de la révélation générale de Dieu dans la nature.
B. Hébert