Article 1 sur un total de 4 pour la série :

« Et Dieu vit que cela était bon » : la mort et la douleur dans l’ordre créé


 

Cet article est issu de la base mise en ligne par l’ASA (American Scientific Affiliation, une association qui rassemble plus de 2000 scientifiques chrétiens américains).
Traduit avec autorisation par Hélène Mayhew pour Science & Foi.

l’article original est consultable ici.

 

Résumé de la série

Dans le récit de la Genèse comme dans d’autres passages, les Écritures proclament l’amour et l’attention que Dieu porte à la création, ainsi que la gloire et la louange qui lui reviennent. Cependant, cette création, que les Écritures décrivent comme bonne et objet de la sollicitude de Dieu, contient aussi la mort et la douleur comme partie intégrante et même vitale. Plusieurs approches se sont développées pour élaborer une théodicée de l’existence de ce « mal naturel » dans l’ordre de la création. Celles qui considèrent la mort et la douleur dans la création non humaine comme une conséquence de la chute de l’homme ou de l’ange sont des approches difficiles à concilier à la fois avec le témoignage des Écritures et de la nature. D’autres conceptions apportent un éclairage plus utile et mettent l’accent sur l’ « abnégation » de Dieu et le caractère « cruciforme » de la création (renvoyant à la crucifixion). Mais ce que nous recherchons véritablement, c’est une explication pertinente à l’échelle individuelle de la vie d’une créature. De ce point de vue, une théodicée telle que celle énoncée par John Hick autour de la notion de « développement de l’âme » semble fournir un cadre interprétatif nous permettant de comprendre l’épanouissement de la vie animale dans un monde en proie à la souffrance et à l’épreuve.

 

À Madame le Professeur pour défendre l’honneur de mon chat et pas seulement

 

Mon vaillant assistant, un petit tigre

Dort gentiment sur mon bureau, à côté de l’ordinateur,

Sans savoir que vous insultez sa tribu.

 

Les chats jouent avec une souris ou une taupe à moitié morte.

Cependant, vous vous trompez : ce n’est pas par cruauté.

Ils aiment tout bonnement ce qui bouge.

 

Car, après tout, nous savons que seule la conscience

Peut un instant s’ouvrir à l’Autre,

Compatir à la douleur et la terreur d’une souris.

 

Et ainsi que sont les chats, est faite toute la Nature.

Indifférente, hélas, au bien et au mal.

Un vrai problème pour nous, je le crains.

 

L’histoire naturelle a ses musées,

Mais pourquoi nos enfants devraient-ils entendre parler de monstres,

D’une terre de serpents et reptiles vieille de millions d’années ?

 

Nature dévorante, nature dévorée,

Une boucherie jour et nuit fumante de sang.

Et qui l’a créée ? Était-ce le bon Dieu ?

 

Oui, à n’en pas douter, ils sont innocents,

Araignées, mantes, requins, pythons.

Nous sommes les seuls à dire : cruauté.

 

Notre clairvoyance et notre conscience

Seules dans la pâle fourmilière des galaxies

Placent leur espoir dans un Dieu humain.

 

Qui ne peut que sentir et penser,

Qui s’allie à nous par sa chaleur et son mouvement,

Car nous sommes, il nous l’a dit, semblables à Lui.

 

Mais s’il en est ainsi, alors il prend pitié

De chaque souris mutilée, de chaque oiseau blessé.

Alors l’univers est pour lui comme une Crucifixion.

 

Telle est la conséquence de votre attaque sur le chat :

Une grimace théologique, augustinienne,

Qui rend difficile notre marche sur cette terre.

 

Czeslaw Milosz[i]

 

Le problème posé

D’une manière poignante et profonde, le poème ci-dessus reflète l’essence du problème théologique que posent la mort, la douleur et la souffrance dans le monde de la nature – en d’autres termes, tout ce qui se rapporte au « mal naturel ». Comme nous le verrons, ce poème pourrait aussi rejoindre une partie de la réponse chrétienne à ce sujet.

Je suis devenu convaincu que la question du « mal naturel » est l’une des raisons principales pour lesquelles de nombreux chrétiens sont réfractaires à l’idée d’une création ancienne évolutive. Le « mal naturel » constitue aussi très souvent le motif premier de ceux, qui, à l’instar de Darwin, rejettent l’idée d’un Dieu personnel et compatissant. La question de la théodicée semble ainsi conduire non seulement les personnes de confession chrétienne à repousser les conclusions de la science moderne, mais aussi les membres de la communauté scientifique à ne pas prendre au sérieux les affirmations de la foi chrétienne. L’enjeu est de taille, non parce que son issue est décisive pour asseoir la validité de la foi chrétienne, mais parce que cette question constitue inutilement une pierre d’achoppement qui entrave l’engagement productif, et de la science, et de la foi.

