Article 38 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


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Dans le dernier billet de cette série, nous sommes finalement arrivés aux origines de notre propre espèce, Homo sapiens. D’après les données fossiles les plus anciennes que l’on connaisse, nous savons que les humains anatomiquement modernes étaient présents en Afrique il y a environ 200 000 ans. A partir de là, notre espèce a commencé à s’étendre en Asie et en Europe il y a environ 100 000 ans, et de façon plus significative il y a environ 50 000 ans. Ce faisant, nous avons suivi puis rencontré d’autres espèces Homo qui avaient quitté l’Afrique avant nous. Parmi ces groupes, on trouve Néanderthal et Denisovan, ainsi que Homo erectus, qui a aussi quitté l’Afrique comme nous l’avons vu, qui s’est très largement dispersé en Asie et qui comprend les populations en Indonésie qui ont fondé les découvertes séminales d’Eugène Dubois. Néanderthal et Denisovan partagent une population ancestrale commune remontant à 400 000 ans, bien que l’on ne sache pas encore tout à fait clairement si leur population ancestrale commune a quitté l’Afrique ou si leurs lignages se sont séparés en Afrique et que les deux groupes ont ensuite migré de façon indépendante. En ce qui concerne Homo erectus, les fossiles établissent que cette espèce était largement dispersée en Asie il y a 1,8 millions d’années.

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Relations hominiennes et dates approximatives de séparation des lignages conduisant à Néanderthal, Denisovan et les humains modernes. (400 KYA = il y a 400 000 ans)

C’est à cette époque que nous atteignons un moment dans l’évolution humain dont de nombreux évangéliques ont au moins entendu parler : le dernier ancêtre féminin commun à tous les humains modernes, connue sous le nom de « Eve mitochondriale » et son équivalent mâle, notre dernier ancêtre commun masculin, connu sous le nom de « Adam Y-chromosomique ».

Eve mitochondriale et Adam Y-chromosomique : ancêtres communs mais non uniques

Attendez une minute, me direz-vous : n’y a-t-il pas des preuves suffisamment fortes indiquant que les humains modernes descendent d’une population qui a toujours contenu au moins environ 10 000 individus (et en tant que telle, fait l’objet d’une considération théologique significative) ? Comment se fait-il alors que tous les humains puissent partager une seule femme et un seul homme comme ancêtres communs ? On peut répondre rapidement en disant que tous les humains partagent effectivement un homme et une femme comme ancêtres communs, mais que ces ancêtres ne sont pas nos seuls et uniques ancêtres. Ils viennent tous les deux plutôt d’une population d’environ 100 000 individus ; nous en examinerons les preuves (ainsi que les questions théologiques qui en émanent) dans un prochain billet.

Pour comprendre comment les humains peuvent avoir un seul ancêtre matrilinéaire et patrilinéaire à l’intérieur d’une population génétiquement diversifiée, il nous faut faire un excursus en génétique, et étudier plus particulièrement la façon dont certaines formes d’ADN sont héritées. Comme nous l’avons déjà vu, nos mitochondries portent leur propre petit chromosome, vestige du temps où elles étaient des bactéries libres. Chez les humains, les mitochondries ne sont transmises que par la mère à l’enfant ; le sperme ne donne pas de mitochondries à l’œuf fertilisé. Il en résulte que l’ADN est transmis par le lignage maternel seulement, contrairement à l’ADN des chromosomes réguliers, qui se transmet par les lignages maternel et paternel. Le patron de transmission de l’ADN mitochondrial spécifiquement maternel se prête à certaines variantes qui « prennent le pouvoir » sur une population, ce que nous pouvons illustrer par un arbre généalogique ou pedigree. (A propos des symboles du pedigree : les cercles représentent les femelles, les carrés, les mâles ; une ligne horizontale les reliant représente leur accouplement ; une ligne verticale à partir d’un accouplement est reliée à la progéniture de cet accouplement) .

Dans le pedigree ci-dessous, nous pouvons voir une famille étendue qui montre la transmission de trois variantes mitochondriales (reconnaissables à leurs différentes couleurs). Par souci de lisibilité du schéma, les lignes pointillées indiquent des accouplements qui relient un membre d’un côté et de l’autre du schéma. Comme nous pouvons le voir, la variante « Mito 3 » rouge a pris le pouvoir sur ou « balayé » cette population. Tous les individus des générations les plus récentes de cette famille ont pour ancêtre commun, du point de vue de leurs mitochondries, la femme en haut à droite :

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Si nous utilisons le même pedigree, traçons des variantes hypothétiques du chromosome Y. Les chromosomes Y sont évidemment transmis du père au fils, ce qui donne lieu à un patron spécifiquement paternel de transmission. Ce patron, comme le patron spécifiquement maternel de la transmission mitochondriale, peut aussi conduire à certaines variantes et facilement balayer une population. Supposons que cette même famille a aussi trois variantes de chromosome Y chez les générations les plus anciennes :

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Dans ce cas, la variante du “chromosome Y 1” balaie la population, et chaque individu mâle des générations récentes a pour dernier ancêtre commun l’homme surligné en jaune.

