Les trous incomblés dans la connaissance scientifique sont-ils des preuves de l’existence de Dieu ?

par | 8 Sep 2013

En résumé


Sky in keyhole

Chaque champ de la science a des questions sans réponses et des failles dans sa compréhension de certains phénomènes. Typiquement, les scientifiques les voient comme des questions ouvertes à la recherche.

D’autres parfois argumentent en disant que si la science ne peut pas expliquer comment quelque chose arrive alors Dieu doit en être l’explication. On dit de ces arguments qu’ils sont ceux du « Dieu bouche trou». Le problème de ces arguments est que la science continue toujours à se développer. Si les vides de la connaissance scientifique fondent la croyance en Dieu, alors à mesure que les scientifiques comblent les trous, la preuve de l’existence de Dieu disparaît. Le Dieu de la Bible, toutefois, est bien plus qu’un Dieu bouche-trou.

Les chrétiens croient que Dieu est toujours à l’œuvre dans le monde naturel  dans ce que la science laisse sans réponse autant que dans ce qu’elle explique.

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En détail


Définition du Dieu bouche-trou

Les arguments du Dieu bouche-trou utilisent les brèches dans la connaissance scientifique comme des indicateurs voire des preuves de l’action de Dieu et par conséquent de son existence. De tels arguments remplacent les causes naturelles et scientifiques par des actes divins pour rendre compte des phénomènes que la science ne peut pas encore expliquer. Ce qui est supposé, c’est que si la science ne peut pas expliquer comment un phénomène est arrivé, alors Dieu doit en être l’explication. Cette posture est dangereuse en ce qu’elle ne prend pas en compte les futures découvertes de la connaissance scientifique. Avec l’avancement continu de la science, les explications du Dieu bouche-trou sont souvent remplacées par des mécanismes naturels. Par conséquent, quand de tels arguments sont utilisés comme des outils apologétiques, la recherche scientifique peut être posée par opposition à la croyance en Dieu, et ce non nécessairement[i]. Le mouvement récent du Dessein Intelligent (Intelligent Design : ID) met en lumière ce problème. Certains arguments de l’ID, comme la complexité irréductible de l’œil humain ou le flagelle bactérien sont rapidement  sapés par les nouvelles découvertes scientifiques.

Illustration du Dieu bouche-trou

La célèbre histoire d’Isaac Newton et de Pierre Simon de Laplace est un exemple classique du Dieu bouche-trou. Newton a conçu une équation mathématique pour la force de la gravité qu’il utilisait pour expliquer et prédire les mouvements des planètes avec une exactitude remarquable. Avec un crayon et du papier, l’orbite des planètes autour du soleil pouvait être calculée avec une grande précision. Mais les planètes ont aussi des interactions gravitationnelles les unes avec les autres, pas seulement avec le soleil. Par exemple, quand la Terre dépasse Mars dans son orbite autour du soleil, il y a une interaction gravitationnelle entre les deux planètes ; petite, certes, mais significative. Parce que ces petites interactions interplanétaires arrivent souvent – plusieurs fois par an dans beaucoup de cas – Newton soupçonnait que ces perturbations gravitationnelles s’accumuleraient et dérangeraient doucement l’ordre magnifique du système solaire. Pour contrebalancer ces forces perturbatriceset d’autres encore, Newton a suggéré que Dieu devait nécessairement intervenir occasionnellement pour réaccorder le système solaire et restaurer son ordre. Ainsi, les actions spéciales périodiques de Dieu étaient nécessaires pour rendre compte de la stabilité durable du système solaire.

