Crédit Illustration : Rodrigo de la torre de Pixabay

Cet article est complémentaire à celui d’Antoine Bret sur le même sujet : La datation au carbone 14, comment ça marche ?

Une des principales critiques soulevées par les tenants d’un âge jeune de la terre concerne la datation au Carbone 14 (14C en notation scientifique).  Découverte par William Libby dans les années 40, celle-ci est pourtant abondamment confirmée par d’autres méthodes pour dater des échantillons organiques vieux de moins de 50.000 ans.

Au cœur de cette méthode, le carbone est un des éléments les plus importants pour la vie. Il est présent en abondance dans la croûte terrestre mais aussi dans tous les êtres vivants dont il constitue un des constituants fondamentaux

Les isotopes

Les propriétés chimiques des éléments découlent du nombre de protons dans leur noyau. Ainsi, les noyaux de Carbone ont 6 protons, les noyaux d’azote 7, les noyaux d’oxygène 8. Des noyaux ayant le même nombre de protons mais des nombres de neutrons différents sont appelés des isotopes.

Le 12C et le 13C, dont les noyaux contiennent respectivement 6 et 7 neutrons, sont des isotopes stables du carbone : autrement dit, leur durée de vie est infinie.

Le C14 est instable, il se désintègre

Par contre, le 14C est un isotope radioactif ; cela signifie que ce noyau formé de 6 protons et 8 neutrons est instable. Par l’émission d’un électron, il décroit en 14N (Azote 14), formé de 7 protons et 7 neutrons. Si je prends 1 gramme de 14C que je place dans un coffre-fort, il faudra 5730 ans pour que la moitié des noyaux de 14C se désintègre ainsi en 14N.

Malgré son instabilité, le 14C est présent en permanence dans l’atmosphère de la Terre parce qu’il est produit par des réactions nucléaires entre les rayonnements ionisants issus principalement du soleil et les molécules d’azote de l’atmosphère. Cette production continue de 14C est compensée par sa décroissance de telle sorte que la concentration en 14C dans l’atmosphère atteint un équilibre. Les plantes et les animaux, en échange permanent avec l’atmosphère par la respiration, absorbent le 14C dans leurs cellules.

Le 14C est donc présent dans chaque cellule de chaque être vivant qui respire. Lorsqu’un organisme meurt, les échanges de carbone avec l’atmosphère cessent :  c’est un peu comme si la porte du coffre-fort se refermait… Le 14C présent dans les cellules de l’organisme mort ne se régénère plus mais la désintégration du 14C en 14N continue, de telle sorte que la concentration en 14C dans l’échantillon biologique va décroitre. Si donc un archéologue extrait un échantillon de matière organique d’un site de fouille, il va pouvoir mesurer depuis combien de temps l’organisme à l’origine de cette matière organique est mort. Ce peut être un échantillon de plante ou d’arbre, un morceau d’os d’animal ou d’humain (crâne, mâchoire, tibia,…).

Carbone 14 et datation

Pour faire une datation, que mesure-t-on précisément ?

En pratique, c’est la fraction isotopique du 14C dans l’échantillon, c’est-à-dire le rapport 14C/C de l’abondance de 14C à l’abondance totale de Carbone, qui va donner accès à l’âge de l’échantillon par comparaison avec la fraction isotopique dans l’atmosphère. Mais comment être sûr que la fraction isotopique n’a pas changé au cours de l’histoire de la terre et notamment par rapport au moment de la mort de l’organisme que l’on cherche à dater ? En fait, cette fraction varie effectivement en fonction du flux de rayons cosmiques qui est notamment lié à l’activité solaire et il est nécessaire corriger cette variation pour obtenir un « âge radioacarbone ».

