Article 2 sur un total de 3 pour la série :

Le hasard et l’évolution ♥♥♥


 

Pascal Touzet, par cette série, veut partager quelques réflexions à propos du hasard, principe bien souvent caricaturé dans les débats philosophiques autour de l’évolution.
Docteur en Génétique, Pascal est enseignant-chercheur dans un laboratoire d’Ecologie et d’Evolution à l’université de Lille.
Il est l’auteur de Création et évolution. De la confrontation au dialogue edité par Croire et Lire.

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Fun monkeyLe hasard dans l’évolution

 Lors du billet précédent nous avons défini les notions de hasard subjectif et objectif. Nous allons voir comment ces notions  sont déclinées  quand on décrit et tente de comprendre les processus de l’évolution biologique.

 

Hasard, mutation  et adaptation

Tout d’abord, le rôle du hasard dans l’évolution proposé par Darwin, et postulat de base encore aujourd’hui de la théorie de l’évolution, est que les variations qui apparaissent au sein des populations d’individus d’une même espèce sont aléatoires vis-à-vis de l’adaptation qu’elles peuvent conférer à un environnement donné.  Ces variations produites par  le phénomène de mutation ne sont pas des réponses acquises par un individu lui permettant  de mieux s’adapter à son environnement. Darwin allait ainsi à l’encontre de la théorie évolutive de Lamarck. On retrouve ici la notion de hasard objectif dans le sens de non intentionnalité, car la mutation n’est pas dirigée par l’environnement ni par une « volonté » de l’individu de s’adapter. Cela ne veut pas dire que tout évènement de mutation qui se produit au niveau de l’ADN a la même probabilité de se produire. On sait que certains changements sont plus probables que d’autres. Par exemple, concernant les 4 bases A, T, G, C qui constituent l’ADN, le support de l’information génétique, les mutations d’une base en une autre ne sont pas toutes équiprobables. On sait aussi que le type de mutation qui se produit sur une base donnée dépend des bases qui lui sont voisines sur le brin la molécule d’ADN. Il n’est pas possible aujourd’hui de prédire le devenir d’une séquence d’ADN. Ici peut-être pourrait-on parler de hasard subjectif lié à notre ignorance de tous les facteurs pouvant agir pour conduire à telle mutation à tel endroit précis de l’ADN. A moins qu’il ne soit plutôt question du hasard objectif produit d’évènements indépendants ?

 

Singe et chaise longueQue vont devenir ces variations, ces mutations au cours du temps ? Cela dépend de l’effet de la mutation : si elle confère un avantage elle augmentera en fréquence au cours du temps, au cours des générations successives du fait de la sélection naturelle, si elle confère un désavantage elle sera éliminée, là encore par la sélection naturelle. Mais dans bien des cas, cette variation est dite neutre ou synonyme c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’effet sur la fonction qu’elle code, par exemple la protéine correspondante conserve la même séquence en acides aminés. Dans ce cas, son devenir dépendra du hasard, un hasard objectif (lié encore une fois à la non intentionnalité) car dans une population de taille limitée, la transmission des gènes d’une génération est semblable au tirage aléatoire de quelques boules à partir d’un grand sac. Cet effet d’échantillonnage a pour conséquence que dans bien des cas, la nouvelle mutation ne sera pas transmise à la génération suivante, mais parfois, elle ira   jusqu’à s’imposer au cours du temps, encore une fois par le simple fait du hasard. Ce phénomène, appelé dérive génétique est d’autant plus fort que la population est de petite taille. Cet effet du hasard peut même surpasser l’effet de la sélection naturelle, conduisant à l’accumulation dans les populations et les individus concernés de mutations non neutres, faiblement défavorables (faiblement délétères) qui conduira à des populations et des individus mal adaptés.  Le chemin vers une adaptation peut être comparé à un paysage fait de vallées et de collines plus ou moins hautes, ces collines étant l’équivalent de pics adaptatifs (correspondant à niveau élevé d’adaptation). Au gré du hasard, une population pourra ainsi atteindre un premier pic adaptatif, qui ne sera peut-être pas le plus haut, mais qu’il sera difficile de quitter car les vallées à franchir pour un atteindre un pic plus haut représentent des creux adaptatifs défavorables.

 

Hasard et émergence de nouvelles espèces

La combinaison du hasard d’échantillonnage et aussi du hasard de la mutation pourra conduire à l’émergence à partir d’une même population ou d’une même espèce de deux espèces filles qui ne pourront plus s’inter-croiser du fait de compositions génétiques devenues incompatibles, induisant par conséquent des hybrides stériles ou non viables.

 

Coïncidence et évolution

Le hasard objectif entendu  comme coïncidence, occurrence d’évènements indépendants,  intervient aussi dans l’histoire des espèces et des populations : l’irruption d’un volcan, l’émergence d’une île, l’arrivée d’une espèce concurrente ou parasite. Ces évènements fortuits, peuvent conduire ici à la destruction d’une espèce voire un groupe d’espèces (l’extinction massive des dinosaures est vraisemblablement due  à un astéroïde), à l’ouverture de nouveaux espaces qui ouvre le champ à la diversification d’autres (les mammifères ont potentiellement bénéficié de cet « espace » libéré par les dinosaures).

 

Par conséquent que se serait –il passé si ces éléments fortuits ne s’étaient produits ? Quel aurait été le cours de l‘évolution, aurions-nous,  êtres humains, émergé ? On touche ici à l’idée de hasard comme contingence c’est-à-dire d’éventualité de se produire ou ne pas se produire. Cette idée est poussée à l’extrême par Stephen Gould qui en empruntant l’idée de hasard tiré de la théorie du chaos, propose que même  si on était capable de repartir des conditions initiales il n’est pas certain que l’évolution prendrait  le même chemin.

 

Il faut tout de même noter que l’évolution est un chemin séquentiel et que chaque étape est issue du matériau précédant, générant ainsi une forme de contrainte limitant l’espace des possibles. Ceci conduit d’ailleurs certains scientifiques à considérer que l’évolution est de fait en partie prédictible. Dans cette idée de processus séquentiel, l’évolution apparaît ainsi plus proche du bricolage, de l’improvisation  que du travail d’ingénierie planifié,  pour citer François Jacob.

Enfin, comparer la probabilité de l’émergence d’un caractère donné  à  la probabilité de la rédaction d’une œuvre de Shakespeare par un chimpanzé (assez intelligent)  pour  taper aléatoirement sur une machine à écrire est un raccourci fallacieux qui ignore le caractère historique et séquentiel de l’évolution.

Sexy monkey

Conclusion

Pour finir, il me semble important d’insister sur le fait qu’à aucun moment il n’est question de hasard « pur » qui serait donc le fruit d’une indétermination, d’une absence de cause. A l’exception de la physique quantique, tous les phénomènes macroscopiques sont considérés déterminés et donc « ouverts «  à notre investigation scientifique !

 

Dans notre prochain billet nous replacerons ces notions de hasard dans le contexte de la foi chrétienne et tenterons de réfléchir sur ce que le hasard dans le processus de l’évolution peut révéler sur la manière dont Dieu agit dans le monde.


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