Une approche harmonieuse
Comme vous le savez, l’association Science et Foi Chrétienne encourage les croyants à demeurer dans un rapport harmonieux entre la science, la Bible et même la philosophie prise au sens de la démarche cognitive. Pour la crédibilité de notre foi, il est préférable de garder un dialogue constructif entre ces trois ordres de vérité que sont la démarche scientifique contemporaine, la foi dans le Dieu de la Bible, et une réflexion rationnelle (quoique paradoxale) sur le monde.
Sur quelle base ?
Cette proposition repose sur le principe que ces « champs d’investigation du réel » (l’observation, la réflexion rationnelle et la foi biblique) sont de trois ordres différents mais complémentaires, et que chacun d’eux enrichi le spectre de la pensée humaine en vue de générer une vision du monde cohérente.
Et dans quel but ?
Aucun discours ne peut faire abstraction d’une vision du monde qui contiennent implicitement ou explicitement a. une science (phénoménologique, expérimentale, etc.), b. une démarche cognitive (rationnelle, paradoxale, dialectique, symbolique, etc.) et non), c. une croyance (dans le Dieu de la Bible, etc.). Cela vaut évidemment pour les auteurs bibliques, mais aussi pour ceux qui interprètent la Bible.
En être conscient peut permettre de faire une distinction entre le contenu théologique des textes sacrés et le cadre culturel dans lequel il s’inscrit. On peut éviter « d’inerrantier » (de dogmatiser) la compréhension pré-scientifique des auteurs bibliques ou encore l’outillage conceptuel et philosophique avec lequel la Bible est interprétée. Nous donnerons des exemples dans les prochains articles.
Une distinction pour faciliter l’apologétique
On entend souvent dire qu’au contact de la science évolutionniste, des croyants évangéliques perdent la foi. Est-ce une raison valable pour la combattre comme champ d’étude valable du monde ? Ne vaudrait-il pas mieux combattre ses prétentions philosophiques et religieuse à s’élever comme seule capable d’interpréter le réel ? Si, comme nous le pensons, toute vision du monde est enrichie par trois champs de vérité complémentaires (scientifique, rationnel, religieux) nous pouvons accepter la science, même avec ses présupposés matérialiste et non-finaliste, tout en sachant qu’il y a d’autres niveaux de vérités à considérer dans la réflexion sur le sens de la vie.
Il est triste de voir certains croyants rejeter ou combattre l’effort des scientifiques pour comprendre le monde, et ainsi se replier sur une interprétation littéraliste, historiciste, ou encore concordiste des récits de création. Ce faisant ils confondent les champs de la connaissance en recherchant dans des textes « sacré » ce qui est de l’ordre des faits scientifiques. Mentionnons ici que pour la majorité des évangéliques, le débat est exégétique. La confusion des ordres s’appuie sur une herméneutique qui suppose l’inerrance (l’exactitude et la non-erreur) de la Bible au plan historique et scientifique. À Science et Foi Chrétienne, nous préférons plutôt faire une lecture littéraire et contextuelle des Écritures, en cherchant avant tout une confession de foi vivante pour aujourd’hui.
S’obstiner dans une approche littéraliste, historiciste ou même concordiste qui confiondent les genres est-elle une bonne chose pour notre apologétique ? En s’obstinant à enseigner que le monde n’a que 6000 ans d’âge, qu’il a été créé en 7 jours de 24 heures, et/ou à partir d’un premier couple créé instantanément adulte et saint, ne fait-il pas qu’échafauder un mur entre l’église et ses contemporains? Ne serait-il pas mieux de chercher plutôt à prendre les vérités théologiques et existentielles des textes bibliques et les contextualiser – je dirais même plus de les incarner – dans des paradigmes contemporains ?
Revenir à l’équilibre
Cela conduit à un changement de paradigme difficile pour l’église évangélique. L’interprétation traditionnelle des récits fondateurs n’est pas fausse en soi, seulement, l’église doit faire une mise à jour au niveau exégétique, scientifique et même philosophique. Trop souvent a-t-elle sur-accentué le côté divin, intemporel et rationnelle de la Parole, au détriment de son côté humain, contextuel, symbolique et polyphonique.
