Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres 

(Jésus : Jean 8:32)

 

Le travail du théologien présente certaines similitudes avec celui de l’historien. Dans un cas comme dans l’autre, il faut « faire parler » les matériaux dont on dispose, à travers toute une série d’authentifications, de datations, de comparaisons, de contextualisation, de recoupements, de vérifications et d’analyses diverses.

Dans le cas du théologien, le travail portera en priorité sur le texte lui-même qui, aussi bien pour l’Ancien que pour le Nouveau Testament, ne peut se limiter à l’une ou l’autre version française. Car, comme le dit le célèbre adage italien : « Tradittore, traditore » (Traduire, c’est trahir). Chaque version en langue actuelle, est le reflet d’une seule lecture biblique : celle qui a reçu les faveurs du ou des traducteurs. Heureusement, les versions « sérieuses » – je ne parle pas des fantaisies sectaires – proposent un texte relativement consensuel, car aucun traducteur ne voudrait voir sa crédibilité scientifique compromise par un travail bâclé ou incohérent.

En passant d’une version à l’autre – protestante ou catholique, libérale ou évangélique – on remarque toutefois, qu’en fonction de leurs convictions particulières, les traducteurs s’orientent vers le choix d’expressions, de formulations et de vocables différents, tout en demeurant « techniquement » légitimes sur le plan linguistique. Les lecteurs exigeants de la Bible auront également remarqué que les versions dites « d’étude » proposent souvent l’une ou l’autre variante textuelle en notes de bas de page. Il faut savoir que ces quelques variantes ne sont que les plus significatives parmi les milliers contenues dans les manuscrits originaux, comme en témoignent les éditions complètes de la Bible hébraïque et du texte grec du Nouveau Testament.

Quelle que soit la qualité de nos versions modernes de la Bible, le théologien ne peut donc faire l’impasse sur ces multiples variantes textuelles, en vue de discerner celles qui s’avèrent les plus cohérentes avec l’ensemble de la révélation biblique – s’il est évangélique – ou pour mettre en valeur les variantes qui pourraient mettre à mal la doctrine « officielle », s’il conteste l’autorité de l’Église ou l’inspiration divine de la Bible.

À tout cela, s’ajoute un travail qui identifie encore davantage le théologien à l’historien, travail qui consiste à recouper les sources ; à savoir, celles qui se trouvent dans la Bible comparées à celles qui lui sont extérieures. Nous ne parlons pas seulement de la traduction des textes bibliques dans certaines langues de l’Antiquité : elles sont déjà inclues dans les variantes textuelles dont nous venons de parler. Nous envisageons plutôt la comparaison des récits bibliques avec les annales des pays voisins d’Israël ou du Moyen-Orient en général ; ou encore, la comparaison d’éléments culturels, d’artéfacts divers mis à jour par l’archéologie, etc. Autant d’éléments qui font appels à des technologies modernes toujours plus pointues, et qui conduisent toujours à une meilleure compréhension des textes bibliques ; qui, dans tous les cas, permet d’éviter de lire ces textes avec nos yeux d’occidentaux vivant au XXIème siècle.

De tout cela, il ressort que toute bonne théologie s’inscrit dans une démarche essentiellement dynamique. Certes, en ce domaine comme en beaucoup d’autres, il existe des fondamentaux intangibles, des éléments de la foi qui ne peuvent être mis en cause sans provoquer l’effondrement de tout l’édifice. Mais on ne peut les confondre avec les poncifs d’une tradition largement influencée par la patristique, les conciles et les philosophies classiques. Dès lors, plusieurs aspects des textes restent ouverts à une lecture plus proche de l’intention des rédacteurs et à une meilleure inculturation de la révélation biblique au sein de la pensée contemporaine… Deux démarches qu’on ne peut négliger sans prendre le risque de réduire la Bible à un document obsolète, incapable à trouver un écho suffisant ou à éveiller une réelle émotion dans le cœur de nos concitoyens.

Mon père était officier ; j’ai donc été élevé dans un milieu plutôt « martial ». – C’était l’époque où les enfants devaient se taire à table en écoutant sagement les « grandes personnes ». – Si bien qu’en partageant ces quelques réflexions, il me revient des propos entendus autour de la table familiale entre collègues ayant intégré l’armée américaine jusqu’à sa jonction avec les Russes en Tchécoslovaquie. Il y était question de la stratégie des vieux généraux pétainistes qui avaient cru bon de continuer à fortifier la Ligne Maginot, en un temps ou le général De Gaule – alors colonel – s’efforçait de convaincre ses supérieurs d’une évidence : à savoir que la prochaine guerre allait être une guerre de mouvement, propices aux blindés et à l’aviation, et non plus une guerre de tranchées et de positions comme celle de 14-18. On connaît aujourd’hui les dégâts imputables à ce manque de vision et d’imagination militaire.

Il n’est pas ici question de faire l’apologie de la guerre ou d’encourager la modernisation de nos armées ! Je veux seulement dire que certains de nos collègues – théologiens, pasteurs et responsables d’églises – me paraissent perpétuer la même erreur que celle des vieux généraux de l’entre-deux guerre. Leurs efforts portent sur le renforcement des positions doctrinales acquises par leurs prédécesseurs, en établissant un rempart de tranchées et de fortifications sensées les protéger contre les attaques de leurs adversaires… Or, cela fait déjà un bail que ceux-ci ont traversé leurs lignes de défense et qu’ils se trouvent désormais dans leur dos. Je veux parler du libéralisme théologique, de l’athéisme rampant, du relativisme intellectuel sans parler du matérialisme qui inonde l’esprit de nos jeunes gens en même temps que celui de la société occidentale toute entière. À tout cela, les arguments proposés par une approche littérale traditionnelle des textes bibliques ne peuvent plus proposer de réponses adéquates et suffisantes.

Certes l’essentiel de la foi chrétienne n’est pas à remettre en cause. Mais lorsque certains points secondaires sont mis en question – et surtout quand ils le sont à juste titre – il arrive de façon quasi systématique que nos contemporains soient tentés de « jeter le bébé avec l’eau du bain »… Et pas seulement les non-croyants, d’ailleurs, mais aussi des croyants encore trop jeunes dans la foi pour résister au chant des sirènes. Voilà donc pourquoi je plaide pour une théologie dynamique, ouverte, et courageuse – voire imaginative – aux dépens d’une théologie réactionnaire et timorée, même si l’essentiel de cette dernière se doit d’être préservé avec le plus grand soin.

 

Roger Lefèbvre, pasteur