Article 3 sur un total de 4 pour la série :
Noé et le déluge : garder la foi sans perdre la raison ! ♥♥♥
Avec le récit des origines de l’humanité, le déluge de Noé est certainement l’histoire biblique la plus énigmatique pour le lecteur du 21ème siècle. Surtout, ce récit est l’enjeu d’une véritable controverse entre les partisans d’une lecture biblique littérale, et ceux (chrétiens ou non) qui souhaiteraient prendre en compte les données de l’archéologie et de la géologie.
Une chose est sûre. Le récit biblique relatant un déluge universel est en contradiction avec les données de la science, auxquelles d’ailleurs de nombreux chrétiens ont participé. Dans le cours universitaire de Denis Lamoureux sur le sujet que malheureusement nous n’aurons pas le temps de traduire tout de suite, nous voyons que l’histoire de la géologie au 19ème siècle a largement tournée autour de l’interprétation de ce texte, et que les géologues qui ont petit à petit pris conscience de l’invraisemblance d’un déluge universel étaient très souvent des chrétiens convaincus…
Heureusement, des théologiens et des scientifiques ont fait la synthèse des données bibliques, archéologiques, géologiques aujourd’hui disponibles. La réponse ne correspond peut-être pas à ce que beaucoup attendent, mais avec de la réflexion et du temps, elle est finalement l’issue logique de ce débat qui fait dialoguer la Bible et l’œuvre de Dieu: la nature.
Je précise à nouveau que cette façon de concevoir le texte biblique paraîtra anti-intuitive pour beaucoup de chrétiens. Il ne s’agit pas de remettre l’inspiration des Ecritures en cause, mais plutôt de respecter la façon dont il a plu à Dieu de communiquer avec l’homme dans l’histoire. Par ailleurs, s’il s’agit d’une nouveauté pour beaucoup, ces explications sont en réalité largement admises et devenues banales pour les spécialistes. Je n’invente pas le fil à couper le beurre!
La solution
La résolution de ce casse tête tient en un mot : il faut replacer ce récit dans son contexte culturel et historique.
Les chapitres 1 à 11 de la Genèse présentent une structure, un fonctionnement et une origine anciennes de l’univers et de la vie. Nous savons aujourd’hui comment les peuples anciens du Proche Orient voyaient le monde, y compris les hébreux, le peuple élu de Dieu. Certains chrétiens seront peut-être étonnés, mais on trouve cette construction du cosmos dans la Bible.
- Comprendre que les peuples du Proche Orient ancien avaient aussi leurs récits de « Noé », qu’ils s’appellent l’épopée de Atrahasis ou de Gilgamesh.
Ces récits antérieurs au récit biblique, découverts et déchiffrés par les archéologues au 19ème siècle présentent d’étranges similitudes dans les détails avec le récit biblique, ce qui n’a pas manqué de troubler beaucoup de croyants. Comme l’explique très bien ce professeur catholique dans la vidéo de l’introduction à cette série, le point important est que le récit biblique comporte des similitudes, mais aussi de grandes différences sur la nature des motivations de Dieu à provoquer le déluge, par opposition aux dieux babyloniens…Ces différences contiennent la vision d’un Dieu qui ne supporte pas le mal et non capricieux ou arbitraire, et c’est là que réside le message spirituel valable pour nous aujourd’hui.
Atrahasis et le déluge biblique, Gilgamesh et le déluge biblique
Une étude attentive du texte original nous montre que le récit du déluge est en réalité constitué de deux récits emboîtés, provenant de deux sources différentes appelées sacerdotale (P) et Yawhiste (J). Ceci se retrouve dans les 11 premiers chapitres de la Genèse.
Extrait du dernier article concernant la structure poétique en chiasme du récit
« Le Saint-Esprit n’a pas seulement inspiré le rédacteur du récit biblique de la Genèse d’intégrer les récits yavhiste (J) et sacerdotal (P), mais il a aussi utilisé un schéma poétique : un chiasme en Genèse 6-9. Cette technique littéraire ancienne apparaît souvent dans l’Ancien Testament. Elle est faite de deux parties : la première moitié est une image dans un miroir de la seconde, produisant ainsi une séquence inversée des idées et des mots.