Datation au Carbone 14 et dendrochronologie

De nombreux travaux ont été conduits pour calibrer la datation au 14C en la comparant à d’autres techniques totalement indépendantes. Ainsi, la dendrochronologie repose sur le comptage des cernes de certains arbres, notamment les conifères. Le comptage des bandes claires et sombres alternées correspondant à des vitesses de croissance différentes selon les saisons permet de mesurer leur âge. Les arbres les plus vieux ont jusqu’à 5000 cernes.

Datation au Carbone 14 et carottes sédimentaires

Une autre technique de datation utile pour calibrer les datations au 14C se trouve au fond des lacs : une varve est une couche ou strate sédimentaire qui s’est déposée en une année, au fond d’un lac. Cette stratification est due à des variations annuelles du climat. L’étude des varves est utile pour dater des événements climatiques et géologiques récents.

Dans certains lacs, on peut faire des carottes des sédiments qui peuvent contenir des dizaines de milliers de varves, couvrant ainsi des périodes de dizaines de milliers d’années.

Une comparaison détaillée des âges obtenus confirme la cohérence des mesures produites par ces trois techniques, 14C, dendrochronologie et dépôts sédimentaires lacustres [4].

Datation au Carbone 14 et carottes glaciaires

Les datations au 14C peuvent aussi être utilisées pour l’analyse de carottes glaciaires à condition de trouver des débris végétaux ou d’extraire des quantités suffisantes de dioxyde de carbone [5]. D’autres méthodes complémentaires existent, notamment le comptage des couches de glace sur les calottes polaires et sur les glaciers. En effet, les propriétés de la neige diffèrent selon qu’elle s’accumule l’été ou l’hiver. Le comptage des couches annuelles est ainsi une méthode simple de datation, pourvu que l’accumulation de neige soit suffisante et que la stratigraphie ne soit pas détruite par l’action du vent qui mélange les couches près de la surface. Le comptage systématique des couches annuelles de certaines carottes prélevées en Arctique s’étend aujourd’hui sur 60 000 années [6].

Datation au Carbone 14 et archéologie, critique par les groupes créationnistes

Plus près de nous, le 14C est aussi utilisé pour la datation de très nombreux sites archéologiques liés à l’histoire d’Israël. Il est très intéressant de noter que ces datations ne sont pas remises en question par le groupe créationniste RATE. Par contre, leurs critiques se concentrent sur les échantillons de matière organique dont la datation est beaucoup plus ancienne [1-2].

Depuis plusieurs dizaines d’années, la méthode utilisée pour mesurer la quantité de 14C dans un échantillon est la spectrométrie de masse, beaucoup plus précise et sensible que les méthodes nucléaires utilisées auparavant. Celle-ci a permis d’améliorer considérablement la précision des mesures et de mesurer des concentrations extrêmement faibles de 14C, même dans des échantillons vieux de millions d’années, voire plus.

La critique du groupe RATE est la suivante : si l’échantillon est aussi vieux que le prétendent les géologues, alors il ne devrait pas rester de trace de 14C. En effet, au bout de 5730 ans, il ne reste que la moitié du 14C présent à la mort de l’organisme, un quart au bout de 11460 ans et moins d’un atome au bout d’un million d’années ! Or les mesures par spectrométrie de masse mettent en évidence des fractions isotopiques non nulles, même dans des échantillons vieux de lus d’un million d’années.

Comment interpréter ce signal de 14C : est-ce que les échantillons sont en fait beaucoup plus jeunes que ne le pensent les géologues ou bien cette fraction de 14C est liée à la méthodologie expérimentale et n’est qu’un bruit de fond ?

(Pour en savoir plus sur le groupe créationniste RATE et son projet à propos de l’âge de la terre, vous pouvez consulter l’article suivant : Le groupe de travail créationniste RATE critique la datation des Roches.)

Revenons à notre sujet spécifique a la datation au Carbone 14.

