Article 2 sur un total de 4 pour la série :

Le récit d'Adam a-t-il une fonction étiologique


Introduction

Il y a presque un an déjà nous avions publié la première partie de cette série de trois articles. Nous invitons nos lecteurs à relire ce premier article pour bien profiter de cette deuxième partie.

Le récit adamique a-t-il une fonction « étiologique » ? (2/7)

Le récit adamique a-t-il une fonction « étiologique » et « historique » ? Matthieu Richelle est un des rares exégètes évangéliques à s’être aventuré dans une analyse « purement exégétique » de Genèse 2-3. Dans le livre Adam, où es-tu ?, l’auteur conclue que

 

« Le texte (de Genèse 2-3) prétend à une dimension étiologique et historique : il ne fait pas de doute que l’auteur présente Adam et Ève comme des personnes ayant réellement existé et vivant une chute vraiment survenue »[1].

Nous avons plusieurs raisons de penser que, comme la majorité des théologiens et exégètes évangéliques, Matthieu Richelle est lié dans son interprétation des récits fondateurs (Ge 1-11) par une compréhension « étriquée » de la doctrine de l’inerrance [2]. Au point où on entrevoit qu’en cherchant à tout prix à harmoniser l’histoire sacrée avec l’histoire naturelle, ce biais herméneutique devient un boulet à porter[3]. Au lieu de comprendre simplement  les vérités théologiques et existentielles que le texte nous invite à adopter, Richelle et Blocher préfèrent demeurer dans le chemin tracé par Augustin, et spéculer à la manière scolastique sur l’état originaire « réel » d’un premier individu nommé Adam et sur les conséquences ontologiques de sa faute historique sur l’anthropologie. Étais-ce ainsi que les Hébreux interprétaient ce récit à l’origine ? Bien sur que non ! La pensée juive n’est pas la pensée grecque, spéculative et essentialiste.

Dans cette série d’article, nous allons adopter une conception plus souple de l’inerrance, laquelle reçoit le texte comme inspiré et infaillible dans ses affirmation de foi et de vie.

EXPLIQUER / COMPRENDRE

Ce que nous remettons en question, c’est

  1.  l’idée que le texte de Genèse 3 ait voulu expliquer, par un événement situable dans le temps historique, une faute commise par un individu appelé « Adam » [4], et
  2. que ce récit ait servis à expliquer ou à rendre compte rationnellement de la cause exacte du mal dans le monde.

Nous disons que Ge 2-3 n’est pas étiologique au sens d’expliquer la cause exacte et historique de la « chute ». Elle est étiologique au sens de montrer que le mal n’est pas originaire, mais qu’il advient dans le monde par un acte de volonté depuis le premier homme.

Pour saisir la critique que nous faisons d’une étiologie historique, il est utile d’abord de rappeler la distinction apportée par Wilhem Dilthey,  philosophe allemand de l’herméneutique au XIXe siècle, entre « expliquer » et « comprendre ». L’explication cherche à rendre intelligible un phénomène particulier, à en comprendre les causes au moyen de la raison. Il est certain que la pensée des Hébreux ne possédait les outils conceptuels ni même les connaissances nécessaires pour « expliquer » de manière historique des événements fondateurs. Ils ne pratiquaient pas l’histoire comme le font les modernes (avec des sources, des points de repère dans le temps, etc.); ils n’avaient pas non plus les connaissances archéologiques, philologiques, historiques et scientifiques pour une telle entreprise. D’ailleurs nous-mêmes, occidentaux modernes, forgés à toutes les disciplines scientifiques, il nous serait impossible, avec tout notre savoir, de rendre compte des origines par des « faits réels ». Nous ne pourrions pas faire mieux que les Hébreux, et d’en rendre témoignage symboliquement par un récit « confessant ».

Aussi, les préoccupations des Hébreux étaient davantage théologiques, polémiques, pédagogiques et liturgiques qu’étiologique. Ils étaient moins préoccupés à rechercher les faits « réels » (comme le ferait aujourd’hui un reportage du National Geographic) que d’éclairer le sens et le futur de la condition existentielle, communautaire et universelle. (Nous verrons cela plus en détails dans le prochain article en questionnant le genre littéraire du texte). On peut  très bien « comprendre » un phénomène sans pouvoir en expliquer la cause historique ou factuelle. Les Hébreux ont compris le sens et les motifs de la faute universelle, et ce, depuis le début de l’humanité. Parler d' »Adam », c’est parler de ce qu’est l’humain, depuis le premier jusqu’au dernier. Leur compréhension de l’homme était plus intuitive, plus synthétique que scientifique. Les récits fondateurs n’expliqueraient donc pas l’histoire ou la cause exacte de la « chute » au sens moderne du terme, ils donneraient plutôt les clés d’interprétation pour comprendre la condition humaine universelle.

