Article 2 sur un total de 3 pour la série :

Les bases méthodologiques de la réflexion de Bruno Synnott


Considération herméneutique générale 1

Bible

Avant d’entendre ce que les récits de la création peuvent nous apprendre sur le début du monde et de l’humanité, nous nous appliquerons à donner quelques explications préliminaires et générales concernant l’approche herméneutique de ces textes. Sera clarifiée ici la façon d’envisager le statut de la Bible, sa nature, ses caractéristiques principales, notamment son inspiration, et son incarnation dans un contexte historique.

2.1. Le statut de la Bible

 

Dieu est à l’œuvre dans l’histoire de l’humanité depuis le tout début (Ge 1.1). Il est non seulement le Créateur du monde et des êtres humains, mais il est aussi à l’œuvre dans le monde (Jean 5.17); il agit continuellement pour révéler sa personne au monde entier : « Et moi, dit Jésus, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean 12.32). Celui dont la nature est d’aimer/sauver  (« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15.13) s’est parfaitement fait connaître (Col 1.19; Hé 1.3) et a communiqué sa volonté au monde par ses disciples (1 jean 5.20-21).

 

Une « bibliothèque » pour la communauté des croyants

C’est ainsi que la Bible est la « bibliothèque » de la foi, le recueil des textes inspirés qui témoignent de l’action salvifique de Dieu dans l’histoire (Luc 1.1). Elle est la mémoire qui maintient vivant le sens des interventions divines dans le monde. Ces récits, rédigés, transmis et conservés par la communauté confessante, ont pour but de susciter la foi en Jésus-Christ (Jean 20.31). Cette bibliothèque est devenue la « parole de Dieu » (Jean 10.35), celle qui est normative et fait autorité en matière de foi et d’éthique. Demeurer fidèle au kérygme (proclamation) des apôtres de Jésus-Christ est donc crucial (1 Co 15.1), car « la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole de Christ » (Rom 10.17).

 

À qui appartient la Bible ? Sur qui fait-elle autorité ? Quel est son but ? Disons simplement que le but de la Bible est de faire des disciples de Christ, de les rassembler en communauté autour d’un récit commun, et finalement de les inspirer à poursuivre l’œuvre divine entamée depuis le commencement du monde. Voici ce que la Bible n’est pas :

  • 1. la Bible n’est pas un livre de science pour les amateurs de science (même si elle est en dialogue avec la science de son temps).
  • 2. elle n’est pas un code d’éthique pour les légistes (même si elle contient des lois morales universellement reconnues et des normes de vie).
  • 3. Elle n’est pas un manuel de théologie systématique pour une élite de théologiens (même si elle contient des vérités théologiques).Le but de sa lecture n’est pas premièrement de dégager les vérités conceptuelles hors des récits ou de rationaliser la Bible en concepts, en lois ou en dogmes. S’il peut être intéressant de le faire, cela ne doit pas le but premier de la lecture de la Bible qui est d’interpeller la communauté, l’inciter à croire et à accomplir les oeuvres de Dieu dans le monde.

Une collection de récits formant un seul récit

Comme nous l’avons dit, la Bible est une collection de récits narratifs, d’écrits de sagesse, de codes législatifs, de prophéties, etc. Chacun de ces textes fut écrit selon un genre littéraire et une tradition de rédaction (sapientielle, prophétique, sacerdotale, Yahviste) propre. Le genre littéraire principal dans la Bible est celui du récit (N.T. Wright, Yoder, Blough, Ricoeur). Ce qui fait qu’en trame de fond, l’Écriture se lit comme un récit. Si ce récit est pluriel (plusieurs livres, plusieurs genres littéraires) il est aussi « un », c’est-à-dire qu’il forme un ensemble uni s’interprétant selon « l’analogie de la foi » (Rom 16.6).