Elle n’a pas tenu assez compte de l’inculturation de la Bible. Avant les nombreuses découvertes archéologiques et philologique des deux derniers siècle, la culture d’origine du Proche Orient Ancien (POA) était pratiquement inconnue. Elle fut largement ignorée au temps des premières grandes synthèses rationnelles de la Bible (Augustin).
Et que ce soit dans l’interprétation ou dans sa transposition, la culture d’origine ou contemporaine n’est prise en compte. Tout se passe comme si la Bible était objective, factuelle, rationnelle et désincarnée et qu’elle devait être reçu sans le référent culturel d’origine. On néglige également le cadre conceptuel des premières synthèses théologiques, qui méconnaissait la vision religieuse des peuples anciens. Et encore aujourd’hui, on est souvent aveugle à nos propres lunettes avec lesquelles on filtre le monde et avec lesquelles aussi on scrute la Bible. Or cela cause un gros problème à la foi aujourd’hui.
Quel rapport avec l’apologétique ?
L’apologétique consiste à montrer la pertinence de la foi chrétienne aux yeux du monde, sa solidité rationnelle et surtout sa puissance transformatrice. Or, il est vain pour l’église de défendre à tout prix une vision ancienne du monde, ou encore une systématisation de la Bible qui ne soit plus adéquate sur le plan exégétique, scientifique ou philosophique. Ce qu’il faut rechercher et valoriser, c’est la contextualisation de la Parole divine, de la lire dans son contexte d’origine et d’incarner les vérités de foi et de vie dans notre contexte.
À notre époque post-moderne, qui pense encore qu’il puisse trouver des témoignages ou des discours sur Dieu (appelé aussi théologies) qui soient purs, désincarnés et intemporels ? La Bible (compris comme Parole de Dieu ET parole humaine) et ses diverses interprétations s’enracine nécessairement dans des façons de voir et de comprendre la réalité, c’est-à-dire dans des paradigmes culturels et scientifiques, consciemment ou non. C’est ce que nous aimerions démontré aux lecteurs de Science et Foi.
Un point d’ancrage
Le point d’ancrage avec les auteurs de la Bible ne réside pas dans une vision du monde identique, qui soit accessible par une raison pure. Ni encore dans une tradition d’interprétation unique ininterrompue entre eux et nous. Mais elle se trouve dans une même expérience de Dieu, libératrice et transformatrice, qui conduit le peuple de Dieu à toutes les époques à participer au même projet divin de salut pour l’humanité.
Les écrivains des récits de création dans la Genèse ont montré qu’ils étaient extrêmement sensibles au contexte culturel et religieux de leur époque; ils ont adoptés beaucoup d’éléments culturels et littéraires du Proche Orient Ancien (POA). Toutefois, leur génie fut d’adapter ces notions anciennes dans un nouveau paradigme monothéiste, historique et téléologique inspirés par Dieu. C’est pourquoi, si l’on examine la Bible à la lumière de textes similaires au POA, les vérités se trouveront non pas tant dans les ressemblances plutôt que dans les divergences.
Il sera téméraire pour l’avenir de l’église – et pour l’apologétique – de ne pas réfléchir aux implications des nouvelles connaissances à propos du contexte historique, religieux, scientifique et littéraire du POA dans lequel la Bible a vu le jour. La révolution herméneutique ressemble à celle du temps de Galilée. Les deux derniers siècles ont mis en évidence une Parole de Dieu « contextuelle », incarnée dans l’histoire et la culture de son époque. La Bible n’est plus la révélation intemporelle, objective et désincarnée comme on l’a parfois comprise. Elle est une Révélation qui a su répondre aux préoccupations de ses premiers destinataires, dans un cadre conceptuel, religieux et (pré)scientifique ancien compréhensible pour eux, et transposable aujourd’hui.