Le « mystère opaque »

Dans le Mal et la croix, Henri Blocher affirme

«l’énigme opaque de la première introduction du mal »[5].

Or si Genèse 3 est un récit « étiologique » cherchant à expliquer la manière exacte dont le mal est entré dans le monde, comment cet événement pourrait-il être en même temps un « mystère opaque » ? Soit il donne une explication cohérente et rationnelle au mal (étiologie), ou soit il vise à une compréhension existentielle qui ne peut être entièrement embrassée par la raison analytique.

D’ailleurs, un récit étiologique de la faute s’harmonise-t-il  avec le reste de la littérature biblique, notamment le livre de Job et les paroles de Jésus? Est-ce qu’une seule fois les auteurs bibliques ont rechercher la cause factuelle ou historique de l’entrée du mal dans le monde? Quel écrivain sacré blâme directement Adam ?  Peter Enns a montré que le personnage Adam est quasi ignoré dans l’AT[6]. Les prophètes l’ignorent. Le livre de Job refuse de pointer directement un coupable dans l’origine de la souffrance. Il rejette toute vision éthique du mal qui résulterait strictement des mauvaises actions humaines. La cause de l’origine du mal lui échappe et c’est clairement ce qui se dégage de Job. Jésus lui-même rejette catégoriquement cette perspective « étiologique » concernant le mal et la souffrance. Devant ses disciples qui le questionne sur l’aveugle-né, lui demandant : « qui a péché, est-ce lui ou ses parents ? » (Jean 9), Jésus répond : « Cela n’a pas de rapport avec son péché, ni avec celui de ses parents » et de fait a manqué une bonne chance de blâmer Adam… « mais c’est pour que les œuvres de Dieu soient manifesté en lui » (Jean 9.3).

Dans ses épîtres, l’apôtre Paul s’intéresse avant tout aux vérités théologiques de Genèse 3 plutôt qu’aux vérités historiques, montrant par exemple en Rom 5 qu’en Adam, l’humanité est « une » sous la faute, la condamnation et la mort. Dans son argumentaire, Paul ne donne pas des explications étiologiques, ni un cours d’anthropologie pré/postlapsaire, mais un cour de théologie: tous ont péché depuis le premier homme et tous ont besoin du don de grâce. La responsabilité de la faute est de surcroît distribuée à tous, et non pas seulement au seul premier homme : « la mort a atteint tous les hommes du fait que tous ont péché » (Rom 5.12b).  Dans Actes 17.26, il n’est pas question « d’Adam » au sens d’un individu, mais au sens de « premier homme »; on pourrait aussi dire de « premier principe ».

Ainsi, en ce qui concerne Rom 5 ou en 1 Co 15, Paul ne cherche pas à prouver l’historicité d’Adam, mais plutôt de montrer l’universalité de la condition humaine pécheresse dont Adam est la figure de proue –  le type du vieil homme – dont tous les hommes sont issus.

En recadrant Genèse 3 dans une herméneutique biblique qui place Jésus-Christ et sa proclamation du Règne de Dieu au centre de la Révélation, nous voyons que ni Jésus ni les auteurs de l’AT n’ont attribué au récit de Genèse 3 une fonction étiologique au sens d’explication historique de la présence du mal dans le monde. De fait, tous les exégètes évangéliques reconnaissent que le nom Adam en Genèse 1-3 fait référence à l’Adam-collectif et non à l’Adam-individu. La première mention d’Adam-individu est Genèse 4.25. Genèse 1-3 ne sont clairement pas historique au sens moderne.


[1] P.63

[2] Voir l’excellent article de Marc Paré (), L’inerrance chez les évangélique : http://www.revuescriptura.com/vol-7-2-view-Pare

Ou encore un article de George Daras sur le sujet de l’inerrance et l’inspiration verbale des Écritures : http://exegeseettheologie.wordpress.com/2011/03/12/inerrance-et-inspiration-verbale/

[3] Une lecture concordiste force une série de question opaque : où situer Adam dans l’histoire ? L’humanité descend-t-elle réellement d’un couple unique ?  Qui est le serpent dans le jardin ? Ou situer ce jardin ?

[4] C’est la thèse de Mathieu Richelle dans Adam, Qui es-tu ?: « sans historicité, pas d’étiologie », p.44

[5] HB (1990) Le mal et la croix, Ed. Sator, p. 194

[6]Enns, P (2012) The Evolution of Adam, BrazosPress, 0.99


4 Articles pour la série :

Le récit d'Adam a-t-il une fonction étiologique