Newton pensait aussi que Dieu était nécessaire pour expliquer comment les planètes tournaient autour du soleil dans la même direction et dans le même plan. Sa théorie de la gravité était entièrement compatible avec les mouvements planétaires dans quelque direction que ce soit et avec des orbites orientées à quelque angle que ce soit vers le soleil. Or ce n’est pas ce que nous observons. Les planètes vont dans la même direction, et presque toutes les orbites sont dans le même plan. Les planètes tournent autour du soleil comme des coureurs dans leur couloir ; de façon très ordonnée. Newton pensait que seul Dieu pouvait avoir préparé le cosmos de manière si élégante :

« Les six planètes principales font leurs révolutions autour du Soleil dans des cercles qui lui sont concentriques, elles sont toujours à peu près dans le même plan, et leurs mouvements ont la même direction. […] Tous ces mouvements réguliers n’ont point de causes mécaniques ; puisque les comètes se meuvent dans des orbes fort excentriques, et dans toutes les parties du ciel. […] Cet admirable arrangement du Soleil, des planètes et des comètes, ne peut être que l’ouvrage d’un être tout puissant et intelligent. »[ii]

Dans ces deux exemples – le premier concernant le mouvement continu des planètes et le second, l’origine des mouvements – Newton emploie des raisonnements du Dieu bouche-trou dignes d’un manuel. Les théories scientifiques sont proposées pour expliquer autant de choses que possible, puis Dieu est utilisé pour recouvrir toute faille qui demeure dans l’explication.

Nous savons aujourd’hui que Newton avait tort dans les deux cas. Les perturbations gravitationnelles que les planètes expérimentent sont si équilibrées que leur moyenne est de zéro à travers le temps. Le résultat net est que les mouvements planétaires sont stables, ils ne se détériorent pas dans le temps. C’est une application directe de la théorie de Newton qui l’a révélé. Il n’avait simplement pas fait tous les calculs pour vérifier si son intuition était correcte. Il en va de même pour les mouvements ordonnés des planètes. Newton n’avait aucun concept qui permettait de penser la façon dont des systèmes solaires pouvaient se former seuls ou qui permettait de penser des mouvements planétaires à l’intérieur de systèmes formés naturellement. L’astronomie n’était pas encore assez développée. Dans les décennies qui ont suivi Newton, des astronomes ont découvert que les systèmes solaires sont naturellement formés à partir de nuages moléculaires rotatifs. Un grand nuage, tournant doucement, s’effondre sous le poids de sa propre gravité, puis tend à s’aplatir en une sorte de crêpe. Les anneaux de Saturne sont un exemple intéressant d’où les nuages sont encore présents. La matière se rassemble en particules dans le plan du disque. Une fois le processus complet, une série de particules voyagent dans la même direction et dans le même plan – tout comme notre système solaire.

De tels épisodes dans l’histoire des sciences ne sont pas inhabituels. En fait ils sont si ordinaires que l’expression Dieu bouche-trou est devenue l’étiquette du fait d’invoquer Dieu pour rendre compte de phénomènes naturels qui ne sont pas expliqués par la science. Les dangers de tels raisonnements ont été soulignés un siècle après Newton par le mathématicien Pierre Simon de Laplace qui travaillait dans l’administration de Napoléon Bonaparte. Laplace était l’héritier d’un siècle remarquable par ses progrès dans l’ajustement et l’extension des lois de Newton sur le mouvement et dans l’expansion de la vision de ce qu’il se passait dans l’espace. Il fut ainsi capable d’écrire un long texte expliquant la mécanique céleste sans faire appel à l’intervention divine.

La légende raconte que Laplace a été questionné par Napoléon à propos de l’absence de Dieu dans sa théorie :

« M. Laplace, on me dit que vous avez écrit ce gros livre sur le système de l’univers, et que vous n’avez  jamais mentionné son créateur. »

A cela, Laplace répond :

« Je n’avais pas besoin de cette hypothèse. »

Bien sûr, Dieu peut toujours être utilisé comme hypothèse pour l’existence de l’univers. Mais parce que Newton a utilisé une déficience dans une explication scientifique comme argument pour l’existence de Dieu, la théorie de Laplace a porté un coup qui n’était pas nécessaire à l’apologétique de ce temps. C’est là qu’est le danger : si les failles dans la connaissance scientifique sont utilisées comme des arguments pour l’existence de Dieu, que se passe-t-il si la science avance et comble ces brèches explicatives ?

Des indicateurs de Dieu : l’ajustement fin et la loi morale.

