Big Bang : ce que l’on sait, ce que l’on soupçonne, ce qu’on ne sait pas

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Comme nous l’avons déjà expliqué sur ce site, la théorie de Big Bang n’offre pas de réponse à une question qui revient souvent dans l’apologétique chrétienne : « l’univers a-t-il eu un commencement, oui ou non ? »

Je voudrais expliquer ici le plus clairement possible ce que l’on sait, ce que l’on soupçonne, et ce que l’on ne sait pas, au sujet du Big Bang.

R Big Bang : Ce que l’on sait

L’univers est en expansion. Ça, ça s’observe. Si l’on passe le film à l’envers, sa densité et sa température augmentent. Tant que les lois de la physique que nous connaissons fonctionnent, c’est à dire qu’elles ne sortent pas de leur zone de validité, on peut en déduire pas mal de phénomènes observables aujourd’hui, et observés[1]. On peut ainsi représenter schématiquement l’évolution temporelle de la distance entre 2 points de l’espace (courbe en rouge),

Dans le film de l’univers passé à l’envers, le cosmos atteint à un moment donné, il y a environ 14 milliards d’années, un état si dense et chaud que l’on ne peut plus dire grand-chose, ou presque (voir point suivant), car les lois que nous connaissons cessent de décrire correctement la réalité. Avant ce moment, la Relativité Générale (RG) se heurte en effet au « mur de Planck » : que lui arrive-t-il quand elle doit jouer avec la Mécanique Quantique (MQ) ?  Personne ne le sait. Ainsi donc, si la RG offre une solution qui certes atteint 0, on sait bien qu’elle n’est pas valable quand elle dit « 0 ».

 Big Bang : Ce que l’on soupçonne

On soupçonne fortement qu’avant la phase rouge s’est déroulée une phase d’inflation cosmique. Une phase de très, très, très courte durée, pendant laquelle l’univers aurait enflé vertigineusement.

Pourquoi soupçonne « fortement » ? Parce que l’analyse du fond diffus cosmologique colle très bien avec ce que cette phase inflationnaire devrait avoir provoqué. Pourquoi seulement des « soupçons » ? Parce qu’au jour d’aujourd’hui, le moteur de cette inflation reste inconnu au bataillon.

Nous complèterons donc ainsi notre graphe, avec en vert la phase inflationnaire

Notons que cette phase inflationnaire n’amène toujours pas à 0 la distance entre 2 points, car elle se heurte elle aussi au mur de Planck[2].

t Big Bang : Ce que l’on ne sait pas

Avant cette phase inflationnaire, c’est l’inconnu presque total. Inconnu, car l’exploration de cette époque exige de savoir comment la Relativité Générale et la Mécanique Quantique jouent ensemble, ce que personne ne sait. Pourquoi « presque » ? Parce que les candidates au titre de Gravité Quantique ne manquent pas[3], chacune apportant sa version de l’univers pré-inflationnaire. À ce jour, aucune n’a pu être testée par l’expérience ou l’observation. Elles sont donc toutes aussi spéculatives les unes que les autres. En conséquence, les visions qu’elles offrent de l’univers pré-inflationnaire sont toutes aussi spéculatives les unes que les autres.

Nous complèterons donc ainsi notre graphe, avec en bleu pointillé les 2 principales options[4]

Comme on le voit, certaines mènent bel et bien à un commencement, avec une distance entre 2 points qui arrive bel et bien à 0 (et un temps qui « commence »)[5]. C’est ce scenario que Stephen Hawking présenta dans son ouvrage Une brève histoire du temps.

D’autres scenarios donnent un rebond, un « Big Bounce », avec un univers antérieur qui se contracte puis rebondit comme une balle de tennis, pour donner ensuite le nôtre. Bien que ces scenarios soient moins connus, ils sont actuellement l’objet d’intenses recherches, comme en témoignent ces milliers d’articles récents sur le sujet, dans des revues à comité de lecture.

Répétons-le, ces scenarios bleus sont tous aussi spéculatifs les uns que les autres.

Alors, c’était quand le Big Bang ?

Pour Max Tegmark, grand manitou du MIT, le Big Bang semble se situer après l’inflation[6]. C’est du moins ce qu’il écrit dans son ouvrage Notre univers mathématique.

Pour d’autres auteurs, le Big Bang semble se situer avant l’inflation[7].

Pour d’autres encore, le Big Bang semble se confondre avec cet hypothétique instant 0, que la partie connue de l’histoire n’atteint pourtant pas.

« Semble », « du moins dans cet ouvrage », pourquoi tant de précautions dans mes lignes ? Parce que les scientifiques ne sont pas très précis sur « c’était quand le Big Bang », et la presse grand public encore moins.

Alors, c’était quand le Big Bang ? En fait, on s’en fiche un peu. Et c’est bien pour cela que les scientifiques ne sont pas très précis sur ce point. L’important est d’avoir les grandes lignes au clair. Après cela, au début de la phase rouge, ou de la verte, ou de la bleue qui a un commencement (celle de Hawking), c’est comme vous voulez, et ça ne change rien du tout aux 14 milliards d’années évoquées plus haut.

Le « Big Bang » a finalement plus à voir avec l’histoire que je viens de raconter, qu’avec un moment précis.

Pour aller plus loin sur le Big Bang

Jean-Philippe Uzan, Directeur de Recherche à l’Institut d’Astrophysique de Paris, a écrit en 2017 un remarquable état des lieux sur le Big Bang. Évidemment, c’est en anglais et assez technique. On retrouvera la progression vers l’inconnu décrite ici, dans la figure 2 de son texte.

En vidéo

Notes

[1] Abondances des éléments légers, fond diffus cosmologique parfaitement planckien, oscillations acoustiques de baryons, etc. Pour plus d’infos, voir cet article qui les détaille, ou bien simplement la page Wikipédia de chacun de ces observables.

[2] Pour les intimes : c’est pour cela que n’en déplaise à nombre d’apologistes chrétiens, le théorème BGV n’est pas conclusif quant à la question d’un commencement.

[3] La théorie des cordes et la gravité quantique à boucles sont les 2 principales candidates. Mais il y en a bien d’autres. Voir la diapo que Carlo Rovelli montre à la minute 9:40 de cette conférence.

[4] Voir cette présentation de Sean Carroll pour plus d’options.

[5] Une autre spéculation propose même un univers avec un commencement, le nôtre, avec « avant » lui, un « anti-univers », dans lequel le temps passe à l’envers !

[6] “Ainsi, l’ère de l’inflation qui a donné naissance à notre Big Bang s’est achevée il y a 14 milliards d’années…”. Max Tegmark, Notre Univers Mathématique, Dunod, 2014, p. 142,

[7] Première phrase de l’introduction: “The origins of matter and radiation lie in the Hot Big Bang which terminates inflation…”