La critique du groupe créationniste RATE de la datation au carbone14 ne porte que sur les plages de dates très anciennes où cette technique n’est cependant pas utilisée

Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’il ne suffit pas d’être capable d’abaisser le seuil de détection du 14C dans un échantillon. Il faut aussi comprendre l’origine de ce 14C.  La mesure demande une suite de manipulations chimiques et physiques au cours de laquelle une contamination par le 14C de l’atmosphère actuelle est difficile à complètement exclure, voire à précisément quantifier [3].

D’autres sources d’incertitude font que la méthode n’est pas considérée aujourd’hui comme fiable pour des échantillons plus vieux que 100.000 ans. En d’autres termes, le groupe RATE remet en question la datation au 14C sur des échantillons trop vieux pour qu’elle soit utilisée avec fiabilité, parce que les traces de 14C sont trop faibles pour exclure et même quantifier précisément les contaminations liées à la mesure elle-même. Il est en cela en plein accord avec le consensus scientifique actuel.

Autrement dit, les arguments soulevés pour critiquer la datation au 14C concernent précisément le champ géochronologique où la méthode n’est pas utilisée, c’est-à-dire lorsque les concentrations en 14C sont certes mesurables par les technologies actuelles mais que les sources de contamination demeurent difficiles à maîtriser. Elles n’apportent donc aucun élément de nature à remettre en question les datations dans la plage où elles sont aujourd’hui utilisées en géochronologie. 

Pour en savoir plus

Le lecteur désireux d’approfondir le sujet pourra se référer à la référence [3] sur les sources de contamination et à la référence [4] pour une intercomparaison des méthodes de datation dans la plage où la datation au 14C est appliquée.  La référence [5] apporte des précisions sur les différentes techniques de datation des carottes glaciaires et la référence [6] une autre intercomparaison qui inclut aussi les datations des stalagmites.

Il est possible de tester ses propres échantillons organiques (entre quelques centaines d’années et jusqu’à 50 000 ans) dans ce dispositif de datation au carbone 14 au musée archéologique du lac de Paladru. (Isère) – Wikipédia.

Notes

[1] J. Baumgardner, “14C Evidence for a Recent Global Flood and a Young Earth,” ch. 8 in Radioisotopes and the Age of the Earth, vol. II, by L. Vardiman et al (Institute for Creation Research, 2005).

[2] J. Baumgardner, D.R. Humphreys, A.A. Snelling, and S.A. Austin, “Measurable 14C in Fossilized Organic Materials: Confirming the Young-Earth Creation-Flood Model,” in Proceedings of the Fifth International Conference on Creationism, ed. R.L. Ivey, Jr. (Pittsburgh, PA: Creation Science Fellowship, 2003), 127142. (Everything in [1] except the diamond data is contained in this earlier paper.) {full text}

[3] Kirk Bertsche, RATE’s Radiocarbon: Intrinsic or Contamination? https://www.asa3.org/ASA/education/origins/carbon-kb.htm

[4] Davidson, G. and K. Wolgemuth. 2018. Testing and verifying old age evidence: Lake Suigetsu varves, tree rings, and carbon-14. Perspectives on Science and Christian Faith. 70 (2): 75-89.

[5] Frédéric Parrenin et Amaëlle Landais, La datation des archives glaciaires, La Météorologie – n° 110 – août 2020

[6] Svensson, A., Andersen, K. K., Bigler, M., Clausen, H. B., Dahl-Jensen, D., Davies, S. M., Johnsen, S. J., Muscheler, R., Parrenin, F., Rasmussen, S. O., Röthlisberger, R., Seierstad, I., Steffensen, J. P., and Vinther, B. M.: A 60 000 year Greenland stratigraphic ice core chronology, Clim. Past, 4, 47–57, https://doi.org/10.5194/cp-4-47-2008, 2008.

[7] Spötl, C., Mangini, A., & Richards, DA. (2006). Chronology and paleoenvironment of Marine Isotope Stage 3 from two high-elevation speleothems, Austrian Alps. Quaternary Science Reviews25 (9-10), 1127 – 1136. https://doi.org/10.1016/j.quascirev.2005.10.006