Lydia Jaeger, directrice des études de l’Institut Biblique de Nogent a dirigé un ouvrage auquel ont contribué  : Henri Blocher, Sébastien Fath, Marc Godinot, Lydia Jaeger, Janet Johnson, Alain Lombet, Matthieu Richelle, Jean-Marc Sergent, Pascal Touzet et Jonathan Vaughan. De la Genèse au génome, Perspectives bibliques et scientifiques sur l’évolution

Présentation de l’éditeur

Cent cinquante ans après la parution de L’origine des espèces, le rapport entre théorie de l’évolution et visions religieuses du monde continue à susciter des débats animés. Certains rejettent les thèses darwiniennes au nom de la foi, d’autres y trouvent un fondement à leur athéisme. Loin des raccourcis médiatiques, ce livre cherche à dresser un bilan aussi dépassionné que possible : Quelles sont les données scientifiques qui appuient aujourd’hui la théorie de l’évolution ? Quelles sont les questions qui restent encore ouvertes ? Comment les idées darwiniennes ont-elles été effectivement reçues ? Quels sont les véritables enjeux théologiques de l’évolution ? Dans une réelle ouverture pluridisciplinaire, le présent ouvrage fournit de précieux repères exégétiques, scientifiques, historiques et théologiques. Outre deux études dogmatiques qui discutent l’enjeu de l’évolution pour la foi ou la non foi en Dieu, le champ couvert va des textes bibliques de la Genèse et du Psaume 104, en passant par la génétique moléculaire, les fossiles, l’évolution des espèces domestiques et l’évolution transposée à l’informatique, jusqu’à la présentation de la réception du darwinisme au sein du mouvement évangélique français et de l’Intelligent Design. »

Mon avis (Benoît Hébert)

Cet ouvrage marque une étape qui restera dans l’histoire des rapports parfois difficiles entre les évangéliques et la science, l’évolution en particulier. Il scelle le fait qu’il existe au sein du monde évangélique français une communauté de théologiens et de chercheurs pour qui l’évolution est une réalité acceptée, et désireuse de réfléchir aux défis théologiques qu’elle suscite inévitablement.

Cet ouvrage est courageux sous bien des aspects. Il n’est pas si facile de sortir un ouvrage dont le but est de montrer qu’au fond, l’évolution et l’ « évangélisme » sont amenés à faire bon ménage, si l’on ne veut pas que la foi évangélique soit déconnectée de la réalité. Mon expérience personnelle me montre que ce sujet déchaîne très vite les passions et les blocages chez un certain nombre de croyants. Les chrétiens évangéliques français instruits qui acceptent l’évolution ont maintenant dépassé une « masse critique » qui leur permet de peser et de s’autoriser à poser collectivement certaines questions, voire à remettre certaines interprétations traditionnelles en question sans être accusés d’ « hérésie ». Toutefois mon sentiment à la lecture de cet ouvrage est que l’on marche parfois sur des œufs en matière théologique. Je m’en expliquerai après avoir dit tout le bien que je pense du livre.

La partie interprétation de Genèse 1 développée par Matthieu Richelle et la partie apologétique ainsi que l’introduction de Lydia Jaeger ont principalement retenu mon attention. La partie scientifique est de qualité, mais ce sont des informations que l’on peut trouver partout, certains chrétiens seront simplement rassurés par le fait que ce soit des scientifiques chrétiens qui les leurs présentent (bien entendu, il faut lire l’excellent chapitre de Pascal Touzet, généticien et cofondateur du site www.scienceetfoi.com )

L’introduction du livre :

Destinée à cadrer le débat et à rassurer les croyants (inquiets ?), cette introduction remplit sa fonction. D’emblée Lydia Jaeger annonce que le réseau de scientifiques évangéliques désire faire face,  il « n’a pas voulu esquiver le débat », bien que celui –ci « reste vif  tant parmi le grand public qu’au sein des églises ».

Ce livre n’ « aborde pas (à part quelques remarques éparses) l’origine de l’humanité. Celle–ci mérite une réflexion approfondie qui ne pouvait être menée de front avec le balisage du terrain sur la problématique plus générale de l’interprétation du début de la Genèse et de la théorie biologique de l’évolution. Notre projet est de consacrer en 2012 notre journée d’études à la question de l’homme… ».

Il ne faut donc pas chercher dans ce livre la réponse aux questions les plus délicates concernant Adam et Eve, le péché originel, l’entrée de la mort dans le monde…

Voici quelques précautions destinées à maintenir l’unité des évangéliques malgré les divergences d’opinion : « Le réseau des scientifiques d’inscrit dans la diversité interne du mouvement évangélique. Nous sommes bien sûr conscients des attitudes différentes qui existent parmi les évangéliques quant au darwinisme. Nous accueillons avec bonheur cette diversité en notre sein, car nous nous savons unis dans notre foi au Dieu créateur et dans notre intérêt passionné pour la science. » Tout à fait d’accord pour dire que la méthode divine de création ne devrait en aucun cas susciter de division au sein du peuple de Dieu pour lequel le Christ a donné son sang ! Mais de là à croire que tout le monde évangélique est passionné pour la science…

Etre chrétien et croire que Dieu a choisi de créer par un mécanisme évolutif n’est pas croire que l’évolution apporte des solutions à toutes les questions fondamentales : « L’œuvre collective ici présentée cherche donc aussi à offrir les armes nécessaires pour résister au terrorisme intellectuel de nombres d’idéologues qui brandissent l’évolution comme une explication exhaustive du monde. Lorsque l’évolution est appelée à répondre à la question du sens et de la destinée de la vie, lorsqu’on lui demande d’établir les catégories du bien et du mal, on quitte la science pour entrer dans le scientisme. » Une telle affirmation fera l’unanimité parmi les chrétiens !