 

2.2. Les deux natures de la Bible et les conséquences herméneutiques

Il serait pratiquement impossible de parler des Écritures (la Bible) sans parler de deux caractéristiques principales, son inspiration et son incarnation. La Bible est un ensemble de livres, de récits, de proverbes, de prophéties, etc. qui sont à la fois inspirés par l’Esprit de Dieu, mais aussi pleinement incarnés dans un contexte historique.Le livre de Peter Enns « Incarnation et Inspiration » illustre merveilleusement bien cette double paternité, divine et humaine. Puisqu’elle est « inspirée » de Dieu, elle est dite « Parole de Dieu ». Elle révèle des vérités normatives sur Dieu et son plan pour l’humanité. Simultanément, la Bible est un ensemble de textes dont les expressions sont contingentes et inculturées dans une culture, un langage, un lieu et un temps donné. L’incarnation signifie que la révélation fut reçue par les écrivains bibliques, méditée, intégrée et enfin transmise à la postérité. Et cela implique que la révélation divine fut façonnée également par leurs auteurs humains vivant au sein de leur culture, adoptant la vision du monde de son temps, et s’intégrant dans un contexte socio-économique et politique. Comme Jésus, la Révélation a « planté sa tente parmi nous » (Jean 1.11). Ses mots et ses expressions, pour changer d’image, ont plonge leurs  racines dans le terreau de la culture de ses hôtes. Elle respecte l’humanité jusqu’à vouloir devenir une parole humaine, réfléchie et articulée par des humains.

 

La Bible a cette caractéristique d’avoir une double nature. Cela a deux conséquences pour notre herméneutique. La première est bien connue, mais peut-être pas la seconde. Premièrement, lorsque pris sous l’angle de l’auteur divin, le sens d’un texte peut dépasser l’intention de l’auteur humain (Éph 3.3ss; Col 1.28). Un texte peut révéler des potentialités de sens qui excèdent ce que l’auteur humain avait en vue puisque l’Écriture trouve son accomplissement en Christ. Jésus dit : « C’est là ce que je vous disait lorsque j’étais encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes, et dans les psaumes. Alors il leur ouvrit l’esprit, afin qu’ils comprennent les Écritures.» (Luc 24.44s). Tous les textes, au-delà de leur intention immédiate, et du fait de leur auteur divin, pointent dans la même direction : l’histoire du salut, dont l’aboutissement et l’accomplissement sont en Jésus-Christ (Mat 5.12; Luc 24.27).

 

Le « mystère » est dévoilé en Christ.

C’est ainsi qu’Adam, par exemple, est une figure messianique, un type de Christ. Ce qui a fait dire à Paul, qu’Adam est un « type de Christ » (Rom 5.14). Paul nous dévoile une vérité qui n’était probablement pas dans la pensée des auteurs de la Genèse. À partir de Jésus, Adam n’est plus « réfléchi » par Paul comme figure historique, mais il est réfléchi à la lumière de Jésus-Christ. Il est réfléchi comme le premier représentant de (la première) humanité; Christ étant le représentant de l’humanité porté à son accomplissement (Ga 4.3s). C’est l’humanité spirituelle, qui vit par l’Esprit de Christ.

 

La seconde conséquence herméneutique – moins connue peut-être – est que, vue sous l’angle de l’auteur humain, le sens du texte peut être en-dessous ou en deçà de l’intention divine. Je m’explique. Dans son humanité, l’écrivain humain a en vue une certaine cosmologie (science du cosmos). Écrite il y a plus de deux millénaires, celle-ci est devenue caduque au regard de la science moderne. Dieu n’avait pas en vue de communiquer des vérités scientifiques intemporelles sur le cosmos. Certes nous savons que ce qui est visible vient de ce qui est invisible (Hé 11.3). Mais l’écrivain humain n’a pu faire abstraction de sa vision du monde. Il a communiqué les vérités de foi à l’intérieur de sa vision du monde. Et cette vision, il la pense vraie. Elle l’est d’ailleurs pour lui et ses contemporains, mais pas nécessairement pour les scientifiques d,aujourd’hui. C’est pourquoi, le sens du texte (sous l’angle de l’auteur divin) peut être en deçà de celui de l’auteur humain (qui pense vraie la cosmologie de son époque). Dieu s’est seulement accommodé de la vision du monde ancienne pour communiquer ses vérités de foi.

