Ou comment Dieu peut-il interagir avec le monde ?
Cette question veut poursuivre la discussion (plutôt animée) que nous avons engagée sur le concept de liberté qui semble criant dans la Création associé à l’idée d’un Dieu omniscient qui saurait déjà tout d’avance (voir ici).
Je précise à nouveau que ces pensées, dans leurs commentaires, sont tout à fait personnelles et n’ont pas plus de prétention que de faire avancer la réflexion dans notre désir de capter une cohérence parfaite entre les observations de la science et les orientations théologiques émanant de notre lecture de la Bible.
La question posée en titre principal est tirée du même ouvrage que celui qui nous a introduit dans la notion d’une création libre capable de créativité « The langage of Science and Faith » coécrit par le physicien Karl Giberson et le célèbre généticien Francis Collins.
C’est donc principalement par les mêmes auteurs qui ont suscité les questions de nos débats précédents, en particulier celles posées par Yogi à propos de l’omniscience que je vais tenter un éclaircissement du sujet,
mes commentaires personnels apparaîtront en encart
Au chapitre 4, les auteurs introduisent la notion de liberté et de non déterminisme inscrits dans les lois de la nature. Depuis la découverte de la physique quantique et de la théorie du chaos, il est désormais impossible de considérer que même une connaissance absolue de tous les éléments du présent nous donnerait une prédiction exacte du futur. Cela a changé radicalement notre façon de voir le monde.
La physique quantique nous révèle que dans le monde de l’infiniment petit des particules, les mouvements ne sont pas déterminés comme pour les planètes. Un électron ne suit pas un chemin tout tracé mais dispose d’une étonnante capacité de choix ! Les phénomènes macroscopiques qui dépendent du comportement des électrons disposent alors d’un très faible degré d’imprédictibilité qu’on pourrait voir aussi sous l’angle d’une réelle liberté d’action.
Pour sa part, la théorie du chaos nous apprend que certains phénomènes complexes, comme le temps météorologique dépendent d’innombrables et infinitésimaux niveaux d’énergie qui échappent à toute prédiction parce qu’il est impossible d’en connaître les conditions initiales avec suffisamment de précision. C’est la fameuse image du battement d’aile de papillon à New-York qui provoque un ouragan à Tokyo.
La théorie du chaos met en évidence l’évolution non linéaire de certains phénomènes physiques où de minimes variations vont se transformer en d’énormes changements, cette réalité est telle qu’on a démontré suite aux découvertes de Lorenz, qu’il serait impossible de prédire une météo fiable au-delà de 7 jours.
Ces notions tranchent radicalement avec la vue déterministe du monde qui trouve son apogée avec la physique newtonienne. Nous comprenons maintenant que la science possède ses propres limites en termes de connaissance des phénomènes et de prédictibilité, c’est ce que nous enseigne la science moderne !
Pour une bonne compréhension des arguments avancés ici, il faut se rappeler de ce que la science promulguait comme une certitude : qu’avec assez de connaissance elle nous permettrait en théorie de prédire les évènements futurs des phénomènes observés. C’est ce que croyait Newton (puis Laplace) dont la mécanique classique est résolument prédictive (on connait par avance la date de la prochaine éclipse qu’on attribuait autrefois à la colère divine, on prédit la position de la lune, des planètes etc..)
La physique quantique avec notamment le principe d’incertitude énoncé par Heisenberg en 1927 (http://www.astronomes.com/le-soleil-et-les-etoiles/principe-dincertitude/ ) porte un coup d’arrêt à cette vision prédictive du monde et une science qui pourrait embrasser toute la connaissance
Ainsi l’univers qui est régi par des lois qui lui confèrent un ordre et une cohérence remarquables (le mouvement des planètes etc..) possède au niveau le plus intime un degré de liberté.
Il est tout à fait possible de voir dans cette originalité, la capacité pour Dieu d’intervenir dans la création à l’insu des observations scientifiques sans pour autant violer les lois de la nature… Du fait de l’impossibilité de trouver une prédiction absolue au travers des lois naturelles, il est tout à fait possible d’y voir une porte ouverte à une interaction de Dieu avec le monde.
Bien sûr cette interaction reste un mystère profond mais nous devons constater que nous ne comprenons pas non plus les détails de l’interaction humaine avec le monde ; Chaque jour nous projetons des plans : quels vêtements allons nous porter ? Quelle route allons-nous prendre ? etc. Nous prenons des décisions et toutes ces intentions qui émergent dans nos esprits se font par un processus qui reste profondément mystérieux. Pourtant nous réarrangeons le monde à notre convenance en faisant que ces intentions deviennent réelles sans pour autant rompre les lois de la nature !
Nous faisons ces choses avec un tel naturel que nous ne prenons pas conscience de la complexité du processus pour passer de nos intentions à nos actes, pourtant ce mécanisme reste un réel mystère !
Par analogie, nous pouvons tout à fait considérer l’interaction de DIeu avec le monde de la même manière que pour nous, même si son impact est plus substantiel.
Les chrétiens ont toujours affirmé que la providence divine s’exprimait tout au long de l’histoire et que Dieu réalisait ses intentions dans le monde. Nous pouvons être d’accord avec cette affirmation et suggérer que l’interaction de Dieu avec le monde est similaire à la notre sans avoir besoin de constamment casser les lois de la nature mais sans pour autant en savoir plus sur la complexité du mécanisme qui opère.
L’imprédictibilité du monde ne nous force absolument pas à rejeter l’idée d’une création ordonnée et bonne de la part de Dieu.
Le monde que nous observons n’est pas inconsistant pour autant et reste similaire à celui qu’observait les scientifiques des siècles passés, l’imprédictibilité des quanta ou les systèmes chaotiques ne changent pas le fait que le soleil brille et que les objets tombent au sol.
La nature est assez fiable pour refléter la fidélité de Dieu tout en restant assez flexible pour permettre l’implication de DIeu dans sa création, de la même manière qu’elle reste ouverte à l’implication de l’homme et de toutes créatures qui la compose.
L’idée défendue dans cet extrait est que Dieu tout comme nous peut très bien agir dans le monde en se servant des lois de la nature comme nous le faisons chaque jour. Nul besoin de recourir aux miracles systématiques, même si Dieu peut agir miraculeusement, son interaction peut tout à fait être conforme aux lois naturelles (qu’il a instaurées) et s’appuyer sur les réalités de l’imprédictibilité pour agir à l’insu de nos mesures directes ou scientifiques.
Ce point de contact entre science et foi reste bien entendu assez spéculatif, mais il a le mérite de la cohérence et tire parti des dernières connaissances scientifiques pour mieux appréhender des concepts que nous pourrions qualifier peut-être trop rapidement d’inaccessibles.
Là où l’approche purement scientifique voire matérialiste du monde oppose l’aspect probabiliste de la science moderne au déterminisme de la mécanique classique, une vision théologique du monde au fait de ces découvertes y verra la notion de liberté inscrite au coeur même de la nature et une porte ouverte à l’interaction de Dieu avec sa Création sans pour autant être obligé de rompre les lois naturelles mises en place.
La foi est honorée sans que la raison ne soit mise au rebut pour autant, et sans que l’une empiète sur le terrain de prédilection de l’autre ; la voie de l’équilibre ?
A suivre : Dieu et sa relation au temps…