La tension entre, d’un côté, notre compréhension du caractère de Dieu tel qu’il est révélé dans la Bible et, de l’autre, la réalité du monde naturel a été au centre de nombreux débats théologiques et philosophiques dans l’église chrétienne depuis le premier siècle. Cet article a pour objet d’examiner, avec un esprit critique, plusieurs des solutions avancées à ce problème, à partir du point de vue d’un géologue, paléontologue et chrétien évangélique orthodoxe.

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Le problème théologique relatif à la mort et à la douleur découle de plusieurs affirmations énoncées :

(1) Les Écritures louent constamment la bonté absolue de Dieu et la bonté même de sa création. En outre, elles proclament l’amour et l’attention que Dieu porte à la création, et la gloire et la louange qui lui reviennent.

(2) Les Écritures reconnaissent un Dieu transcendant, omnipotent en terme de pouvoir, mais également immanent dans la création. L’œuvre créatrice de Dieu n’est pas seulement présentée comme confinée à des événements relégués à l’origine des temps, mais comme une réalité présente et continue. Dieu soutient la création à chaque instant et demeure créativement actif. Cette interprétation de la relation que Dieu noue avec la création a fort bien été développée par Jürgen Moltmann[ii].

(3) À ces différents attributs reconnus à Dieu semble s’opposer le constat que nous faisons de la mort, de la douleur et de la souffrance qui sont autant d’aspects omniprésents et même pleinement intégrés à la création qui nous entoure.

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Le conflit apparent entre, d’un côté, la bonté de Dieu et, de l’autre, l’existence de la douleur et de la souffrance prend une acuité toute particulière lorsque nous prenons en considération la création non humaine[iii]. Comment rendre intelligible la réalité de la mort et de la souffrance des animaux dans le cadre d’une théologie qui affirme la toute-puissance et la bonté de Dieu ? C. S. Lewis nous présente avec force les enjeux de cette question dans son ouvrage Le problème de la souffrance.

Le problème de la souffrance animale est terrifiant, non pas du fait que les animaux sont extrêmement nombreux (…), mais parce que l’explication chrétienne de la souffrance humaine ne peut s’étendre à la souffrance animale. À notre connaissance, les bêtes sont incapables soit de péché soit de vertu, donc ne peuvent ni mériter la souffrance ni devenir meilleures en la subissant.[iv]

Parce que la question de la souffrance animale a une incidence directe sur notre interprétation de la bonté de la création, je porterai l’essentiel de mon attention sur les solutions à apporter à ce problème, tel que Lewis le pose.

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Comment donc concilier la bonté d’un Dieu immanent et actif dans la création avec la réalité de la mort, de la douleur et de la souffrance inscrites dans la création ?

Deux conceptions alternatives semblent prévaloir pour répondre à ce dilemme[v].

(1) Le mal naturel peut être attribué à un facteur indépendant de Dieu et agir contre sa volonté. Cette conception menace le pouvoir et la liberté de Dieu.

(2) Le mal naturel peut être considéré comme partie intégrante du bon dessein de Dieu pour la création ; il serait soit voulu, soit admis par lui. Une telle position semble mettre en cause la bonté de Dieu et l’amour qu’il porte à ses créatures. La tension entre ces deux alternatives et les efforts pour contourner leurs conséquences théologiques négatives rejaillissent sur bien des solutions proposées au problème.

 

A suivre…

 


Notes

[i] Traduction française de la version anglaise de Robet Hass. Extrait d’un recueil de poésie, ce poème fait partie d’une des deux œuvres de Czeslaw Milosz mentionnées par Michael Ignatieff dans son article « The Art of Witness », New York Review of Books (23 mars 1995). Je remercie Carol Regehr d’avoir attiré mon attention sur ce travail.

[ii] Moltmann attribue à la « création continuée » cet aspect de l’activité créatrice de Dieu dans l’histoire. Jürgen Moltmann, God in Creation, Minneapolis, MN : Fortress Press, 1993, 206-14.

[iii] Je ne vais pas ici aborder la question de l’intensité de la douleur ressentie par les animaux. Ce sujet est examiné par Robert Wennberg dans « Animal Suffering and the Problem of Evil » (Christian Scholar’s Review 21, 1991 : 120-40). Il me semble évident que, pour de nombreux animaux, la douleur et la souffrance sont une expérience consciente très réelle.

[iv] C. S. Lewis, The Problem of Pain, New York : Macmillan Publishing, 1962, 129 (Trad. de Marguerite Faguer : Le problème de la souffrance).

[v] Comme l’affirme John Hick dans Evil and the God of Love (New York : HarperCollins Publishers, 1977), « Toute conception qui soutient la bonté parfaite de Dieu doit soit abandonner l’idée de puissance et de liberté divines absolues, soit considérer qu’en définitive le mal existe dans le bon plan de Dieu » (pp. 149-50).

 

 

crédit illustration : https://fr.123rf.com/profile_Gudella


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