 

Tout ce que l’auteur de Genèse a en vue – la cosmologie du Proche Orient Ancien (POA) –  n’est pas inerrante (nous définissons le terme dans la suite de le no 3 de cette série). Elle ne peut plus être élevée en dogme, surtout si nous adoptons une herméneutique christocentrique des Écritures. La venue de Christ, qui est l’accomplissement des Écritures (Mt 5.17), a fixé de nouvelles potentialités de sens des textes de l’AT. N’est plus automatiquement retenu comme vérité de foi la vision préscientifique du POA.

 

Ces deux caractéristiques essentielles de la Révélation – son inspiration par Dieu et son incarnation dans la culture de son temps – ont d’autres implications sur notre interprétation de la Bible. Comme le fait que Dieu se révèle progressivement et respecte le cheminement historique de l’humanité. La Parole ou le logos divin s’est volontairement limité, s’est adapté ou accommodé au contexte socioculturel de l’époque.  Les premiers auditeurs n’avaient pas le souci de comprendre l’ontogenèse du cosmos de façon exacte et précise. Ces préoccupations sont les nôtres et non celles de leur époque ! S’acharner à découvrir une science exacte dans la Genèse demeure anachronique.

 

Dieu ne livre pas des informations intemporelles à son peuple, indépendamment de son cheminement historique. Comme un bon pasteur, il l’accompagne pas à pas et communique sa pensée en tenant compte du niveau des connaissances scientifiques, intellectuelles, etc. de son peuple. Il est dit plusieurs fois dans la Bible qu’on ne pourrait voir Dieu et vivre. C’est pourquoi Dieu a dû se révéler aux hommes d’une façon qu’ils puissent « voir et vivre ». Mais ce faisant, il a dû se « limiter ».

 

Ce principe est crucial lorsque l’on cherche à comprendre les récits de la création. Par eux, Dieu révèle des vérités sur sa personne, le monde et le sens de l’existence. Mais il ne le fait pas dans l’absolu, d’une façon intemporelle ou désincarnée. Si c’était le cas, nous serions automatiquement « illuminés », nous recevrions des informations objectives directement. Dès lors, à quoi servirait l’interprétation ?! À quoi bon l’effort d’interpréter si tout ce que nous devons savoir peut s’exprimer en faisant abstraction du contexte, dans une rationalité intemporelle et pure ? Dieu se révèle en respectant les référents culturels et scientifiques de son premier auditoire, ce qui nous force à comprendre leurs référents culturels, religieux et scientifiques, afin de bien en dégager les vérités théologiques, spirituelles et existentielles qui, elles, demeurent toujours vraies.
Rejetons cette illusion d’une lecture directe et une approche intuitive[1] des textes (c’est-à-dire sans faire aucun effort d’herméneutique) et pensons à la distance qui nous sépare des écrivains et de la culture du POA.Cela nous pousse à interpréter non pas à partir de ce qui nous intéresse, de nos questions, mais ce qui « les » intéressent, de leur perspectives. Notre interprétation doit partir de l’intention inscrite dans le texte, et se faire à partir du contexte historique, du genre littéraire et des préoccupations particulières qui habitent le texte. Nous avons dit qu’il est anachronique de prétendre que l’auteur du premier récit de la création ait voulu donner une description factuelle et historique du début de l’univers (qui est la préoccupation des modernes). L’analyse du genre littéraire démontre, en effet, une autre préoccupation : cet hymne poétique et didactique[2] s’attarde davantage à faire découvrir les vérités théologiques, ontologiques, anthropologiques, sapientielles et prophétiques issues de la foi monothéiste des hébreux tout en instituant un rythme de vie pour le peuple d’Israël qui tourne autour du sabbat comme signe d’alliance.


[1] René Padilla (1988) L’interprétation de la Parole, Perspectives misionnaires 1, p.23


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