A Noé et ses Fils Sem, Cham et Japhet (6 :9-10)
B Promesse du déluge et d’établir une alliance (12-18)
C Réserve de nourriture et des espèces vivantes (19-22)
D Ordre d’entrer dans l’arche (7 :1-3)
E 7 jours : attente du déluge (4-10)
F 40 jours : l’eau monte et l’arche flotte (11-17)
G 150 jours : les eaux montent (18-24)
CENTRE Dieu se souvient de Noé (8 :1)
G’ 150 jours : les eaux cessent de tomber (2-5)
F’ 40 jours : l’eau se retire et l’arche s’échoue (4-6)
E’ 7 jours : attente que la terre sèche (7-14)
D’ Ordre de quitter l’arche (15-22)
C’ Multiplication de la nourriture et de la vie (9 :1-7)
B’ Promesse de ne pas envoyer un nouveau déluge (8-17)
A’ Noé et ses Fils Sem, Cham et Japhet (18-19)
Ce qui frappe tout particulièrement dans ce chiasme, c’est l’utilisation symbolique des nombres de jours 7, 40 et 150. Le but du chiasme est de faire porter l’attention en son centre et sur le point central. Ici, Genèse 8 :1 souligne le message de foi suivant : « Dieu se souvient de Noé », dans sa colère, alors qu’Il juge l’humanité.
L’étude attentive du récit du déluge, la présence de deux sources et le cadre poétique de Genèse 6-9 vont à l’encontre de l’interprétation traditionnelle de ce déluge comme de l’histoire littérale. Les récits d’activité humaine ne contiennent pas de problèmes chronologiques et ne sont pas en conflits l’un avec l’autre. L’histoire réelle ne contient pas non plus de structure en chiasme. Le récit biblique du déluge lui-même nous montre l’échec du concordisme historique. »
« Comment pouvons-nous croire dans les enseignements théologiques et moraux de ce récit si nous rejetons son caractère historique puisque les leçons sont basées sur la supposition que le récit correspond à des faits historiques ?
La réponse est que nous lisons par-dessus l’épaule des Israélites auxquels ce récit s’adressait. Ils croyaient qu’il s’agissait de faits. C’était une croyance naïve, mais ils n’avaient aucune raison de remettre en doute l’historicité du récit. Nous devons nous rappeler que leur compréhension du monde était celle d’un petit enfant. Comme l’a dit le théologien conservateur Charles Hodge du Princeton Seminary, ils croyaient que le ciel était solide, que la terre était plate, et que le soleil traversait littéralement le ciel. Tout comme pour un déluge anthropologiquement universel, les mésopotamiens du second millénaire avant J.C. croyaient qu’il s’agissait d’un fait historique important, et cette tradition s’est très probablement transmise aux Israélites au travers des patriarches mésopotamiens, en commençant avec Abraham. »
Conclusion
« Il faut reconnaître que les récits bibliques doivent énormément aux récits mésopotamiens. Sur différents points, les équivalences entre les récits sont surprenantes: de part et d’autre, il est question d’une arche, d’une inondation, du salut d’une seule famille, de l’envoi d’oiseaux à la fin du déluge et d’une sacrifice final. Le « modèle » du récit biblique est donc, selon toute probabilité, un récit mésopotamien ou une tradition mésopotamienne, et non l’exact compte rendu d’une expérience vécue. Nous sommes donc à nouveau assez loin d’un « récit historique » au sens moderne du terme. par ailleurs, le récit biblique contient une profonde réflexion théologique. » (JL Ska p. 29)
Je sais que cette façon de comprendre le récit biblique n’est pas habituelle chez les évangéliques, et que cela suscite légitimement des objections et interrogations, en particulier en ce qui concerne le Nouveau Testament. Jesus lui même n’a-t-il pas fait mention du déluge de Noé comme universel? Et Pierre? Ne retrouve-t-on pas des récits analogues sur le globe, chez d’autres peuples?… Tout cela fera l’objet d’un troisième article.
En vidéo
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