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Dieu regarda tout ce qu’il avait fait, et il constata que c’était très bon.
Dans le récit de création du premier chapitre de la Genèse, il est affirmé de manière répétée que la création est bonne, que Dieu la voit bonne même très bonne. Comment concilier cette affirmation de création bonne avec l’existence de la souffrance que nous expérimentons tous et dont le monde vivant n’est pas exempt, ce qu’on appelle le « mal naturel » ? Avant de réfléchir sur cette question du mal naturel, je proposerai d’inscrire cette réflexion dans le cadre suivant :
- Est bon ce qui fonctionne conformément à ce que pour quoi il a été créé et qui ultimement rend gloire à son auteur. Ainsi la création est bonne dans la régularité de son fonctionnement, quand on considère les êtres vivants dans leur capacité à se reproduire et à s’adapter à un environnement changeant, conformément à l’injonction « multipliez-vous et remplissez la terre ».
- Le fonctionnement de la Nature tel que nous l’observons aujourd’hui est celui créé par Dieu, la finitude des êtres vivants (la mort), les différents maillons de la chaine alimentaire, les relations de proie-prédateur par exemple font partie de cette création bonne. Elles ne peuvent être le résultat de la désobéissance de l’humanité, car elles existaient bien avant l’arrivée de la lignée humaine. La création est affirmée bonne par le psalmiste ou l’auteur de Job qui considèrent le fonctionnement de la Nature telle que nous la connaissons aujourd’hui comme œuvre à la gloire de Dieu.
- Enfin la réflexion que je propose est celle d’un biologiste. Je vais donc partir de ce que la science nous dit du fonctionnement du vivant pour aborder cette question du mal naturel.
Cette expression « mal naturel » pourrait sous-entendre une dimension éthique, de comportement injuste de la Nature. Mais si on fait référence à la définition de « bon » que je viens de donner, le mal naturel peut alors être compris comme dysfonctionnement de la Nature.
Qu’en est-il alors? Est-ce que la création est bonne ou non ?
Le mal naturel – un focus sur les maladies humaines[1]
Pour que la vie puisse se développer et les espèces s’adapter à un environnement changeant, qu’il soit physique (conditions climatiques par exemple) mais aussi biotique (interaction entre les espèces), il faut qu’il y ait de la diversité génétique au sein des populations d’une même espèce. Sans diversité génétique pas de possibilité d’adaptation. Cette diversité repose sur un processus qui est la mutation. La mutation résulte du fait que la reproduction de l’information génétique nécessaire au cours de la multiplication cellulaire n’est pas parfaite c’est-à-dire qu’elle n’est pas sans erreur. Ainsi ce qui peut paraître imparfait est le processus essentiel au maintien de la vie et à sa diversification ; en cela donc la création est bonne. Mais la mutation va générer des modifications qui dans la plupart des cas seront inoffensives, parfois conférant un avantage aux individus qui les portent, parfois un désavantage. Ainsi ce processus même qui participe au fait que la création est bonne, est responsable de maladies génétiques, ce que nous appelons le mal naturel. Ainsi l’acquisition de nouvelles propriétés et de maladies génétiques sont les deux faces d’une même pièce.
Quand on regarde les maladies humaines dont les facteurs sont génétiques, il est intéressant de noter que ces facteurs qui conduisent à un risque plus grand de contracter telle ou telle maladie sont inhérents à l’histoire de la lignée humaine. Globalement toutes les innovations qui participent à l’émergence de la lignée humaine sont des cibles potentielles de mutations délétères : l’émergence de la multicellularité avec un système génétique complexe de contrôle de la multiplication cellulaire a conduit à la possibilité du développement de cancer, le développement du système d’immunité à la possibilité de maladies auto-immunes ou inflammatoires, le développement de capacités cognitives à la possibilité de maladies neurodégénératives. D’autre part le changement de mode de vie ou d’environnement peut conduire à rendre défavorable des facteurs génétiques auparavant bénéfiques. Ainsi on considère que les variants génétiques sélectionnés sous une forte pression parasitaire sont impliqués aujourd’hui dans des maladies inflammatoires telles que la maladie de Crohn ou la sclérose en plaque. De même le passage à une vie sédentaire et moins soumise à des périodes de restriction alimentaire rend certains facteurs génétiques responsables de maladies cardio-vasculaires, du diabète de type 2 ou de l’obésité.