Maintenant que nous avons identifié un ancêtre commun matrilinéaire et un ancêtre commun patrilinéaire des générations les plus récentes de ce pedigree, nous pouvons montrer qu’ils ne sont pas leurs uniques ancêtres. « eve » mitochondriale et « adam » Y-chromosomique de cette famille viennent d’une population plus large, et nous pouvons le montrer aisément en regardant une variation présente sur l’ADN chromosomique régulier, c’est-à-dire du genre de ce qui a été transmis par les lignages à la fois maternel et paternel.

Revenons au même pedigree, mais pour illustrer la variation de l’ADN du chromosome régulier avec différentes couleurs. Il est beaucoup plus difficile pour cette variation de balayer une population, parce que cette variation peut être transmise par les mâles et les femelles :

 

 

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Contrairement aux patrons de l’ADN des mitochondries et du chromosome Y, nous voyons une diversité de la variation de l’ADN de chromosome transmis par les générations les plus anciennes aux plus jeunes. Par exemple, voyez la première génération du couple du milieu. Si leur variation de la mitochondrie et du chromosome Y a été perdue dans cette population, la variation chromosomique du mâle (représentée par la ligne bleue) a été transmise jusqu’à aujourd’hui sans problème. En tant que tel, nous avons une « trace » de lui comme ancêtre de la population, même une fois que sa variation de chromosome Y a été perdue. De même, voyez la première génération de la femme du couple de gauche. Bien que sa variation mitochondriale ait été perdue, sa variation des chromosomes (représentée par la ligne rouge) a été transmise. Le total de variation génétique des chromosomes réguliers est donc un outil pour déterminer de combien d’ancêtres cette population était constituée.

C’est cette variation de l’ADN des chromosomes réguliers qui indique que cette population n’a pas traversé une réduction drastique de la population dans un passé récent, et que, même si on peut désigner des ancêtres communs récents pour l’ADN des mitochondries et des chromosomes Y, ces ancêtres communs viennent d’une population génétiquement diversifiée. C’est également le cas pour notre propre lignage : nous aussi avons un ancêtre matrilinéaire commun de nos mitochondries (« Eve mitochondriale »), ainsi qu’un ancêtre patrilinéaire commun pour l’ADN du chromosome Y (« Adam Y-chromosomique »). La diversité de notre ADN des chromosomes réguliers, cependant, nous montre que ces individus faisaient partie d’une grande population, génétiquement diversifiée. Comme pour l’exemple avec lequel nous avons travaillé, nous le savons à cause de la diversité de l’ADN des chromosomes réguliers que nous trouvons dans les populations humaines modernes.

Alors pourquoi tant d’ébullition autour de ces deux individus ? En de nombreuses manières, la réaction est excessive. Ces individus sont notables pour la seule raison qu’ils sont les derniers ancêtres communs d’une toute petite partie de nos génomes (l’ADN mitochondrial et celui du chromosome Y). S’il s’agit d’un fait intéressant, ils n’étaient pas remarquablement différents des autres individus de leur population. Si les scientifiques ne les avaient pas appelés par des noms faisant allusion à l’histoire biblique, ils seraient probablement peu connus par les chrétiens.

A quelle époque vivaient Eve mitochondriale et Adam Y-chromosomique ?

Les estimations actuelles situent Eve mitochondriale peu après l’époque où Homo sapiens serait apparu selon les données fossiles, c’est-à-dire il y a environ 180 000 ans, ce qui fait d’elle un membre de notre espèce. Jusqu’à récemment, on situait Adam Y-chromosomique plus tard, il y a environ 50 000 ans, à l’époque où une migration significative partant d’Afrique aurait eu lieu. Récemment cependant, une variante rare de chromosome Y a été découverte chez les humains modernes, ce qui repousse l’ancêtre commun le plus ancien de tout l’ADN du chromosome Y humain à il y a environ 210 000 ans, c’est-à-dire exactement au moment où notre espèce est apparue d’après les données fossiles. Puisque notre espèce est une population continue qui est survenue en divergeant progressivement des autres hominiens, il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que notre variation d’ADN ait un seul ancêtre commun (ou pour utiliser le terme technique, qu’ils soient coalescents). En effet, on ne trouve pas de coalescence pour certaines de nos variations de chromosomes à l’intérieur de notre espèce, ni même en remontant à la population ancestrale commune que nous partageons avec les chimpanzés. Comme nous l’avons déjà vu, « espèce » est un terme commode que les biologistes utilisent pour essayer de tracer une frontière là où il n’y a qu’un changement progressif – et biologiquement parlant, notre espèce ne fait pas exception.

Dans le prochain billet, nous explorerons plus avant les frontières floues de notre propre espèce dans notre voyage hors d’Afrique avec certains de nos ancêtres, ainsi que dans nos rencontres d’autres hominiens.

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