Dans les chapitres premier et troisième de The Language of God (ouvrage en français : de la génétique Dieu), Dr. Francis Collins parle d’indicateurs vers Dieu qui ont joué un rôle dans son cheminement vers la foi. L’un de ces indicateurs est l’ajustement fin de l’univers. L’ajustement fin réfère à la façon dont les lois de base de la physique sont délicatement équilibrées pour permettre la vie. Cette précision demande une explication que la science ne peut pas donner. Il existe une controverse très vive sur la signification de l’ajustement fin, et certains critiques disent qu’invoquer Dieu comme ajusteur fin est un retour au concept du Dieu bouche-trou. Mais il semble n’y avoir aucune façon d’expliquer les propriétés détaillées des lois de la nature de l’intérieur de la science. Les arguments de l’ajustement fin vont au-delà de la science jusque dans la métaphysique pour expliquer pourquoi le monde que la science étudie a les propriétés qu’il a. Un autre indicateur que Collins mentionne, à la suite de C.S.Lewis, est la loi morale. La loi morale est une norme éthique implicite et universelle pour l’humanité. Collins décrit la moralité comme une loi universelle qui, à la différence de lois comme celle de la gravité, est souvent transgressée. Par-dessus tout, la loi morale est cohérente avec le type de comportement attendu des produits de l’évolution. Pourtant, comme Collins le souligne, le comportement altruiste semble souvent aller au-delà de ce qui serait attendu des processus établis de l’évolution darwinienne[iii]. Des modèles mathématiques développés par des théoriciens comme Martin Nowak[iv] ont établi que la sélection naturelle peut produire des gènes pour l’altruisme, mais le sacrifice de soi radical de grands saints comme Mère Thérésa de Calcutta semblent aller au-delà de ce dont les modèles peuvent rendre compte. Un compte rendu complètement naturel de nos origines est peut-être insuffisant pour expliquer les observations présentes du comportement humain. Pourtant, si la psychologie évolutive pouvait expliquer la morale humaine, ou si la physique théorique pouvait expliquer les constantes parfaites de la nature, l’apologétique déiste serait-elle discréditée ?

Ajustement fin

A la différence des arguments du Dieu bouche-trou, l’argument de l’ajustement fin utilise la science sans l’action divine pour révéler la précision impeccable de l’univers[v]. L’ajustement fin est décrit en termes de constantes physiques et des conditions initiales de notre univers. Il n’essaie pas d’attirer l’attention sur l’endroit où la science échoue, mais met plutôt en valeur le fait que la science a révélé l’équilibre complexe de l’univers.

Une réponse possible est que la science pourrait potentiellement expliquer les origines de ces équilibres délicats des caractères de la nature, mais gardons deux choses à l’esprit. D’abord, il est très improbable qu’une théorie scientifique puisse expliquer les improbabilités de notre univers sans soulever d’autres improbabilités[vi]. Ensuite, un argument d’ajustement fin n’est pas comme un argument du Dieu bouche-trou, en ce qu’il ne cherche pas à prouver l’existence de Dieu. Alors qu’il est vrai que l’ajustement fin de l’univers ajoute de la crédibilité à la croyance en un créateur, des trouvailles scientifiques si récentes ne peuvent pas être les bases ou la justification de la longue histoire d’une croyance en Dieu. Alors que l’ajustement fin de l’univers amène effectivement beaucoup de gens à envisager la possibilité de l’existence de Dieu, le fait que la science ne puisse pas réfuter l’existence de Dieu nous assure aussi qu’elle ne peut pas la prouver. Au lieu de cela, l’ajustement fin peut être compris comme un caractère de l’univers qui s’accorde avec la croyance en un créateur. Une explication plus profonde de ces caractères – bien que très improbable – ne ruinerait pas son rôle possible d’indicateur de Dieu.

La loi morale

L’évolution de la loi morale dans le temps suggère que le monde a été créé par un Dieu bon et aimant. Cela demeure vrai quand bien même la science trouverait finalement moyen de rendre compte de la moralité. Même si une explication purement naturelle du développement moral pouvait être trouvée, le simple fait que la moralité a évolué est quelque chose qui serait attendu dans un monde créé par un Dieu juste et aimant.

