Article 2 sur un total de 2 pour la série :
Réflexions à propos de l'article de George Murphy: Human Evolution in Theological Context
Nous publions la dernière partie des réflexions de Bruno Synnott à propos d’un article de George Murphy (théologien luthérien). Vous pouvez lire la première partie de l’article de Bruno Synnott ici.
Partie 3
Revenons dans la voie tracée par Irénée qui, disons-nous, s’harmonise davantage avec un modèle d’humanité « en régime de création »11. Bien sûr, l’humanité est marquée par des instincts et des programmations biologiques héritées du passé. Mais elle n’est pas nécessairement ou ontologiquement mauvaise pour cela, puisqu’elle est créée en « image de Dieu ». Que l’humanité émergente en Adam soit liée à un vieil héritage biologique, et bien que ces programmations biologiques valorisent la survie de l’espèce, la compétition, la défense du territoire, etc., l’humain est créé pour correspondre avec Dieu et être son représentant sur terre.
Il y a trois grandes manières de comprendre la notion d’ « image de Dieu » dans le récit de la Genèse. La première, suivant Augustin et Calvin, c’est une conception essentialiste. Pour Augustin, l’image de Dieu en l’homme, c’est son « âme rationnelle »12 parfaite et complète. C’est une substance spirituelle et immatérielle donné par grâce qui fut perdue ou corrompue par le péché originel13. On comprend dans la conception essentialiste que l’image de Dieu en l’homme est endommagée par le péché.
Pour d’autres, l’image de Dieu se trouve dans la capacité « relationnelle » de l’homme d’être en relation avec Dieu. Elle ne réside pas uniquement dans sa nature rationnelle et spirituelle, car qui sait si les animaux n’en sont pas pourvus à un degré moindre ? L’image se trouve dans la responsabilité relationnelle (Barth) de l’homme envers Dieu. C’est l’interprétation relationnelle de l’image.
Finalement, l’image de Dieu se comprend par la fonction assignée à l’homme d’être le représentant de Dieu sur terre (Genèse 1.28)14. Dans le contexte du POA, l’image de Dieu est une caractéristique royale. Les rois sont à l’image de Dieu, ils sont leurs représentants. Voilà que la Bible a démocratisé cette caractéristique royale à tous les hommes. Tous sont appelés à représenter Dieu (« vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs et une nation sainte » Ex 19.6) et à devenir de bon gérant de la création. C’est ainsi que l’image n’est pas une essence, ni uniquement une relation, mais une fonction.
Personnellement je crois que les trois catégories contiennent une part de vérité. Toutefois, l’erreur d’Augustin est d’avoir limité l’image de Dieu à un élément de nature; c’est d’avoir substantialiser l’image de Dieu dans l’âme. Dans l’anthropologie d’Irénée, développé bien avant Augustin et selon la tradition apostolique, l’image et la ressemblance sont deux choses distinctes. L’image représente la possibilité d’incarner la vie divine et le potentiel d’accéder à la vie véritable (« protological endowment15 »). La ressemblance représente la vocation eschatologique (« eschatological vocation16 ») de l’homme, alors qu’il progresse en consentant librement à la grâce.
La beauté de l’anthropologie d’Irénée est d’avoir éviter le dualisme et la conception négative de la chair. Pour lui, l’âme c’est tout l’être, y compris la chair. Il n’y a pas de dichotomie. Plus près de la position des premiers apôtres, Irénée ne pense pas que l’image de Dieu fût déformée par le péché, mais seulement la ressemblance. Les facultés telles que la volonté, l’intelligence, la mémoire ne sont pas atteintes par le péché. C’est seulement l’orientation de l’être, les pensées, la mission, la culture qui sont déviée par le péché.
Après le péché originel, Adam pouvait consentir à la grâce divine qui agissait en lui par l’action de l’Esprit. Certes, il demeurait captif du péché par ses gènes et la culture; il ne pouvait pas, par ses seuls moyens, s’en libérer ou suivre Dieu. Toutefois, être créé à l’image de Dieu impliquait que, peu importe l’influence de son héritage génétique et culturel, l’humanité pouvait toujours, soutenue par la grâce, coopérer à l’action de l’Esprit en vue de réaliser l’espérance du créateur. L’essence de cette coopération est synergique. Comme on le voit par exemple dans ce passage « Car nous sommes ouvriers (sunergos, d’où est tiré le mot synergie) avec Dieu » (1 Co 3.9). L’essence d’Adam, créé à l’image de Dieu, c’est d’être libre de consentir à la grâce qui est agissante depuis le ventre de la mère (Ps 71.5-6). C’est de ne pas être prisonnier de son héritage génétique.
Même si elle est caractérisée par le péché et la désobéissance, l’humanité en Adam a la possibilité, par la grâce divine, de tendre vers sa vocation initiale, qui est de représenter Dieu sur terre. Or cette possibilité balbutiante a été mis à mal par le péché, et il n’y avait aucun moyen que l’humanité y parvienne parfaitement. L’image parfaite de Dieu n’est pleinement réalisé que par le Fils de Dieu, celui dont Adam n’est que le « type » (Rom 5.16) et qui est le premier-né de toute la création (Col 1.15). En Jésus-Christ, l’image de Dieu a trouvé son accomplissement et sa réalisation. Elle fut pleinement manifestée, comme le souligne Murphy, par l’œuvre de la croix (Ph 2.8-9).