Les maladies génétiques sont donc le résultat d’un fonctionnement normal de la Nature, qui a permis à la lignée humaine d’émerger, et aux populations humaines du passé de s’adapter.
Qu’en est-il de l’humanité créée image de Dieu, en quoi le fonctionnement de la création y participe et est en cela une création bonne ?
La régularité des lois de la Nature, la possibilité donc de déterminer des causes par leurs effets, selon la règle « mêmes causes-mêmes effets », a participé au développement cognitif de la lignée humaine, et à développer sa capacité à modifier son environnement ou à s’en protéger. Conway-Morris ira même à considérer que si le film de l’évolution était rembobiné puis rejoué, l’émergence d’une espèce douée d’intelligence telle que l’espèce humaine serait inévitable[2].
Ce fonctionnement de la Nature et l’impossibilité pour l’humanité d’y échapper lui rappelle sa finitude, sa condition de créature et révèle son illusion de toute puissance. On peut citer les lois physiques telle que la loi de la gravité, les cataclysmes naturelles ou la mort. Ce rappel parfois tragique est salutaire et donc bon car il conduit l’humanité à trouver sa place et reconnaître son besoin de Dieu.
Qu’en est-il du mal naturel dans la construction de cette image de Dieu ? Xavier Le Pichon qui dans son livre « Aux racines de l’homme »[3] considère que l’Homme est devenu Homme quand il a pris soin du faible, de celui qui est malade ou frappé par le handicap. Ainsi ce mal naturel a participé à la construction de cette image de Dieu en l’humanité qui prend soin du faible, qui l’intègre et le protège.
Conclusion
Pour conclure, il me semble que ce que l’on qualifie de mal naturel fait partie de la création bonne de Dieu. Il est le résultat d’un fonctionnement naturel qui est bon en ce qu’il permet au monde vivant de se développer, de se diversifier et de s’adapter. Il est en quelque sorte un mal nécessaire. Nous sommes dans un monde contraint par des lois qui assurent son bon fonctionnement mais aussi amène son lot de souffrance. Ce mal naturel nous amène à réaliser notre finitude, notre besoin de Dieu mais aussi à y répondre à la suite du Christ, qui dans son incarnation a souffert avec, mais a aussi apporté consolation et guérison.
Le mal naturel appelle ainsi à notre responsabilité en tant qu’humanité et à notre action. Prenons le cas des phénomènes naturels tels que les tremblements de terre, les inondations. Ces phénomènes deviennent catastrophes « naturelles » dans leurs effets sur les populations humaines les plus démunies, faute de moyen pour se protéger ou habiter dans des lieux plus sûrs[4]. Pour ce qui concerne les maladies humaines, si elles ont une cause génétique, elles sont souvent polyfactorielles, c’est à dire ayant des causes multiples. Ainsi l’environnement et le mode de vie peuvent avoir un effet aggravant ou inducteur de maladie. C’est le cas par exemple de certains cancers. Notre responsabilité va bien au-delà de l’espèce humaine, car elle englobe l’ensemble du monde vivant. On sait aujourd’hui que l’activité humaine peut être oncogène, inductrice de cancer dans le monde animal[5]. Ainsi le fonctionnement de la Nature bonne que Dieu a créée nous invite à modifier nos comportements par respect pour le monde vivant et agir pour protéger les plus démunis souvent les plus à risque.
Notes
[1] Benton et al. (2021) The influence of evolutionary history on human health and disease. Nature Reviews Genetics 22, 269-283.
[2] Conway Morris S (2003) Life’s solution: Inevitable humans in a lonely universe. Cambridge, UK: Cambridge
University Press.
[3] Le Pichon X (1997) Aux racines de l’homme. De la mort à l’amour. Presses de la Renaissance.
[4] White RS (2014) Who is to blame? Disasters, Nature and acts of God. Monarch books.
[5] Giraudeau et al (2018) Human activities might influence oncogenic processes in wild animal populations. Nature Ecology & Evolution https://doi.org/10.1038/s41559-018-0558-7
2 Articles pour la série :
- Et Dieu vit que c’était bon
- «Cela était très bon» : brève lecture théologique de Genèse 1,31