La théorie évolutive explique l’égoïsme d’une façon évidente et naturelle. L’altruisme est bien moins évident, mais il peut aussi être expliqué en reconnaissant que les humains ont évolué dans des tribus qui étaient surtout des familles étendues avec beaucoup de gènes en commun. Imaginez deux tribus, l’une a des gènes qui permettent de s’aider l’un l’autre même quand cela demande un sacrifice, et l’autre ne les a pas. Quelle tribu se développera ? De cette manière, les gènes pour l’altruisme peuvent être sélectionnés par la nature et distribués dans la population. Mais dans sa forme la plus radicale, l’altruisme réfère à des situations où les individus risquent leur vie pour aider quelqu’un qu’ils ne connaissent même pas, et de qui un bénéfice réciproque n’est pas attendu voir inimaginable. Ce concept va à l’encontre du comportement attendu des processus établis par l’évolution, et il n’y a pas de théorie qui fasse consensus qui puisse rendre compte totalement de tels exemples. Certains ont suggéré que l’altruisme radical était peut-être un raté, nous irions par erreur trop loin dans notre désir d’être gentil. L’altruisme radical est pour le moment encore mystérieux.

Comme dans de nombreuses situations, la science donnera peut-être un jour une explication à l’altruisme. A la lumière de cette possibilité, l’argument de la loi morale comme indicateur de Dieu est sujet au même risque que l’explication du Dieu bouche-trou de Newton en tant qu’inconsistance dans la théorie de l’évolution. Pourtant, Robert Wright répond dans Non-ZeroThe logic of Human Destiny, que l’évolution de l’altruisme peut être expliquée comme une application de la théorie des jeux. Du point de vue de Wright, le profond mystère n’est pas l’altruisme en soi, mais la structure mathématique de l’univers, comme théorie des jeux[vii], qui peut sortir de l’univers des comportements surprenants comme l’altruisme.

Conclusion

Si les trous de la connaissance scientifique sont les bases de la croyance en Dieu, alors à mesure que la science progresse, les preuves de l’existence de Dieu diminuent continuellement. L’ajustement fin ne repose pas sur l’action divine comme explication, mais souligne la précision étonnante de l’ordre de la nature ainsi que de ce qui est demandé à la vie humaine, établissant alors une connexion mystérieuse entre la physique et la biologie. Quant à la loi morale, son utilisation en tant qu’indicateur de Dieu peut être comprise dans le fait que le comportement humain a évolué d’une façon cohérente avec l’idée d’un créateur bon et aimant. La croyance en une vérité morale repose sur la supposition de l’existence de Dieu ou d’une autre norme absolue.

Finalement, bien que ces indicateurs de Dieu doivent nous encourager à envisager l’existence de Dieu, ils ne doivent pas être posés comme le fondement de la foi. La croyance en un créateur et l’expérience d’une relation avec Dieu ne devrait pas seulement reposer sur une justification logique ou scientifique. Mais, comme Collins se le demandait, « Comment de telles croyances sont-elles possibles pour un scientifique ? Beaucoup de revendications de la religion ne sont-elles pas incompatibles avec l’attitude du « montrez-moi les données » de celui qui est dévoué à l’étude de la chimie, de la physique, de la biologie, ou de la médecine ? »[viii]

Notes


[i] Francis S. Collins, The Language of God: A Scientist Presents Evidence for Belief (New York: Free Press, 2006), p.93

[ii] Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, livre III, « Scholie général », trad. Fr. de la Marquise du Chastellet, Paris, Albert Blanchard, 1966

[iii] Collins, The Language of God: A Scientist Presents Evidence for Belief, p.25

[iv] Martin Nowak, Evolutionary dynamics, Harvard University press, 2006.

[v] John Polkinghorne, « The Science and Religion Debate – an Introduction, » Faraday Papers, no. 1 (2007), www.faraday-institute.org

[vi] Ibid.

[vii] Robert Wright, Non-Zero : The Logic of Human Destiny, Vintage books, 2001.

[viii] Collins, The Language of God: A Scientist Presents Evidence for Belief, p.31.

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