L’héritage génétique de l’homo sapiens n’a donc pu être une fatalité ayant conduit « inévitablement » à la dépravation totale calviniste, comme le laisserait sous-entendre Murphy dans son article. Les instincts comme l’agressivité ou la compétition sont des programmations essentielles à la survie de l’espèce humaine. Or c’est vrai, ces instincts et pulsions animales font de chacun de nous des participants de la vie en Adam, c’est-à-dire la « vieille humanité » qui se corrompt par les convoitises (Eph 4.22). Seulement, ces instincts et ces programmations héréditaires, sans être mauvais, sont appelés à être dépassés par le renouvellement de l’intelligence (Eph 4.23). Et c’est ce que dit Jésus de Nazareth au commencement de son ministère : « le Royaume de Dieu est proche. Repentez-vous17 » (litt. metanoeo = faire un retournement de l’intelligence vers le Royaume de Dieu (spirituel) qui vient).
La grâce d’Adam
Pourquoi le péché d’Adam n’a pas conduit à la rupture automatique de l’humanité avec Dieu et à son rejet par ce-dernier ? Pourquoi la grâce a continuer de chercher Adam (« Adam, où es-tu? ») et l’a couverte de peau, signe de sa grâce (Ge 3.21) ? La réponse est facile. Jésus est « mort » dès avant la fondation du monde pour le péché d’Adam et ceux de toute sa race. « Dès avant la création du monde, Dieu l’avait choisi pour cela, et il a paru, dans ces temps qui sont les derniers, pour agir en votre faveur. » (1 Pi 1.20). Jésus est mort pour « tous » ce qui inclus les premiers parents : « Car il a apaisé la colère de Dieu contre nous en s’offrant pour nos péchés – et pas seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. » (1 Jean 2.2). « Dieu s’est donné lui-même en rançon pour tous » (1 Tim 2.6).
Le sacrifice de Jésus ne sauve pas automatiquement, mais il permet à la grâce et au Saint-Esprit d’opérer dans les cœurs, afin que ceux et celles qui croient librement puissent être sauvés (Jean 3.16; 6.37). C’est ce qu’Irénée appel la « récapitulation » (Éph 1.10 : «nous faisant connaître le mystère de sa volonté… de réunir toutes choses en Christ ; (litt. anakephalaiomai, résumer, récapituler). Jésus a « réconcilié avec lui-même l’univers tout entier » (Col 1.20), la et s’il est l’Agneau de Dieu depuis la fondation du monde (Ap 13.8), il serait erroné de prétendre que la génétique humaine et la culture animale ont conduit inexorablement à un état de séparation totale dont Augustin, Calvin et Murphy accable l’humanité. J’oserais plutôt affirmer que malgré la génétique humaine et la culture animale, Dieu est quand même à l’œuvre depuis le début, et même depuis la fondation du monde. Sa grâce demeure présente et agissante dans l’émergence de l’humanité, au cœur du péché, afin de conserver l’humanité en image de Dieu, la guider et l’amener vers son accomplissement en Christ.
Conclusion
La chute n’est pas une tragédie qui a nécessité la venue de Christ. C’est peut-être le contraire : parce que Christ a été immolé dès avant la fondation du monde, Dieu a pu créer l’homme, usant de mécanismes temporaires, pour que l’homme accède à la vie spirituelle en lui. La chute, ou disons « les » chutes individuelles de tous et chacun, sont les conséquences inévitables de l’humanité adamique. Mais elles ne sont pas aussi fatales qu’on le présente dans la tradition latine. Les bébés ne sont ni corrompus ni coupable de naître. Oui tous sont pécheurs en Adam, cela caractérise la première humanité, l’humanité naturelle. Mais le péché n’est pas le mot de la fin dans le récit de la chute d’Adam et Ève; la nudité de nos premiers parents a été aussitôt recouverte de peau… Dieu s’est mis en quête d’Adam. Il a invité Caïn à changer son attitude.
Notes
11 Lire : Claude Tresmontant (1980) Problèmes du christianisme, Éd du Seuil, Paris, p. 143-151
13 Daniel Haynes (2011) the Transgression of Adam… St-Augustine and maximus the Confessor on the doctrine of original Sin, St-Vladimir’s Theological Quarterly 55, 3 (2011), p. 299
14 Voir l’excellent article de Wilner Cayo (2012) Dieu créa l’homme à son image, Le lien Été 2012, p. 4-8
15 Daniel Haynes (2011) the Transgression of Adam…, St-Vladimir’s Theological Quarterly 55, 3 (2011), p. 296
16 Idem, p. 296
17 Marc 1.15
2 Articles pour la série :
Réflexions à propos de l'article de George Murphy: Human Evolution in Theological Context
- Réflexions à propos de l’article de George Murphy: Human Evolution in Theological Context (1/2)
- Réflexions à propos de l’article de George Murphy: Human Evolution in Theological Context (2)