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Et le péché originel dans tout ça?


Il y a plusieurs points chauds en ce moment situés à la frontière des sciences et de la théologie. La question de l’historicité d’Adam en est une. Il y a la question de l’entrée du mal dans le monde. Je pense également à la doctrine du péché originel (P.O.) élaborée par Augustin. Nous devons faire l’effort de repenser les Écritures par-delà les paradigmes scientifiques et philosophiques maintenant dépassés, et les réexaminer à la lumière des récents développements en herméneutique (art d’interpréter) et en science.

Ce n’est pas dire que tout ce qui a été écrit par nos pères spirituels est désuet, au contraire ! Il est essentiel de plonger nos racines théologiques chez les Pères de l’église et dans nos traditions de foi. Mais notre compréhension de l’Écriture doit aussi continuer à s’enrichir, notamment par les nouvelles connaissances en exégèse, et par les nouvelles découvertes de la science moderne. Je suis convaincu qu’il n’est pas juste d’emprisonner les Écritures dans des systèmes herméneutiques anciens et d’en faire des absolus. Seule la Parole de Dieu est pleinement inspirée et fait autorité en matière de foi. Notre compréhension des Écritures, elle, peut se renouveler et sous l’apport des nouvelles réalités scientifiques.

Un des présupposés universels chez les chrétiens est qu’il y a deux types de Révélations. D’abord il y a le livre de la création – la nature – que la science aide à rendre intelligible. Puis il y a la révélation spéciale – la Bible – qui nous révèle la pensée de Dieu et les mystères insondables inaccessibles à la seule raison. Elle pointe entièrement vers la personne de Jésus-Christ en qui se trouve tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col 2.2,9).

Le principe de mes réflexions repose sur la fondation que Dieu est « Créateur » et « Rédempteur ». Plus encore, en ce que Dieu se fait homme et assume pleinement l’existence créé pour la conduire à sa plénitude, la vie éternelle. La science et la Bible sont ainsi deux formidables leviers pour notre foi et notre raison. C’est pourquoi il demeure essentiel que la théologie et science continuent à communiquer, sans se cloisonner dans des tours d’ivoire. Certes, il y a des tensions inévitables, la peur de confondre les genres, le sentiment de compétition vécu par les deux champs de connaissances depuis Galilée. Régulièrement les églises furent assaillies de nouveaux outils de déconstruction et je comprends la prudence des théologiens. Des savants comme Darwin, Freud, Einstein, Lemaître ont ébranlé certaines des vieilles alliances théologico-scientifiques. Mais tout ne concoure-t-il pas au bien de ceux qui aiment Dieu ? « l’univers, la vie, la mort, le présent ou l’avenir. Tout est à vous, » dit Paul (1 Co 3.22)

Athanase Sage a admettait en 1968 que « l’exégèse augustinienne est de nos jours particulièrement contestée »[1] notamment sur Rom 5.12-20 et Rm 7.13-24. Or, la doctrine du P.O. est particulièrement délicate à contester parce qu’elle est étroitement liée avec la doctrine de la grâce, si chère à notre foi. De fait, signalons deux choses : je ne remets pas en question la primauté de la grâce divine dans le salut, même si parfois je déplore le monergisme[2]. Je ne conteste pas que tous soient pécheurs, seulement que le péché originel soit un péché de nature (peccatum naturale) qui transmettrait, par hérédité aux enfants dès avant leur naissance : la corruption (concupiscence) et la culpabilité juridique. Faisant d’eux, de nature, des ennemis de Dieu et, par nature, des êtres inclinés au mal.

Il est urgent de se pencher sur le contexte dans lequel a été élaboré cette doctrine fortement teinté de manichéisme sur laquelle nous allons revenir. On ne peut plus naïvement croire qu’Augustin, du seul fait qu’il a magistralement saisi l’importance de la grâce dans le plan du salut, ait eu raison de faire du mal une quasi-nature affectant tous ses descendants, les rendant aussi passifs que des cadavres. C’est pourquoi il faut faire l’effort de déconstruire le dogme augustinien, en comprendre les influences philosophiques et scientifiques, et finalement débusquer les erreurs herméneutique qui furent reprises en grande partie par Calvin.

 

Nous savons que la doctrine du péché originelle a été élaboré sous l’influence des thématiques manichéennes qui spécule sur des questions tels que: d’où vient le mal ? Qui étions-nous ? Que sommes-nous devenus ? Augustin a été initié aux textes de Saint-Paul par les disciples de Mani, une secte gnostique dualiste. Ceux-ci était très près des écrits de Paul qu’ils croyaient inspirés, et ils affectionnaient les versets qui ont une apparence dualiste du genre : « De toute votre pensée, tendez vers les réalités d’en haut, et non vers celles qui appartiennent à la terre » (Col 3.2). Ils associaient la terre et tout le monde matériel et créé au mal. Ils rejetaient ainsi rejetait tout l’Ancien testament et le Dieu créateur mauvais.

 

Augustin a fait partie de cette secte entre l’âge de 20 à 29 ans, et aucun ne doute de la profonde influence qu’à exercé ce cadre gnostique sur la pensée du théologien. « Tu ne te laveras donc jamais des mystères de Manis » lui rétorquait son célèbre opposant Julien d’Ecclane. Nous connaissons aussi l’influence de la philosophie néo-platonicienne sur l’auteur du péché originel. Celle-ci l’aida à conceptualiser la notion du mal comme ce qui a « plus d’être » (Dieu) vers ce qui a « moins d’être », le néant. C’est ainsi qu’Augustin, selon le modèle des degrés d’être de Plotin, a pu concevoir Adam comme un être parfait et sa chute comme une glissade irrémédiable vers le néant.

 

Nous réaliserons bientôt qu’en amont de notre vision traditionnel d’Adam hérité d’Augustin se trouve l’influence de la pensée dualiste grecque doublée d’une herméneutique littérale et concordiste du récit de la Genèse. Ce cadre interprétatif n’était absolument pas celui des auteurs de la Genèse ! La question qui demeure est celle-ci: chercherons-nous à adapter cette vieille dogmatique dépassée à notre contexte actuel? Ou chercherons-nous à retrouver le sens des textes de la Genèse, en tenant compte des avancés exégétiques, historiques et scientifiques, pour que ces textes fassent du sens chez nos contemporains ?

 

 

Notes

[1] Athanase Sage (1968) Le péché originel dans la pensée de St-Augustin de 412-418, p. 81

[2] Le monergisme (de monos = un seul et ergon = travail) affirme que seul Dieu est à l’œuvre dans le salut des hommes. Ce dernier demeure totalement passif dans le plan rédempteur de Dieu. On retrouve cette vision chez les réformés baptistes.


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