Article 3 sur un total de 3 pour la série :

Scientifique et croyant ?


 

 

Dans deux articles récents j’ai recensé 3 raisons pour lesquelles certains s’étonnent qu’un scientifique puisse être croyant :

  1. Les scientifiques sont des gens qui ne croient que ce qu’ils voient. Que ce qu’ils peuvent démontrer par A plus B. Ce sont donc des gens qui ne peuvent pas avoir la foi.
  2. La science explique beaucoup de choses. On n’a pas besoin de Dieu pour les expliquer.
  3. La science contredit le récit de la Genèse.

Après avoir parlé de la première raison, puis de la deuxième, j’en viens finalement à la troisième : la science contredit-elle le récit de la Genèse ?

Si en effet on considère que le récit de la Genèse est historique, qu’il décrit des événements qui se sont bel et bien déroulés dans l’ordre relaté, le choc frontal avec, pour ne citer qu’elles, la cosmologie, la géologie, la biologie, la paléontologie, la glaciologie, autant de disciplines qui ne sont pas l’apanage d’abominables athées, est inévitable.

Voyons cela.

 

Genèse historique ?

Je suis devenu chrétien en 1993 tandis que je préparais ma thèse de doctorat en physique. Jamais la compatibilité entre la science et la Genèse ne m’a posé aucun problème. Pourquoi ?

Simplement parce que dès le début, il me semblait évident que la Genèse n’était pas un livre d’histoire ni de science. Jamais il ne m’a semblé inévitable de conférer une existence historique, réelle, à la présence de jours et de plantes avant la création du soleil, à la présence d’un arbre de la vie et d’un autre de la connaissance du bien et du mal, à un humain qui nomme en un seul jour de 24 heures tout le bétail, tous les oiseaux du ciel et tous les animaux sauvages (Gen 2.20), à un Dieu qui se promène dans son jardin en fin d’après-midi (Gen 3.8) et qui aurait fait pousser du sol des arbres agréables à voir (Gen 2.9) pour des êtres aveugles, puisque les yeux d’Adam et Eve ne s’ouvriraient que plus tard (Gen 3.7) si le texte était à prendre au premier degré. Pour moi, faire coller ce récit aux découvertes de la science revenait à se demander quel était le code postal du Bon Samaritain. L’important n’est pas là.

L’Eglise dont j’étais membre n’enseignait pas cette lecture et ce n’est que 15 ans plus tard, au moins, que j’ai appris à ma grande surprise que certains chrétiens considéraient que les premiers chapitres de la Genèse étaient du genre historique.

 

Sous influence ?

D’aucuns diront qu’une lecture non historique de la Genèse est en définitive dictée par l’air du temps. On pourrait en effet argumenter que si un lecteur du XXIe siècle ne prend pas la Genèse au pied de la lettre, c’est justement parce qu’on lui a dit depuis tout petit que le monde était vieux de milliards d’années. En d’autres termes, le lecteur moderne succomberait, consciemment ou non, à l’influence de la science moderne.

Je ne pense pas que l’argument soit valable, pour la bonne raison que la lecture « non littérale » n’est pas nouvelle.

Nombreux sont les auteurs anciens qui, par exemple, ne pensaient pas que tous les jours de la Genèse fussent de 24 heures. Citons notamment Justin Martyr (100-165), Irénée de Lyon (130-202), Cyprien de Carthage (200-258) ou bien Victorin de Pettau (250-304)[1].

Auraient-ils dit que le monde avait des milliards d’années ? Probablement pas. De la même manière qu’ils n’auraient pas dit que la terre tourne autour du soleil[2]. D’autres auteurs pensaient-ils que les jours de la Genèse étaient bel et bien de 24 heures ? Bien sûr que oui. Mais comme on le voit, une lecture « littérale » de la Genèse ne s’imposait pas à tous, même dans les premiers siècles de notre ère.

 

Conclusion

Je ne pense donc vraiment pas que la science et la Genèse s’opposent pour la bonne raison que je ne pense pas que la Genèse soit un livre d’histoire ou de science. En outre, l’insistance sur une Genèse historique soulève un autre problème : si l’univers a dans les 6000 ans, comme on peut en déduire d’une lecture « littérale », comment se fait-il qu’il n’en n’ait pas du tout l’air ? Que son âge apparent se compte en milliards et pas en milliers d’années[3] ? Dieu nous tromperait-il donc ?

Si j’ai déjà cité un certain nombre d’auteurs anciens, c’est à un autre encore que je laisse le mot de la fin : Origène, père de l’Eglise à cheval sur le deuxième et le troisième siècle, écrivait déjà il y a environ 1800 ans,

 

Quel homme sensé pensera qu’il y a eu un premier et un second jour, un soir et un matin, alors qu’il n’y avait ni soleil, ni lune, ni étoiles ? Et pareillement un premier jour sans un ciel ?

Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Éden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie ? Et de même que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre.

Si Dieu est représenté se promenant le soir dans le jardin et Adam se cachant sous l’arbre, on ne peut douter, je pense, que tout cela, exprimé dans une histoire qui semble s’être passée, mais ne s’est pas passée corporellement, indique de façon figurée certains mystères.

Origène, Traité des Principes 4.16, III siècle (traduction Crouzel et Simonetti, Cerf, 1980)

 

Sur le même sujet, voir également la vidéo de notre regretté Benoit Hébert :

 

 

 

 


Note

[1] On peut trouver un florilège de citations des pères de l’Eglise sur ce thème sur cette page, ou bien dans David Bercot, A Dictionary of Early Christian Beliefs, Hendrickson 1998, p. 189.

[2] Jusqu’à Copernic, le géocentrisme fit l’unanimité exception faite, peut-être, d’oiseaux rares comme Nicole Oresme au XIV siècle. Je tiens la chose de mon ami Pablo de Felipe qui termine une thèse de doctorat sur un sujet voisin.

[3] Rappelons qu’au vue des observations, cela ne fait plus aucun débat depuis au moins 100 ans.


3 Articles pour la série :

Scientifique et croyant ?