Le premier chapitre de la Genèse lu dans le contexte du Proche-Orient ancien.

Le titre donné par Matthieu Richelle s’inscrit dans la même volonté de replacer Genèse 1 dans son contexte que le dernier ouvrage de John Walton « Le monde perdu de Genèse 1 ». Il serait trop long de commenter en détail l’excellent exposé de Matthieu Richelle. En gros, il reprend la démarche de l’interprétation littéraire dont Henri Blocher a fait la promotion dans « La révélation des origines »  (la structure en 2 groupes de 3 jours parallèles) et il y ajoute ce qui manquait à mon sens dans ce dernier ouvrage, une comparaison de Genèse 1 avec les mythes babyloniens : Enuma Elish, les cosmogonies égyptiennes…Il a le courage de remettre en cause le fait que Genèse 1 décrirait une création ex-nihilo, et nous l’avons suivi sur ce terrain (cette vérité est bien entendu enseignée ailleurs dans les Ecritures). En montrant les similarités de thème et en insistant sur les différence entre le texte biblique et les mythes païens, Matthieu Richelle réussit à nous montrer en peu de pages que l’intention du texte est tout sauf scientifique, et que toutes les démarches concordistes échouent et son hors sujet.

Il y a toutefois un point central sur lequel il est très frileux, et je crois comprendre pourquoi : il ne reconnaît pas que le deuxième jour, Dieu crée le FIRMAMENT, un dôme SOLIDE séparant les eaux d’en–haut des eaux d’en bas. Il avait envisagé très timidement cette possibilité oralement lors de sa prestation, mais il a reculé dans son texte !!! Il a donc choisi une traduction qui ne fait pas mention de ce firmament : « Et Dieu dit : qu’il y ait une ETENDUE au milieu des eaux ! » Pourtant, comme nous l’avons déjà dit sur ce site et comme nous continuerons de l’affirmer parce que c’est faire justice au texte biblique : la Genèse et tout l’Ancien Testament (et même le Nouveau) ont été écrit avec UNE ANCIENNE COMPREHENSION DU COSMOS, DE LA GEOGRAPHIE ET DE LA BIOLOGIE. John Walton le reconnaît dans son dernier livre (le monde perdu de Genèse 1), et cet auteur est tout sauf un auteur libéral. John Walton cite explicitement l’ouvrage de Denis Lamoureux (Evolutionary creation) comme référence sur cette question. De plus en plus de théologiens évangéliques franchissent le pas : Paul Seely, Pete Enns… Alors pourquoi refuser de reconnaître que le SAINT ESPRIT S’EST ABAISSE au niveau des connaissances scientifiques des auteurs sans les modifier mais en s’en servant ??? La réponse est certainement que cette option va clairement à l’encontre d’une conception de l’inerrance biblique qui s’étendrait aux affirmations d’ordre scientifique. Ainsi, je suppose que Matthieu Richelle n’ose pas franchir le pas. Tout ce que beaucoup sont prêts à concéder, c’est qu’il y a là un langage des apparences mais qu’il ne s’agit pas là des conceptions « scientifiques » de l’auteur inspiré. Je l’ai moi aussi cru pendant longtemps, mais cette option ne résiste pas à l’analyse du texte et aux connaissances que l’on a à propos de la vision du cosmos des peuples anciens.

De toute façon, ce n’est que reculer pour mieux sauter des problèmes très épineux sont en perspective. L’auteur de Genèse 2 est-il le même que Genèse 1 ? La mort physique est-elle entrée dans le monde par un homme, Adam ? Qu’en est-il du péché originel ? Comment s’est-il propagé à l’autre bout de la planète ? Pourquoi Paul croyait il que Dieu avait fait toutes les nations par un seul homme ? Si on poursuit plus loin dans Genèse 1-11, doit-on croire que des hommes ont vécu plusieurs centaines d’années ? Doit-on croire au déluge universel tel qu’il est décrit ? A la tour de Babel et à l’origine des langues… ? Je suis un peu déçu de cette hésitation à propos du firmament et j’espère que les questions difficiles comme le concordisme scientifique seront abordées clairement par le RSE.

En conclusion, je retiens que Lydia Jaeger semble prête à affronter de telles questions dans le cadre du réseau puisqu’elle écrit :

« Mais la difficulté de principe persiste : il n’existe aucune datation convaincante de surgissement de l’homo theologicus ; aucun saut dans les découvertes et archéologiques ne se prête facilement à être identifiée avec l’apparition d’Adam. La situation se trouve compliquée par le fait que la théologie chrétienne a traditionnellement fait dériver toute l’humanité d’un seul couple. Bien qu’aucun texte biblique ne l’affirme explicitement, plusieurs le suggèrent (Gen 2 :30 ; Ac 17 :26). Chez Paul, notre statut « en Adam » revêt une importance théologique singulière…les données génétiques semblent pourtant interdire un tel scénario…Le problème est encore aggravé par la doctrine du péché originel, indispensable à la cohérence de la foi biblique. C’est une originalité du récit biblique des origines de distinguer nettement origine de l’être et origine du mal… »

Il est courageux d’oser poser le problème. Pourra-t-on répondre à ces questions sans clairement renoncer au concordisme ? Ma confrontation de tous les points de vue chez les meilleurs théologiens me fait pressentir que non !

Benoît Hébert